Depuis 35 ans Boris Gaberscik oublie ses études de biologie à Ljubljana pour documenter le monde chaotique des objets dans la lumière immobile. Les images qu’il assemble ne sont toutefois pas des collections de bazars de grenier, elles sont de l’ordre de l’architecture.
Plus précisément, elles parlent des choses en les représentant comme des fictions d’architecture, dans des projections frontales abruptes ou, refusant la fuite, par des alias de vues axonométriques improbables. Comme les calques de l’architecte, d’incertains plans diaphanes s’interposent parfois entre les objets sans livrer d’autre argument à l’image que l’incertitude des formes et des arêtes. La géométrie et ses concordances sensuelles, la peau des matières et leurs jeux parfaits sous la lumière unidirectionnelle aux aplats de noir, font surgir d’étranges échos de l’espace et du temps.
De Budapest à Buenos Aires, de Zagreb à Trieste, Graz ou Salzbourg, il est aujourd’hui le photographe slovène emblématique de cette exploration méticuleuse du réel, abusivement traduite en français comme nature mort.
Exposée ou présente dans les plus grands musées, son œuvre singulière se situe aux antipodes des lyrismes pictorialistes ou des confrontations drolatiques d’objets anachroniques. Elle déroule des mises en scènes dressées comme des rencontres de hasards non fortuits dans lesquelles se raconte l’étrange histoire de sa mémoire et de ses souvenirs.
Gaberscik ne cesse de nous dire que la photographie n’est pas un meuble dans le vestibule de l’œil mais un objet de désir. Sous un alibi de mimétisme, elle nous emporte aux lieux des allusions et des illusions.
Et si ses trésors de mémoires, collectionnés par lui pour cet insolite immobile, ne sont jamais commentés par le photographe, c’est justement pour ne pas dénaturer la force de la révolution silencieuse que les objets physiques proposent face aux chaos du monde. Ces objets sont les rémanences du temps et de l’histoire des quotidiennetés perdues. Ils surgissent du magma mnémonique pour nous apporter un témoignage de la réalité et de son ordre face au chaos des éphémères de l’extérieur.
Pourtant, ne cherchez pas de métaphores cachées dans la rencontre fortuite des réalités instrumentales de ces objets, Gaberscik affirme que ses photographies sont définitivement du domaine strict et concret du visuel. C’est de cet écart entre l’identification fonctionnelle et la réalité des ombres, des tonalités et de leurs contrastes, que son image capturée veut nous émouvoir. Résolument attentif à l’image comme matière signifiante, tout de sa consistance importe, le film argentique autant que l’illumination sur des papiers aux raffinements colorés.
Boris Gaberscik nous présente une œuvre unique d’attention au monde, à la magie morte des choses réelles mais fictionnelles.
« Je me retire. Le monde est trop rapide pour moi et j’espère la nostalgie des photos pour soulager la douleur, la vitesse ou la cruauté ». BG