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Billet de blog 18 septembre 2025

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Courriers Palestine : « Les rêves ne meurent pas, même quand les maisons s’écroulent »

« Même dans la nuit la plus noire, j’ai cru en l’aube. » Tala Nashwan, jeune diplômée en droit et passionnée d’écriture, veut porter les voix de Gaza tout en partageant son parcours : celui d’une jeune femme qui a surmonté les épreuves pour décrocher son diplôme dans un contexte de guerre génocidaire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Courriers Palestine : une rubrique qui porte les voix des femmes et des hommes palestiniens à travers les textes qu’ils m'adressent. Traduits et publiés, ces récits témoignent de leurs paroles, de leur quotidien, de leurs blessures et de leurs rêves. Ces écrits ne sont pas les miens : ils sont simplement livrés au monde par une factrice portant des lettres.

Tala Nashwan, jeune palestinienne diplômée en droit et passionnée d’écriture, veut porter les voix de son peuple tout en partageant son parcours : celui d’une jeune femme qui a surmonté les épreuves pour décrocher son diplôme dans un contexte de guerre génocidaire.
Traduit de l'anglais.

Poursuivre ses rêves dans l’ombre du génocide

Comment effaces-tu les scènes qui te hantent ? Les instants qui volent ton souffle et noient ton âme dans l’obscurité ?
Tu ne les effaces pas. Tu les portes. Tu marches avec eux. Et, d’une manière ou d’une autre, tu apprends à revivre.

Le jour où tout a basculé.

7 octobre 2023.

Le jour où ma vie s’est brisée en un avant et un après; le jour où mon monde s’est effondré, où a commencé un chemin de souffrance sans fin.
Ma famille et moi avons été forcés de fuir, laissant derrière nous ma ville, mon abri, ma chambre chargée de rêves et mon avenir que je croyais tracé.

Je me disais que ce n’était qu’un cauchemar. Qu’à tout instant, j’allais me réveiller dans ma chambre, entourée des papillons accrochés au mur, prête à entamer ma dernière année d’université. L’année que j’attendais. L’année où j’étais censée briller.

J’avais des projet: obtenir mon diplôme avec mention, commencer mon stage dans le cabinet d’avocats dont je rêvais depuis mon premier jour à la faculté, et me lancer dans une carrière dédiée à la justice et aux droits des femmes. J’étais passionnée, déterminée, inarrêtable.

Mais au lieu de cela, je me suis réveillée dans un monde où il ne restait rien. Pas même la version positive de moi-même.

Une vie de déplacements

Nous avons trouvé refuge dans une vieille petite chambre. Dix personnes entassées ensemble. Ma nièce avait six mois. Ma sœur aînée, six mois de grossesse. Mon père, en lutte contre le cancer. Et moi, en lutte contre le désespoir.
Deux mois plus tard, un autre déplacement. Nous avons fui vers Mwasi Rafah, un lieu sans eau, sans électricité, sans internet, sans véritable abri. Juste le vide. Ma grand-mère m’a serrée dans ses bras pendant que je pleurais, me soufflant au creux de l’oreille :

« Tu dois vivre forte. »

Six mois dans ces conditions rudes… puis, en une nuit, nous avons eu à peine quelques heures pour fuir une fois de plus. Cette fois, vers Mwasi Khan Younis, dans une pièce de stockage où le sol est devenu notre lit. Le lendemain matin, mon frère est parti pour Deir al-Balah, cherchant désespérément une petite chambre à louer.

Nous l’avons suivi, sans savoir si nous allions survivre. La route était déserte, bordée de chars. La mort nous fixait. Mais la miséricorde de Dieu nous a portés à travers.

La lutte pour mon rêve

À Deir al-Balah, j’ai pris une décision : je ne laisserai pas cette guerre voler mon éducation.

Pas d’électricité. Pas de vrais livres. Pas d’internet. Pas de courant. Seulement la foi. J’ai prié, supplié, cru. Et dans le chaos, j’ai étudié. Contre toute attente, j’ai passé mes examens et j’ai obtenu mon diplôme avec mention.

Parce que les rêves ne meurent pas, même quand les maisons s’effondrent.

Retourner à rien

Après des mois de déplacements, nous sommes enfin revenus à Gaza. Mais que restait-il de ma maison ? Des ruines. Des biens pillés. Un vide là où se tenait autrefois mon enfance.

Aujourd’hui, nous vivons dans la maison de ma sœur. Toujours dans l’incertitude, toujours à nous demander quand viendra le prochain déplacement. Mais je suis encore là. Debout. Vivante. Toujours à la poursuite du rêve que le génocide a tenté d’effacer.

Parce que la foi m’a maintenue en vie. Parce que j’ai refusé de laisser le désespoir vaincre. Parce que même dans la nuit la plus noire, j’ai cru en l’aube.


Tala, 22 ans.


Chasing Dreams in the Shadow of Genocide

How do you erase the scenes that haunt you? The moments that steal your breath and drown your soul in darkness? You don’t. You carry them. You walk with them. And somehow, you learn to live again.

The Day Everything Changed

October 7, 2023.

The day my life split in two the before and the after. The day my world collapsed and the journey of endless suffering began. My family and I were forced to flee, leaving behind my city, my sanctuary, my room full of dreams, and the life I thought I had secured. I told myself it was a nightmare. Any second now, I would wake up in my room, surrounded by the butterflies on my wall, ready to start my senior year at university. The year I had been waiting for. The year I was supposed to shine. I had plans. I was going to graduate with distinction, start training at the law firm I had dreamed of since my first day in college, and step into a career dedicated to justice and women’s rights. I was passionate, determined, unstoppable. But instead, I woke up to a world where nothing was left, not even the positive version of myself.

A Life in Displacement

We moved into a small, old room for safety. Ten of us, crammed together. My niece was six months old. My older sister, six months pregnant. My father, fighting cancer. And me fighting hopelessness. Two months later, displacement came again. We fled to Mwasi Rafah, a place with no water, no electricity, no internet, no real shelter. Just emptiness. My grandmother held me as I cried, whispering strength into my ears:

“You have to live strong.

Six months passed in those harsh conditions, until one night, we had only hours to flee again. This time to Mwasi Khan Younis, into a storage room where the ground became our bed. The next morning, my brother left for Deir al-Balah, searching desperately for a small room to rent.

We followed, not knowing if we would make it alive. The road we took was empty lined with tanks. Death stared us in the face. But God’s mercy carried us through.

Fighting for My Dream

In Deir al-Balah, I made a decision:

I will not let this war steal my education. No electricity. No proper books. No internet. No power. Just faith. I prayed, begged, and believed. And in the chaos, I studied. Against all odds, I passed my exams. I graduated with distinction. Because dreams don’t die even when homes do.

Returning to Nothing
After months of displacement, we finally returned to Gaza. But what was left of my home? Rubble. Looted belongings. A void where my childhood once stood.

Now, we live in my sister’s house, still uncertain, still wondering when the next displacement will come. But I am still here. Still standing. Still chasing the dream that genocide tried to erase.

Because faith kept me alive. Because I refused to let despair win. Because even in the darkest night, I believed in the dawn.
Tala NASHWAN

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