La réponse à ce problème ne saurait être financière. Aux portes de l’Europe, la Turquie menace d’ouvrir les vannes des flux de migrants qui transitent sur son sol. La réponse de l’Union européenne n’est pas diplomatique mais financière pour contenir ces migrants. Aux abords d’Izmir, les réfugiés se retrouvent dans les rues dans des conditions très précaires. Les associations locales d’entraide aux migrants sont très inquiétées par la situation politique turque. Il règne un climat d’incertitude et de paralysie. Cependant la vie des migrants se dégrade de plus en plus. « De 8h du matin à 10h du soir, pour 5 euros, il me fallait travailler. On venait me chercher, on me ramenait à l’usine. J’ai enduré cela un an pour payer mon passage de la méditerranée, il y a deux mois. Mais je suis encore si fatigué… » Ce sont les propos de Boniface, un jeune migrant congolais aujourd’hui dans le camp des mineurs de l’île de Lesbos. D’après les accords établis avec l’Europe, il pourrait bien être renvoyé en Turquie comme les 70 personnes « déportées », c’est bien le mot juste, le 26 septembre 2016. Peut-on savoir ce qu’il advient en Turquie de ces personnes ?
Les migrants constituent un véritable problème tout en générant des mannes financières. Les attributions de crédits européens n’atteignant pas toujours les nécessiteux. L’argent est-il optimisé ? On peut en douter quand on sait qu’à Calais, 18 millions d’euros se sont envolés. Dans quelle « jungle » de gens civilisés cet argent est-il tombé ? En Grèce, parce que les problèmes des camps s’étendent, avec plus de 60 000 migrants, on peut se demander comment sont employés les fonds dans ce pays limitrophe en passe de devenir un immense « parking » humain. La Grèce n’a pas trop le choix, elle subit, elle est endettée. La Turquie, elle, se permet parfois un bras de fer avec l’Europe.
Alors à qui profite le phénomène migratoire ? Á certaines entreprises humanitaires. Il faut appeler ainsi les diverses organisations qui « font leur business de la misère humaine ». Celles qui sont loin de la main tendue. Elles prennent d’une main et distribuent bien moins de l’autre. Celles qui placent du personnel, celles qui placent des produits, celles qui placent des propagandes… En septembre 2015, au pic des arrivées de migrants sur l’île de Lesbos, on dénombrait 120 associations, de sauveteurs en mer, de services israéliens, de témoins de Jehovah… Étaient-ils tous utiles ? Au début du problème à Lesbos, on a assisté à une foire d’empoigne entre toutes ces associations. Qui ferait quoi et de quel droit ? La gestion des camps manquait de coordination entre les employés des ONG, les autorités locales. Tout ne se résout pas facilement. Dernièrement, au camp de San Andréa, près d’Athènes, l’armée refusait que l’association Humanitarian Support Agency distribue du thé aux migrants. Parfois de telles futilités sont dues à des luttes de pouvoir mais souvent à des luttes d’influence de telle ou telle organisation étant donné son poids financier et la part qu’elle veut se tailler sur le terrain. Un terrain d’investissement en personnel, en matériel, en argent. Il faut savoir aussi que ces organisations ont changé divers aspects de la vie locale. Au contraire de la majorité des Grecs, elles ont le pouvoir économique de louer des appartements, des chambres d’hôtel, des bureaux, des voitures neuves, de payer des employés, des fournitures. « Cela revient moins cher de racheter des couvertures plutôt que de les laver », assure un responsable d’une grande ONG préparant le programme d’hiver dans les camps. La valse des sommes d’argent englouties donne le tournis. La Grèce, pays en crise durable, en a-t-elle des retombées ? Certainement, mais pas là où il faudrait. On aurait pu s’attendre à de l’emploi chez les jeunes affectés par 60% de chômage. Il y a des postes, sur des contrats de 5 mois avec des salaires mensuels de 400 euros dans le cadre d’aides européennes. Ce qui n’est pas le salaire du personnel des organisations internationales. Là on paie 10 Grecs pour un étranger qui ne sait pas non plus communiquer en arabe ou en farsi. Pourquoi faire venir des psychologues des États-Unis qui ne parlent pas la langue des migrants ? Quelle est leur efficacité ? On aurait pu s’attendre aussi à ce que l’approvisionnement pour les besoins des camps se fasse avec des produits locaux grecs afin d’aider l’économie en panne. Or un grand nombre de fournitures acheminées viennent d’ailleurs, des Pays-Bas pour les biscuits, de Turquie pour les lingettes, du Canada pour les lentilles… Dans ce cadre-là, les habitants autour des camps n’ont aucun bénéfice alors qu’ils auraient pu être une ressource en produits agricoles et en main d’œuvre. Ce type de participation aurait pu faire taire les rancœurs qui se transforment trop souvent en actes racistes regrettables.
S’il y a eu des bénéfices aux problèmes des migrants, ils sont tombés dans quelques poches, passeurs en mer, vendeurs de tentes ou de faux papiers, vendeurs de drogues ou d’organes… En rappelant qu’à Izmir, c’est la représentante du Consul de France en Turquie qui faisait fortune en vendant de mauvaises bouées de sauvetage. Son excuse : « Si ce n’est pas moi, ce sont d’autres qui le feront » !
S’il y a eu des calculs financiers faits par les grandes puissances, ce sont de faux calculs. Aider économiquement au développement et à la consolidation de l’Afghanistan pour essayer insidieusement d’y faire retourner 80 000 migrants, c’est un très mauvais calcul. Lorsque vous avez risqué votre vie à passer les frontières pour échapper à un pays que vous détestez et qui vous menace, ce n’est pas pour y retourner. Les Afghans constituent la population la plus déplacée au monde. Est-ce l’argent qui va mettre fin à ce problème ?
Il y a crime de la part des grandes nations à vouloir résoudre par l’argent ou par la force un problème plus qu’humain. Un problème qui fait appel à la fraternité universelle. Un problème dont on peut être fier ou honteux. L’histoire nous chargera de notre responsabilité. Á nous de trouver la capacité de transformer, comme le souhaitait Victor Hugo, « les frontières en soudures ».
Agnès Matrahji, le 05.10.2016