"Tes textes sont durs quand même, non ?"
"Si tu veux pas te griller avant même d'avoir commencé, faudrait peut-être pas dire tout ça..."
"Moi j'aime bien tes morceaux tranquilles, c'est pas violent, c'est agréable !"
J'avais envie de commencer ce premier billet par partager les phrases qui sont souvent revenues dans la bouche de ceux qui me soutiennent dans ma démarche. Je vous expliquerai plus tard pourquoi, laissez-moi d'abord me présenter succinctement (S/O Thinkerview).
Autodétermination
Nom de scène : A:G RAMÈS. Artiste enragé. En passe d'essayer d'exister dans le monde de la musique.
C'est ainsi que je qualifierais le projet que je mène depuis deux ans. J'ai mes hauts et mes bas, bien sûr, mais tant bien que mal je m'accroche à mon rêve comme si je n'avais plus qu'une main pour tenir mon deltaplane en vol.
J'ai eu le timing parfait : je me suis lancé quatre mois avant la pandémie, enthousiaste comme jamais à l'idée de multiplier les concerts. La suite, vous l'imaginez. J'ai "pivoté", comme on dit dans la start-up nation : j'écrivais déjà mes textes, je jouais déjà de la guitare, mais pour combler mes manques et pouvoir être parfaitement indépendant dans ma production artistique, je me suis auto-formé à la MAO. Super bénéfique donc, cette première vague, c'est indéniable.
Pourtant, ensuite, il y a eu l'automne 2020, les nouvelles restrictions, la re-fermeture des bars, aka les endroits que je visais pour me développer, voire la raison pour laquelle j'avais déménagé à Lyon 7, en quittant mes montagnes et mon job, pour me faire un premier et modeste nom au sein d'une belle communauté, tout en me finançant, dans une durée aussi courte que possible (parce que quand même, j'assume pas trop d'être un poids) grâce au chômage. La fast life pleine d'alcool, de fun, de gens et de son, pour le dire autrement. Le chemin du rêve.
Mais il y a eu ce mais. Cette désillusion totale. La Capitale des Gaules s'est tue, d'un silence aussi assourdissant que mon idée de base, livide comme la toute proche fin de mes droits à l'ARE. Le poids que je ne voulais pas être s'est alourdi, puisque j'ai dû rendre mon appartement et rentrer tour-à-tour chez mes parents. Je me considère chanceux, parce que toute personne en difficulté pendant la pandémie n'a pas eu ce luxe. J'ai même fini par trouver un travail alimentaire et une stabilité émotionnelle avec ça. Et je n'ai toujours pas abandonné, loin de là.
Un tantinet désespéré, mais fier de moi.
Souvenirs de covid et de quinquennat
On l'a vite oublié, cette pandémie, depuis le désastre qui se trame en Ukraine. On a vite oublié à quel point elle a ravagé les cerveaux. On a vite oublié à quel point l'enfermement a progressé dans les mentalités. On a vite oublié à quel point l'on a été sujet.te.s à l'apathie, à la morosité, au désespoir, à la déperdition et aux tendances suicidaires. On a vite oublié, oui, bien vite oublié qu'on va mal, parce que d'autres vont plus mal que nous.
À juste titre, monsieur Macron ? Vraisemblablement, bien sûr que oui ! Parce qu'on n'a pas le droit de ne pas être altruistes avec les ukrainiens, parce qu'il faut faire valoir l'idéal démocratique occidental, parce que nous sommes des défenseurs de la Liberté et des Droits de l'Homme, parce que nous sommes la France, QUAND MÊME !
Parce qu'on n'a pas le droit de ne pas être altruistes avec les ukrainiens [bien sûr, ils sont blancs. Qu'aurait-on fait des syriens et des yéménites, ne sommes-nous pas assez embêtés par les rayons hallal dans les supermarchés, les voiles, les burkinis, l'islamo-gauchisme dans nos universités et les migrants qu'il faut aller repêcher en mer ? Voilà ce que ce quinquennat sous-entend depuis son élection].
Parce qu'il faut faire valoir l'idéal démocratique occidental [en confisquant l'élection présidentielle au peuple, parce que c'est moins important d'avoir un débat sur l'avenir de notre pays, donc sur l'évolution de notre idéal démocratique (qui ne ressemble plus à grand-chose). Mieux vaut se cacher derrière une tradition présidentialiste qui n'a plus ni désir ni lieu d'être en 2022. Voilà comment ce quinquennat entend se renouveler].
Parce que nous sommes des défenseurs de la Liberté et des Droits de l'Homme [nous qui avons réprimé les protestations sociales dans la violence, écrit des lois dignes d'une société de contrôle, applaudi des soignants pour leur cracher au visage un an après, entre autres. Nous qui avons abrité des ministres soupçonnés de graves exactions, aussi, décrété en piétinant la voix des conventions citoyennes et du Parlement, surtout. Nous qui assumons vouloir continuer dans ce même sens "disruptif", enfin. Voilà comment ce quinquennat envisage de nous terrasser].
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J'admets que l'on puisse contester tout ce que je viens de décrire. Je suis artiste, donc je me place dans une démarche purement émotionnelle et dénonciatrice.
Pourquoi cela me touche autant ? Parce que j'ai été étudiant, pendant six ans. Parce que j'ai tenu un bar, mon bar, pendant deux ans. Parce que j'ai choisi d'essayer de vivre de ma musique, depuis deux ans et demi. Je me sens triplement concerné par les décisions politiques engendrées par la pandémie. Elles m'ont toutes répugné.
Et l'Art, dans tout ça ?
Vous comprenez sans doute les phrases entre guillemets du début de ce billet, maintenant.
À vrai dire, je n'assumais qu'à demi-mot ma conception de l'Art face à mes plus proches soutiens. Mais aujourd'hui, j'ai fini par en avoir marre, car ces peurs ne m'appartiennent pas.
La douceâtre violence de la situation que nous avons vécue ne m'inspire pas de l'"agréable".
Pour moi, l'Art est par essence engagé, ou il n'est tout simplement pas. Il n'est pas que question de punchlines trouvés en quinze minutes ou après trois verres, de mélodies bien inspirées ou de provocation mal placée. Il est le fruit de mois de recherches, d'observations, d'analyses de son propre ressenti et du ressenti de ses semblables. Il est un Œuvre perpétuel et perpétué par les fluctuations de torsions profondes, viscérales, qui nous transpercent et bouleversent notre vision du monde de manière frontale. Il ne peut donc qu'être engagé.
Pour prendre un exemple de ce que j'avance, "L'odeur de l'essence", chanson d'Orelsan sortie en novembre dernier, m'a ému aux larmes. Je ne m'attendais plus à ce que l'on puisse entendre une critique d'une telle envergure et d'une telle puissance dans le rap français. J'ai été électrifié par le sentiment de libération que le texte a provoqué en moi.
Je suis convaincu que, pour ma part, ce n'est donc pas en écrivant des chansons "agréables" que j'exerce mon plein pouvoir d'autodétermination, mais bien en rentrant sans demi-mesure dans le vif de certains sujets. Le vif étant : là où l'on commence à sentir quelque chose d'indicible se mouvoir en son for intérieur.
Dans une ère où le mignon et le lisse prédominent, je préfère chercher le beau dans le rugueux. J'ai essayé de rapper ce qui me saute aux yeux et au cœur, et de mettre mes textes au milieu de toutes mes autres influences musicales, à commencer par le rock. J'ai appelé cette progéniture French Alps Power. J'ai déjà posté des morceaux isolés sur YouTube, ils respirent partiellement ce que je vous décris, mais je suis en passe de sortir mon premier EP, qui viendra vraiment définir ce genre. Qu'il touche 30, 300 ou 30000 personnes, il sera ma première pierre à l'édifice de l'Art, plus fondamental des contre-pouvoirs de notre monde.
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À celles et ceux qui sont tombé.e.s sur, puis ont cliqué, puis ont lu ce billet jusqu'au bout, je dis un grand Merci.
Je vous souhaite de rester forts dans ces prochaines semaines décisives pour nous tous.
Le Salut,
Ramès