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Billet de blog 29 août 2025

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Le Vivre-ensemble ou Vivre ensemble ?

Dans le cadre d'un forum en Afrique il y a quelques années, on m'a demandé de partager mon expérience sur le thème : « Les Afriques pensent pluriel. la culture crée des carrefours où les humains échangent, dialoguent et trouvent des liens pour promouvoir le vivre-ensemble ». Je n'ai pas répondu à la question, perturbée par l'emploi de « Le Vivre-ensemble ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le Vivre-ensemble. Voilà un verbe infinitif substantivé, flanqué d’un adverbe, sournoisement enveloppé d’un article bien défini et figurez-vous qu’avec « Le Vivre-ensemble », cette insipide locution nominale, on prétend rétablir depuis quelques décennies l’harmonie dans le monde.
Et ce trait d’union. Une jonction en injonction.

Le Vivre-ensemble. Le groupe verbal enchaîne deux mots libres, à l'existence propre, pour les enfermer dans un concept clivant, vidé de substance, dénaturant à la fois la vie, la société et la vie en société.


Les langues sont des porteurs de cultures, elles sont nos discours, elles sont nos liens et nos liants, les langues, ce sont nos façons de raisonner, de conter, de rire, de chanter, de se moquer, de gronder, de séduire, de médire, de maudire, elles sont l’expression de cet état d’esprit singulier qui caractérise les peuples.

Et le choix de notre énonciation participe de l’harmonie du monde.

L’Afrique est riche de plus de 2000 langues, orales, écrites et trois langues transverses, francophones, arabophones  et anglophones notamment, et ses populations jonglent souvent naturellement entre plusieurs d’entre elles dans leurs discours.

Toutefois, les langues africaines demeurent des langues locales qui n’ont pas d’existence, ni même de légitimité dans le savoir et la pensée universelle, comme les sciences, etc, au profit de quelques langues dominantes dans le monde, anglais, français, arabe, espagnol, chinois… A la fois préservées, car exclues du phénomène de globalisation et d’uniformisation de la culture et des langues, elles demeurent toutefois en marge dans la transmission du savoir local pour l’inscrire dans les domaines universels.


En rétablissant la légitimité de nos langues et dialectes africains, en réinventant notre francophonie, notre anglophonie, notre arabophonie, en créant des liens entre elles, en explorant de nouveaux moyens de transmission et de diffusion de la pensée, du savoir, de la connaissance, en considérant nos langues autrement  que celles de pratiques, de savoirs locaux pour les inscrire dans les domaines du savoir universel et dans la société de connaissance, nous pourrions alors enrichir nos façons de penser, mieux, être acteur dans la vision du monde.


Créer notre sémantique, c’est habiter le monde avec nos mots, c’est passer de peuples qui « consomment » des mots, des idées, des concepts, à des peuples qui participent, raisonnent, argumentent, transmettent, diffusent aussi leurs mots, leurs façons de penser, leurs savoirs et dont on peut entendre les voix. C’est transmettre des modes de pensées, à la base de paradigmes qui alimenteront notre vision du monde et érigeront nos modèles de sociétés.

La culture est cette terre qu’on laboure. Que veut-on y cultiver ? Que veut-on récolter ensemble ? Quel modèle de soi, quel modèle de société ? 


Elle est là, l’Afrique plurielle, la culture qui crée des carrefours, du lien et du liant entre les afriques singulières. Nous sommes les artisans de notre terre, de nos façons de penser et de notre destin commun.
Elle est là, la culture, dans ce carrefour sémantique, entre la rencontre linguistique, qui peut nous rassembler, ou l’ignorance, qui peut nous séparer.

Oui, pourquoi pas simplement vivre ensemble, plutôt que "Le vivre-ensemble". Célébrer et non "promouvoir". "Promouvoir le vivre-ensemble…", pourquoi répliquer cette locution ? L’Afrique, forte de sa richesse linguistique peut mieux faire, non ?

Nous avons le pouvoir d’agir sur les expressions qui entrent peu à peu dans le langage commun, sur les mots que l’on veut employer aujourd’hui et ceux pour élever nos enfants demain.

« Sans changer notre façon de penser, nous ne seront pas capables de résoudre les problèmes créés par notre façon de penser », nous enseigne Einstein.


Le vivre-ensemble ou vivre ensemble ? Et vous alors, quels seraient vos mots ?

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