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J’ai été expulsé une première fois de République démocratique du Congo (RDC) en septembre 2017. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi, mais j’ai eu rapidement l’impression que ma situation se normaliserait après quelques mois, même si les tensions entre la Belgique et le Congo ne plaidaient pas en ma faveur.
En septembre 2018, j’ai tâté le terrain, pour voir si des obstacles se dresseraient pour obtenir un nouveau visa et me permettre de revenir au Congo. Le retour que me faisaient les cercles politiques (cabinet du Président) et de François Beya, Directeur Général des services de Migration (DGM) semblaient positifs. J’ai donc soumis une demande de visa, que j’ai obtenu dans les délais normaux. Mais lorsque je suis arrivé à Kinshasa, j’ai immédiatement été arrêté par les autorités. Voici ce qui s’est passé.
Dimanche 7 octobre 2018
Je suis arrivé à Kinshasa à 20h15 avec Turkish Airlines. Le but de mon voyage était de co-faciliter une session de formation sur la PEA (analyse politico-économique du pays) pour des gens impliqués dans un projet majeur sur la bonne gouvernance locale, organisée par l’un des plus importants partenaires bilatéraux du Congo. Il était immédiatement évident, dès mon arrivée, que la dame qui était supposée tamponner mon passeport était alertée par quelque chose sur l’écran de son ordinateur.
Je suis amené au bureau de l’aéroport, où j'ai du attendre l’arrivée d’un responsable. Entretemps, avec quelques agents de la DGM, nous suivions à la télé le match de foot Zulte-Waregem – Anderlecht. Lorsque le responsable est arrivé, son message était « Je n’ai aucune idée de ce qu’on vous reproche. Je ne sais pas s’il y a une solution à votre problème, mais s’il y en a une, elle se trouvera au quartier-général de la DGM en ville. »
Je suis donc amené au QG, sur le boulevard, qui, à 22 heures un dimanche, était déserté, à l’exception des gardiens de nuit. Mon passeport a été déposé dans un coffre et je suis expédié dans ce qui se nomme un « logement ». Il s’avéra que c’était un site en construction (le nouveau QG ?) et je suis alors remis aux mains de 4-5 personnes. L’idée était de me mettre au « cachot ». Le contenu de mes bagages et de mon porte-feuilles a été consciencieusement examiné. Une expérience que je vécu comme assez humiliante.
Je gardais mon sang-froid et j’égrenais la liste de mes contacts de haut niveau parmi les pontes du régime, ce qui leur a fait changer d’avis. Ils m'ont fait savoir que j’étais trop « haut gradé » pour aller au cachot, j'ai pu donc dormir sur un tapis dans un espace cloisonné par un morceau de tissu, dans lequel les gardes eux-mêmes dormaient. J’ai été invité à me joindre à eux ; ils m’ont alors décrit leur « grande soif » et ont apprécié que je donne un peu de mon argent pour acheter les boissons qui nous ont permis de passer plus agréablement ensemble les longues heures de la nuit. J’ai répondu que j’étais un peu fatigué à cause du long trajet via Istanbul et que je préférais dormir. Je pus donc dormir sur le tapis, que je partageais avec un garde somnolant, en uniforme.
A côté de nous, sous une moustiquaire, dormait un « blanc » qui semblait perdu dans un profond sommeil. Ils me dirent que c’était un Français. Vers minuit j’ai été ramassé par la sécurité de l’ambassade de Belgique qui m'a remis mon téléphone (ils ont également essayé, mais en vain, de récupérer mon passeport). Ils m’ont déposé à l’hôtel Pullman, où les organisateurs de la session de formation m’avaient réservé une chambre, et j’ai ainsi pu passer le restant de la nuit dans de bien meilleures conditions.
Lundi 8 octobre 2018
A 9 heures, la sécurité de l’ambassade m’a ramené au QG de la DGM, où je suis resté durant des heures dans la salle d’attente. Mon téléphone était gardé à la réception. Tout comme la nuit précédente, on m’a redemandé ce qu’il m’était reproché. Ma réponse standard était « si vous ne le savez pas, comment moi pourrais-je le savoir ? »
Vers 13 heures je suis amené devant le chef de division qui m’expliqua que « ce n’était pas vraiment un problème » et que je recevrais mon passeport, avec le tampon d’entrée, et mon visa intact. Mais toute trace de mon passeport avait disparu, de même que la personne qui était censée autoriser sa restitution ! Il me fallait donc attendre encore.
A ce moment, je pensais qu’il n’y avait pas vraiment de souci, mais que probablement les « signaux d’alarme » que mon nom avait généré en 2017 avaient besoins d’un peu de temps pour être éclaircis. Et je pensais en avoir encore pour une heure ou deux.
Dans le courant de l’après-midi, les variations autour de « nous ne savons pas où est votre passeport (…) Nous ne savons pas où est la personne » devenaient grotesques. Et je pensais que j’obtiendrais mon passeport moyennant argent. Vers 17h30 je suis amené devant le directeur de Cabinet qui me dit qu’il allait étudier mon cas et que je serais informé de sa décision mardi à 9 heures. La sécurité de l’ambassade, à nouveau, m’a repris en charge et m’a emmena à l’ambassade pour un debriefing. Je suis ensuite ramené à l’hôtel où j’ai pu prendre mon premier repas… en 13 heures.
Mardi 9 octobre 2018
Vers 9 heures, nouveau trajet vers le QG de la DGM, où on me confisque une nouvelle fois mon téléphone. Environ une heure plus tard, soudainement, je suis transféré dans un véhicule à barreaux vers un autre endroit. Je trouve tout de même le temps d’envoyer discrètement un SMS au chargé d’affaires belge, lui signalant que j’étais déplacé. A ma question « où m’emmenez-vous ? », on me répond que j’étais attendu au département provincial de la DGM. Nous sommes alors arrivés dans un bâtiment dix fois plus grand que le QG de la DGM. Je comprends donc que je n’étais pas au département provincial de la DGM, mais plutôt au QG de l’ANR (l’Agence nationale de renseignements). Des agents subalternes (probablement impayés) m’ont tenu compagnie et m’ont fait savoir qu’ils pourraient intervenir pour moi (y compris me dire où je me trouvais), moyennant un peu d’argent.
Un document officiel a formalisé mon arrestation et je suis resté là pendant plusieurs heures. Rien ne se passait, ou peu si peu, sauf peut-être un rat passant à la recherche de nourriture. Je n’ai reçu ni à manger ni à boire. Dans le courant de l’après-midi, je suis amené devant un jeune homme qui m’interrogea. Ses interrogations portaient sur :
- mes contacts dans la sphère politique (où j’investissais plus d’énergie dans mon réseau pro-Kabila que dans l’opposition ou la Société Civile),
- les détails mon premier voyage au Congo (janvier 2000, comme chargé Afrique centrale pour la Croix-Rouge) et les cinq visites faites en 2017 (quatre pour le bureau d’études britannique pour lequel je travaillais depuis 2014 pour le compte de partenaires bilatéraux majeurs, et le dernier pour assister au deuil de mon ami assassiné Gildo ByayuwaAfrique),
ils voulaient connaître mes contacts dans ce qu’ils voyaient comme un lobby anti-Kabila aux USA : Human Rights Watch, Congo Research Group, et quelques leaders d’opinion influents à New York ou Washington.
- mes contacts avec les membres de la LUCHA, à Goma et Kinshasa (et probablement ailleurs), de même que dans le mouvement FILIMBI et d’autres organisations de jeunes. Ils avaient vraisemblablement étudié attentivement mon compte Facebook, supposant que je maintenais des contacts intensifs avec chaque « ami » . Ce qui est erroné. De nombreux noms m’étaient inconnus alors qu’ils apparaissaient sur leur liste.
- mes contacts chez certains universitaires en Belgique, et des (...) Lire la suite sur Afrikarabia.