Nous habitions Rue des Moines dans le 17°. C’était entre 1977 et 1979. Khomeiny à Neauphle-Le-Château savourait par anticipation la défaite à venir du Shah et Soulas dans Libé (je lisais ce journal à l'époque) le croquait déjà. Vincennes bouillonnait. Sa mise à mort était écrite. Jean Seberg adressait une « lettre d’amour aux camés » Le Ciné-club, sur FR3, était une de nos émissions préférées. Il y avait aussi Apostrophe (ah le générique !) sur Antenne 2, animée par Bernard Pivot, le vendredi. Etait-ce sur FR3, était-ce sur Antenne2, était-ce sur la première chaîne, peut-être chez Pivot, mais je ne saurais le dire aujourd’hui avec exactitude. Par contre ce que je peux affirmer c’est que, d’emblée, j’ai éprouvé un sentiment très fort à l’égard de ce grand jeune homme qui avait beaucoup de choses à dire, mais qui, manifestement, ne les disait pas sans grandes difficultés. Cela m’avait très touché, fortement ébranlé. C’est ainsi que je découvrais Patrick Modiano. Il était venu parler de son roman (si mes souvenirs ne me trahissent pas) : « Rue des boutiques obscures » que je suis allé acheter les jours suivants et le dédiais à mon amie pour son anniversaire. « Le soir est tombé. Le lagon s’éteignait peu à peu à mesure que sa couleur verte se résorbait. Sur l’eau couraient encore des ombres gris mauve, en une vague phosphorescence. J’ai sorti de ma poche, machinalement, les photos de nous que je voulais montrer à Freddie, et parmi celles-ci, la photo de Gay Orlow, petite fille. Je n’avais pas remarqué jusque – là qu’elle pleurait. On le devinait à un froncement de ses sourcils. Un instant, mes pensées m’ont emporté loin de ce lagon, à l’autre bout du monde, dans une station balnéaire de la Russie du Sud où la photo avait été prise, il y a longtemps. Une petite fille rentre de la plage, au crépuscule, avec sa mère. Elle pleure pour rien, parce qu’elle aurait voulu continuer de jouer. Elle s’éloigne. Elle a tourné le coin de la rue, et nos vies ne sont-elles pas aussi rapides à se dissiper dans le soir que ce chagrin d’enfant ? »
Aujourd’hui je ne vis plus à Paris, Libé a disparu, Seberg aussi, mais j’admire toujours Patrick Modiano, pour les raisons indiquées, mais aussi pour ses écrits. J’ai lu plusieurs de ses romans. Demain J’achèterai le Quatro qui lui est consacré.
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