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Billet de blog 3 septembre 2020

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Les saisonniers de Lourdes s’organisent

L’ensemble des secteurs touchés par la crise du Covid ont pu d’une manière ou d’une autre bénéficier des aides versées par l'Etat et ainsi sauver les meubles. Le chômage partiel a été la règle pour bon nombre de salariés et tant mieux pour eux ! Mais il existe des salariés qui n’ont pu en bénéficier, car ils sont sans statut ou alors avec des statuts très précaires. Je veux attirer l’attention sur le cas des salariés saisonniers.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La crise du Covid-19 a mis en évidence bon nombre de dysfonctionnements de notre système social. Il en a été ainsi pour certains métiers qui jusqu’alors étaient aussi essentiels qu’oubliés. Je pense bien évidement aux personnels soignants qui en première ligne se sont mobilisés pour nous protéger, allant parfois jusqu’au sacrifice. Mais comment oublier tous les autres ? Du personnel de nettoyage pudiquement appelé "technicien de surface" jusqu’aux caissiers, chauffeurs livreurs ou d'autres branches vitales (énergie, alimentation, transport)... des travailleurs qui, malgré le danger ont continué d'assurer leur travail. Ce virus au-delà de sa dangerosité a eu le mérite de jeter la lumière sur tous ceux sans qui une société ne peut survivre. Comme on dit : chaque cercle vicieux est toujours accompagné d’un cercle vertueux; il faut juste être capable de le distinguer.

Aussi, cette crise a accéléré et accentué une autre crise, économique celle-là, qui était déjà là et qui accomplissait sa sale besogne en basculant par milliers, des gens dans la précarité la plus absolue. Elle n’a fait qu’aggraver le sort de millions de personnes à travers la planète, mais cela n’a pas empêché les grands de ce monde de s’enrichir encore plus tout en se plaignant de la perte de leur chiffre d’affaire et réclamant des compensations et des aides publics aux gouvernements. Que cet « argent magique », si rare pendant la longue grève des urgences coule aujourd’hui à flot pour « la sauvegarde des grandes entreprises » et alourdisse la dette publique ne les gêne pas beaucoup. Ils savent qu’il ne manquera pas des petites mains qui dans un avenir plus ou moins lointain seront condamnées à combler ce fossé. Les aides versées n’ont bien sûr pas empêché les licenciements par milliers. Comme d’habitude ces aides n’étaient absolument pas assorties de conditions pour éviter les pertes d’emploi. Par contre les contrôles les plus stricts ont été mis en place pour débusquer les « chômeurs feignants » et « les fraudeurs aux allocations familiales ». Espérons au moins que ces contrôles permettront de retrouver les ayants-droit au RSA qui ne le réclament pas (pour un montant évalué à 4 milliards d’euros !)

Face à cette situation, le gouvernement a été obligé de réagir. Il ne semble pas nécessaire ici de s’étendre sur la qualité de cette réaction ; ceci a déjà été largement documenté ; qu’il me soit juste permis d’insister sur un point: autant en matière d’aides aux entreprises le gouvernement a été diligent et efficace, autant pour les aspects sanitaires il s'est embourbé dans une cacophonie contagieuse. Cela a démontré encore une fois l’importance de l’économie face à la santé publique.

Revenons à notre crise Covid et son lot de destruction d’emplois.

L’ensemble des secteurs touchés a pu d’une manière ou d’une autre bénéficier des aides versées par l'Etat et ainsi sauver les meubles. Le chômage partiel a été la règle pour bon nombre de salariés et tant mieux pour eux ! Néanmoins il existe des salariés qui n’ont pas pu en bénéficier car ils sont sans statuts ou alors avec des statuts très précaires. Je veux attirer l’attention sur le cas des salariés saisonniers. Ces employés n’étant pas encore sous contrat au moment du confinement n’ont donc pas pu profiter de cette mesure. Sur l’ensemble de ces saisonniers, certains ont pu reprendre la saison ; je pense aux collègues travaillant en montagne et sur les côtes. Mais nous connaissons d’autres endroits où le travail n’a pas repris. Voici une ville qui avec près de 2500 salariés saisonniers n’a pas pu reprendre son activité : Lourdes, cité Mariale et ville d’espoir. Avec une baisse de 80% de la fréquentation due à la crise Covid, peu d’établissements ont pu reprendre leurs activités et vu l’absence de visibilité économique, cette petite reprise s’est effectuée avec un minimum de personnel. Nous avons eu droit quand même à une visite ministérielle, avec tout l’espoir que ceci pouvait susciter chez certains collègues. Collés à l’écran, nous attendions les annonces et elles sont arrivées : Plan de relance pour la ville et prolongation du chômage partiel. Mais parler du chômage partiel dans une ville qui abrite 2500 salariés hors contrat au moment du confinement, c’est-à-dire au chômage, relève plutôt d’un manque de connaissance du contexte local. En effet le chômage partiel ne concerne que peu de gens, en tout cas très peu dans le tourisme à Lourdes.

Face à l’absurdité de cette situation et suite à la création d’une page Facebook (Fév. 2020) un appel a été lancé pour un premier rassemblement en vue d’échanger autour de ce problème. Ce rassemblement a été interdit par la Préfecture, en revanche M. Thierry Lavit, maire nouvellement élu, a proposé de nous recevoir en délégation pour discuter du problème et conscient de notre situation, il nous a assuré de son soutien et nous a également informé qu’il avait parlé du problème spécifique des saisonniers de Lourdes à M. Le maire. Lors de cette réunion nous avons pu discuter avec M. Lavit de nos problèmes et lui avons exposé la détresse de l’ensemble des saisonniers oubliés par les mesures gouvernementales. Mr Lavit nous a alors assuré qu’il fera de son mieux pour porter notre voix auprès des responsables au niveau national. Nous, qui avions le souci de mobiliser un plus grand nombre de collègues autour de cette initiative, lui avons demandé un local afin de réunir les saisonniers et discuter avec eux. C’est ainsi que nous avons pu obtenir un local, ce qui nous a permis de réunir près de 90 collègues le vendredi 21 août.

Ce premier rassemblement a donné lieu à des échanges chargés d’émotions et d’enseignement pour tous. En effet des cas très préoccupants de précarité ont apparu. Des personnes en fin de droits, d’autres risquant l’expulsion de leur logement ainsi que des personnes ayant perdu leurs couverture mutuelle santé... etc. Décision a alors été prise de faire immédiatement appel aux dons pour répondre à l’urgence alimentaire. Une Banque alimentaire a été mise en place dès le mardi suivant. Nous avons également à travers nos discussions esquisser nos premières revendications, à savoir :

  • Pouvoir bénéficier du chômage partiel au même titre que l’ensemble des salariés du pays, car nous nous sommes trouvés au chômage par décision sanitaire de l’État. (Financé à 100% par l’Etat) ;
  • Pouvoir bénéficier de la portabilité de la couverture mutuelle, car comment imaginer perdre une partie de la couverture santé pendant une crise sanitaire ?

Depuis cette première réunion nous tenons une permanence trois jours par semaine afin de pouvoir continuer à défendre notre cause et aussi pour sortir de l’isolement qui nous est imposé par la précarité et le chômage. La réception des dons alimentaires qui nous sont amenés la plupart du temps par des particuliers nous remplit d’émotions et de gratitude. La distribution aux collègues se fait dans la discrétion la plus absolue pour des raisons que chacun peut comprendre. Une relation a été mise en place avec la CCAS de Lourdes pour qu’ils puissent traiter les cas les plus urgents. Le collectif accompagne des saisonniers lors de certains rendez-vous pour pallier aux problèmes de langue.

Nous avons également pris contact avec les médias locaux et régionaux pour que tout le monde puisse nous entendre. A ce jour, quelques articles ont été publiés au niveau local et régional.

D’autres contacts ont été effectués auprès des responsables régionaux, c’est ainsi que nous avons pu obtenir deux rendez-vous importants :

-Avec Madame la députée Jeanine Dubié, qui devrait nous recevra très prochainement ; ainsi que Madame la Sénatrice Viviane Aritgalas.

- d'autres demandes de rendez-vous ont été déposées notamment Auprès de la préfecture dans le but de pouvoir rencontrer Monsieur Rodrigue Furcy, nouveau préfet des hautes Pyrénées.

Il est important de comprendre la spécificité du métier de saisonnier à Lourdes. La saison lourdaise est la plus longue saison touristique en France ; pour certains elle peut durer entre 7 et 9 mois, ce qui empêche les gens de cumuler 2 saisons mer et montagne. Les métiers de tourisme y sont exercés dans des conditions très particulières. Ce tourisme tourne essentiellement autour des sanctuaires avec une clientèle composée à 80% de personnes âgées et souvent dépendants ce qui nécessite des compétences set des méthodes qu’on ne peut acquérir que sur le tas et sur place. En ce sens nous pouvons affirmer qu’être saisonnier à Lourdes est un métier très spécifique. Si rien n’est fait pour préserver les compétences acquises, beaucoup vont quitter la région à la recherche d’emploi, ce qui, à terme entrainerait l’appauvrissement de toute la ville en terme de compétences et d’expérience.

En outre, la perte du pouvoir d’achat que nous subissons a des effets immédiats sur le commerce local. Aussi, il ne faut pas oublier tous les autres métiers qui viennent se greffer à la saison touristique.

En résumé, il est important que notre voix soit entendue et raisonne comme le cri de détresse de toute une ville.

En attendant, nous restons mobilisés et prenons l’engagement de ne laisser personne au bord de la route et dans l’oubli. Conscients de la difficulté de la tâche, nous nous sentons portés par les témoignages de sympathie et de soutien de la population.

Asgari, Collectif des saisonnier.es de Lourdes et de la vallée

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