Voyageur en solitaire, sur cette route de terre qui fait le tour de la terre, Manset nous raconte qu’il découpe le monde à coup de rasoir pour voir au cœur du fruit le noyau noir, car ailleurs, il croit, le monde est meilleur.
Mille photos font bon dos aux sources d’une légende absente du quotidien médiatique.
On imagine assez spontanément ses photos accumulées dans des carnets de voyages aux notes éparses, à l’instar des peintres et sculpteurs qui à la fin du XIX° siècles se sont gorgés de photographies-croquis, pour cueillir les jaillissements d’instants éphémères que leurs dessins d’esquisse ne parvenaient pas à capter assez vite.
Toutes ces images seraient comme autant de bribes des chansons à venir.
De peur d’oublier une forme ou une idée, Manset aurait capturé des citations pour des lendemains poétiques en musique.
Oui, on y trouve les murs moisis, peau de velours, des villes éteintes avec des parcs glacés, et le doigt de l’ombre s’y étend dans la vallée de la paix.
Oui, les mansetophiles addicts peuvent s’illustrer leur musée phantasmatique en comptabilisant les références.
Mais plus grave et plus alerte, il y a des lumières latérales qui se répandent à l’arase de parois à la planéité glauque, des horizons qui chavirent sur la gauche et des immobilités sourdes dans lesquelles la poisseuse désuétude colorée du Kodachrome nous saute à l’œil.
Ces images sont des photographies.
Commenté avec un certain soulagement comme amateur éclairé par les diseurs professionnels de la photo, Manset n’est ni un embaumeur de voyages féériques, ni un documentaliste de sujets sociétaux. Il n’abonde pas aux courants engagés de l’introspection aventureuse du corps, pas plus qu’aux traitements de sujets d’appoints journalistiques, il est au cœur du monde de l’image. Il photographie ce qu’il comprend comme quand on dessine ce qui vient à l’œil .
Au fil de ses images, des sujets se redisent et se déclinent comme on refait le plus possible ce que l’on aime. Des froissements de lit au pied de fenêtres pleines de lumière, des architectures du temps jadis ganguées d’efflorescences et de desquamations, des immobilités de multiples riens qui nous figent.
Ses sujets sont des révélateurs que l’écran de ses images nous redit avec l’humilité des regards obliques. Penché vers la nappe des sols ou louvoyant sur les méandres de perspectives frontales, sa photographie ne traite que les choses que l’on voit et ne raconte rien d’autre que ce que l’on sait à vue.
Des images impromptues de mets saisis en attente du repas imminent, la mémoire du juste avant. L’immobilité silencieuse s’affiche pour faire durer des éphémères certains.
Manset n’a pas collé des Polaroides dans un carnet de voyage en molesquine, il a thésaurisé des sommes d’émotions de l’œil comme autant de mises en scène d’instants à ne pas oublier.
Des souvenirs jusqu’au bout, pour vivre encore la même chose.
Une incantation au temps et aux choses.
« Le vrai bonheur serait de se souvenir du présent. » Jules Renard