Je reviens de la place de la République où la police nous a encerclé et retenu pendant plus de deux heures, contre le mur de la caserne, à côté de la rue Léon Jouhaux. Il y avait là des manifestants, mais aussi des journalistes et des photographes ne détenant pas de carte de presse — c'est-à-dire une grande partie de la profession — et même des passants qui rentraient chez eux au moment de la charge. Dans cet intervalle, la police a procédé ponctuellement à des arrestations, y compris de journalistes. J'ai vu un photographe se faire embarquer pour une photo de trop : "Elle est où votre carte de presse ? Nous au moins on a des uniformes."
Et puis d'autres arrestations encore, souvent arbitraires, ciblant toutes les dix minutes une ou deux personnes situées à quelques mètres du cordon de CRS. Contrairement à ce qu'on peut lire dans beaucoup de journaux, les rares manifestants violents avaient déjà été arrêtés plus tôt dans l'après-midi. Autour de moi pendant ces deux heures, je n'ai vu que des gens pacifiques, levant les mains devant la police en criant "Sans arme et sans violence", rivalisant d'imagination et d'humour dans l'invention de slogans — "Nous sommes séquestrés, appelez la police !" — dansant même autour d'un petit sound system opportunément piégé avec nous.
J'ai finalement pu sortir vers 18h30. Je ne suis parvenu à esquiver le panier à salade qu'en brandissant mon appareil photo et en tentant d'expliquer à une armoire à glace patibulaire, mais plus compréhensive que ses collègues, ce que voulait dire "journaliste indépendant" et "photographie documentaire".
L'ampleur du dispositif policier déployé ce dimanche sur la place de la République montre à quel point l'état d'urgence peut aussi devenir un prétexte pour empêcher toute action citoyenne d'ampleur autour de la COP21. S'y ajoutent les perquisitions et les assignations à résidence de militants écologistes, heureusement relayées par de nombreux médias. Si ces manifestants ont décidé de braver l'état d'urgence, de se rendre malgré tout sur la place de la République, c'est parce qu'ils pensent que l'urgence écologique dans laquelle nous nous trouvons dépasse toutes les autres. Parce que dans la remise en cause radicale de notre modèle de développement que la prise de conscience écologique implique, elle contient une réponse, au moins partielle, à toutes les autres crises. Parce que, pour le dire rapidement, on ne luttera pas efficacement contre le terrorisme sans lutter d'abord contre notre hyper-dépendance aux énergies fossiles.
Pendant ce temps, les centres commerciaux et les marchés de Noël étaient ouverts. Si elle remet en cause le droit de manifester, il semble que la terreur n'entravera jamais celui de faire circuler des marchandises.