Ma lettre fait suite à l’article paru dans Mediapart sous le titre : « Les Cacqueray-Valménier, une famille fascinée par les nazis ». Ayant à porter ce nom depuis ma naissance, je me suis senti insulté, comme d’autres membres de ma famille, par ce titre et en même temps obligé de regarder cette triste réalité en face qu’il existe des personnes portant ce même nom qui se revendiquent comme néo-nazis, tiennent des discours haineux d’extrême droite, discours explicitement racistes et antisémites. Je pourrais faire valoir mes engagements à gauche, antifascistes, antiracistes, mes engagements dans l’accompagnement de familles exilées que l’état français malmènent et empêchent dans leur volonté d’intégration ; mais il ne me suffit pas de refuser cet amalgame entre ces fascinés par les nazis et ceux de ma famille résolument antifascistes. Il m’intéresse aussi de comprendre ce qui fait cette fascination, qu’est-ce qui dans l’histoire de ma famille a pu entrainer certains sur ces bords nauséabonds du pétainisme et même du nazisme. Pourquoi dans certains milieux de cette famille de Cacqueray- Valménier, le terreau de tant de haine a pu se cultiver jusqu’à ce que l’un de ces membres devienne « la figure la plus emblématique de l’extrême droite française »[i] ?
D’être « une branche d’une ancestrale famille aristocratique française »[ii] donne déjà un héritage impliquant bien souvent l’attachement à des traditions royalistes et religieuses fondées sur l’inégalité, les privilèges, la ségrégation et la discrimination. Un héritage qui est celui de l’esclavagisme, de la contre révolution, du colonialisme et du pétainisme et qui a construit une mentalité de nantis qui ont toujours confondu leurs propres intérêts à ce qu’ils considéraient comme « l’identité de la France ». Un héritage dont une partie de la famille de Cacqueray n’a pas su se séparer et a continué à en chanter les louanges, à se glorifier en se drapant dans ses emblèmes, ses symboles, ses traditions, ce nom, en se cramponnant aux idées les plus réactionnaires, les plus élitistes, dans la nostalgie de leur paradis perdu de la royauté.
Comment peut-on ainsi s’enfermer dans des convictions passéistes rétrogrades qui enferment dans le monde clos de l’entre-soi ?
Qu’est-ce qui a favorisé le passage de cette nostalgie royaliste au pétainisme et au nazisme ?
Il a bien fallu des convictions très fortes d’une appartenance à une élite ayant pour mission de sauvegarder à tout prix les oripeaux d’une gloire passée, d’une domination sur le bas peuple… Peut-être qu’il fallait faire feu de tout bois pour conserver ces privilèges. Le fascisme apportait visiblement la possibilité de prolonger ces ambitions, ces fantasmes de domination, cet imaginaire de la suprématie élitiste.
J’ai pu observer chez certains de Cacqueray combien ils pouvaient se hausser le nombril par la simple évocation de leur nom comme s’ils n'étaient constitués que par leur nom propre, celui-ci, par sa seule grâce leur permettant d'oublier jusqu'à leurs possibles misères morales autant que pécuniaires. Il me semble pertinent de dire que chaque personne a à se faire son propre nom. Le nom propre ne dessine qu’à la marge ce qui constitue l’identité d’une personne. Se faire son propre nom est par contre en rapport avec nos actes, nos engagements, notre affirmation de nous-mêmes, notre capacité à nous différencier, à nous émanciper. On peut dire malheureusement que ce Marc de Cacqueray s’est fait un nom, celui de la pire espèce, celui de néo nazi.
Je n’ai pas choisi de porter ce nom, il me faut cependant faire avec et refuser que se perpétue à travers lui ces idées fascistes, racistes, antisémites. Je fais avec ce nom tous les jours en souhaitant qu’il puisse être attaché aux valeurs que je porte comme d’autres qui portent aussi ce nom, des valeurs de solidarité, d’accueil, d’ouverture…
Emmanuel de Cacqueray
[i] Article du 6 février 2025 de Matthieu Suc dans Médiapart.
[ii] idem