Pour lire la présentation du roman « LE CHOC DES OMBRES » ainsi que les résumés des extraits précédents, se rendre ci-dessous, à la suite de la page 133
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Aujourd’hui extrait 9 (pages 125 à 133):
Le soleil de Beyrouth dérive progressivement d’est en ouest, le ciel peu à peu se charge, et l’obscurité s’installe sur Chiayah, El-Horch, la Cité sportive défigurée, mais encore debout et sur le flanc est des camps palestiniens. Charly et son groupe sont postés derrière l’hôpital, à la lisière de Sabra, sur Tarik Jdideh. Des équipes de commandement israéliennes installées sur des terrasses d’immeubles depuis la veille, mercredi, surveillent tous les quartiers autour du stade. Les tanks de Tsahal encerclent les camps. Les Israéliens contrôlent toutes les routes, tous les carrefours des alentours. Charly se réjouit « les terroristes sont faits comme des melons ». Le plan Moah barzel, Cerveau de fer, fut mis en branle à la mi-septembre. Il s’accélère deux jours avant Rosh Hashana.
À la vue des deux drapeaux croisés peints sur la grande façade du mur de Dar Al Ajaza, l’un représentant Israël, l’autre les Kataëb, puissamment éclairés par les phares d’un engin militaire qui se dirige vers l’entrée du camp, Charly est parcouru d’une agréable sensation. Il a une pensée pour les siens et se promet de les appeler aussitôt qu’il le pourrait. Il se voit en soldat conquérant de la liberté, à Verdun peut-être ou à Canton. Deux phrases de Drieu qu’il avait relues la veille lui reviennent à l’esprit. Il se convainc qu’il lui faut les noter sur son calepin : « Enfant, à cause de la splendeur des images, j’ai préféré les pays exotiques à ma patrie. Son sol et son ciel étaient trop modestes. » Deux semaines auparavant, plus de quinze mille Palestiniens, avec à leur tête Yasser Arafat, étaient expulsés du Liban. Défaits. Charly et ses camarades n’ont aucune difficulté à éliminer les poches restantes. Chaque Palestinien sur la terre du Liban libre et ailleurs, doit payer l’assassinat du président Gemayel. Certains membres des Phalanges K. intègrent le groupe israélien Sayeret Mat’Kal que dirige Beni Elhem — un membre de la lignée des Hashomer réputés va-t-en-guerre. Charly en fait partie. L’incorporation se fit avec l’accord formel des responsables des Phalanges K. Charly et ses compères portent des vêtements civils et des sacs à dos, sans signe distinctif. D’autres groupes arborent les insignes des milices des Forces libanaises, ou des écussons avec l’emblème du Liban, le cèdre, comme les membres de l’armée libanaise dissidente de l’ALS de Saad Haddad contrôlée par Tsahal. D’autres portent des crêpes noirs.
Le ciel au-dessus des ruelles des camps palestiniens s’ambre totalement. L’obscurité qui s’installe progressivement tout autour de la Cité sportive et du cimetière absorbe, indifférente, l’effervescence du jour. Elle réduit à néant l’agitation ordinaire, celle des voitures, des foules, des marchés. Pas celle du ciel tourmenté ni celle du feu. Au milieu de la chaussée, de nombreuses voitures avec des impacts de balles sur les pare-brise, les portières grandes ouvertes, les capots, sont abandonnées. Cinq jeunes qui sortent du cinéma de quartier où ils mettaient en scène des poèmes de Mahmoud Darwich ont juste le temps de se faufiler hors du camp.
(Sa ya’ti barabara akharoun… Les tambours rouleront et d’autres barbares viendront. La femme de l’empereur sera enlevée chez lui / Et dans ses appartements, prendra naissance l’expédition pour ramener la favorite au lit de son maître. / En quoi cela nous concerne-t-il ? En quoi, cinquante mille tués seraient-ils concernés par cette noce hâtive ?)
Le cinéma est à moitié détruit. Les troupes pénètrent dans Sabra et Chatila par le sud, à 18 h, peu après la coupure programmée d’électricité. On ne voit guère que des ombres courbées aux dos proéminents. Elles avancent en file indienne. Un silence circonstanciel recouvre peu après toute la zone, le temps d’une longue respiration ou d’une interminable prière avant l’agonie. D’autres groupes, comme ceux du Jihaz de Habika, entrent par les portes ouest. Ils avancent dans les ruelles bordées de petites maisons d’un ou de deux étages, parfois inachevées ou détruites. Des masques d’une intense laideur sont dessinés sur leurs visages. C’est que ces ombres sophistiquées, surarmées, viendraient à bout des plus téméraires des humbles. Sur le toit de certaines maisons, des briques sont posées, comme abandonnées près de tiges de fer à béton déformées. Des fils électriques se balancent un peu partout. Certains finissent dans l’entrebâillement d’une porte, d’une fenêtre, d’autres tombent sur les toits. Les Israéliens occupent l’hôpital de Acca. Des balles traçantes se mettent à siffler, annonçant la fin attendue du silence comme on annoncerait le début de l’estocade dans une arène aux gradins archicombles suspendus à l’épée du torero, car tous savaient le silence provisoire. Des trombes d’eau tombées elles aussi du ciel se déversent sur les quartiers. On entend des tirs d’armes automatiques avant l’explosion générale. Des Bulldozers Aleph parcourent les zones d’ouest à nord. Des fusées que des unités israéliennes tirent à partir des terrasses d’immeubles avec les mortiers IDS de 81 millimètres éclairent les Sayeret Mat’Kal, appuyées par les milliers de torches au magnésium que répandent les avions. Il fait aussi clair qu’un matin de juin, un matin de tous les possibles, au bord du lac Moraine ou d’une bouche du Kilauea. Les instructions ne prêtent à aucune équivoque : « tirez sur tout ce qui bouge. S’il le faut, exécutez les fœtus dans les entrailles de leur mère ». Elles émanent de Raphaël Sheytan le Rav halouf, de ses proches et des subalternes. Elles ruissellent du sommet de la pyramide à sa base, du général — halouf — au halouf mishne, au sgan halouf, aux rav samal et samal,
(cf suite en page 128)
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