La présentation du roman "LE CHOC DES OMBRES" et les résumés des extraits précédents se trouvent en fin de texte
Aujourd’hui extrait 8 (pages 112 à 124):
Charly commande un autre « café italien » dans la brasserie Monot, derrière l’église du Saint-Sauveur. Il se sent définitivement heureux, car il vient d’apprendre qu’il est « officiellement affecté au groupe des Phalanges K. à compter du… » Il repense à la longue veillée fortement arrosée avec Kaleb et à sa promesse tenue, « je m’en charge » lui avait-il dit. Il ouvre son carnet pour y porter telles quelles les notes qu’il avait prises sur un bout de feuille cartonnée lors de la soirée, il était très tard : « L’ébriété se manifeste chez moi de deux façons, selon que j’ai bu en compagnie de tels gars ou de tels autres. Tantôt la soûlerie m’extrait de mon réel, m’éloigne de ma perception habituelle du monde, la rendant hideuse, tantôt au contraire, elle renforce mes attitudes et comportements. Celle qui m’arrache un temps de ma lucidité et par conséquent des ‘‘bas-fonds de la vulgarité dans lesquels me plonge la haine que j’ai de l’islam et des musulmans’’, comme ils disent ! (Oui je les déteste au-delà de la haine, et je l’exprime dès que je le peux en actionnant la détente de mon nouvel engin, le AK47), cette ivresse-là me fait rire sans retenue, enlacer des inconnus, les embrasser, moi l’obsédé de l’ordre, de la pureté et de la rigueur. C’est pourquoi, pour les maintenir intactes, voire renforcer mes convictions judéo-chrétiennes, je m’abstiendrais de boire avec les gris, les pas clairs. Cela n’est pas toujours aisé, on ne maîtrise pas toutes les situations. Kaleb est clair comme une eau de roche. »
En face de Charly, un homme portant une casquette et une écharpe noires, en coton, lit L’Orient-Le jour. L’assassinat de Sadat fait encore l’objet d’articles en une. Un autre papier traite de la récente rencontre à Bagdad entre Tarek Aziz et deux émissaires libanais, Élie Hobeika et Zahi Boustani.
Au début du mois, l’avion de la compagnie El-Al dans lequel se trouvait Charly atterrissait à Tel-Aviv. C’était le premier jour de novembre en début d’après-midi, le temps frisait la canicule avec un ciel par endroit couvert d’un voile laiteux, faussement limpide. Charly revenait en Israël le cœur léger. L’année sabbatique lui fut accordée. Il l’avait demandée au lendemain de l’élection présidentielle, « sur un coup de tête » ment-il. La décision de quitter la France, il y avait longuement réfléchi. Mais la victoire de Mitterrand, il n’y croyait pas. Il ne l’envisageait même pas. Le dimanche soir du deuxième tour de l’élection, au moment de la diffusion des résultats, il était assis dans le fauteuil du salon de l’appartement de ses parents, à côté d’eux. Comme eux, Mimoun avait voté pour Giscard d’Estaing au second tour, faute de candidat plus à même de mieux le représenter. Au premier il avait voté pour Jean-Marie Le Pen. Il le détestait, mais il disait pour se défendre « l’ennemi de mes ennemis est mon ami ». Tous les trois avaient, pendant les dix dernières minutes, gardé le silence, entièrement accrochés aux paroles des journalistes qui ne disaient rien d’important jusqu’à 20 heures précises. Yacoub et Yvette préférèrent s’éloigner de ces ambiances politiques, elle chez une amie dans le quartier, lui au Wepler qui projetait Mon oncle d’Amérique. Lorsqu’apparut le portrait électronique du vainqueur sur l’écran d’Antenne2 et lorsqu’il entendit Elkabbach déclarer, le visage blême et la gorge nouée, « François Miterrand est élu président de la République » et Mougeotte confirmer « François Mitterrand 51,7 % », Charly vacilla. Sa mère se couvrit le visage des deux mains. Son père se leva et quitta le salon. Le corps de Charly fut parcouru d’un long frisson. Une sensation fortement désagréable le secoua. On eut dit qu’on avait glissé dans son dos non pas un, mais plusieurs gros cubes de glaçons. Il demeura de longues secondes comme pétrifié. Il avait prévu de sortir, mais il se ravisa. Il changea de chaîne. Sur l’écran de TF1 s’affichaient les mêmes taux avancés par sa concurrente chaîne publique, se confirmaient. Dihia ne disait plus rien. Elle se leva et alla rejoindre sa chambre à coucher avec une petite radio à piles. Les semaines suivantes furent exécrables et chaque jour qui passait suppliciait Charly plus que le précédent. Il ne supportait ni les commentaires de ses collègues de travail ni ceux de la presse. Le mois de mai ne s’était pas entièrement déroulé lorsqu’il formula une demande de congé sabbatique d’une année, onze mois, « pour convenance personnelle » précisait-il aux collègues indiscrets. Elle lui fut accordée sans difficulté. Charly eut, au moment de la réception du document qui le libérait, une pensée pour Jacques Doinas.
Dans l’aéroport juif, la chaleur était accablante, la climatisation aléatoire. On s’essuyait, on s’éventait, on buvait ou on s’aspergeait d’eau. Aussitôt passées les formalités douanières et policières, Charly se retrouva dans la longue file d’attente d’un taxi. Il arriva à la Central bus station dans l’heure qui suivait. Il était convaincu que les assourdissants ronflements des moteurs et les polluants gaz d’échappement accroissaient la température. Dans le hall, des dizaines de personnes déambulaient, amorphes, parfois avec dans une main un mouchoir pour s’éponger le visage et dans l’autre un baluchon, une valise ou rien. Charly acheta un billet pour « la ville de son adolescence » puis monta dans l’autocar. Il dit toujours « Ashdod est la ville de mon adolescence », ce qui est faux. En réalité il n’y a passé que trois années et demie, mais Ashdod occupe une place particulière dans son cœur. Après ses derniers voyages en Israël, il s’en est voulu de l’avoir ignorée. Il s’installa à la première place, à droite du
(cf page 115)
_____________________
La suite se trouve ici, sur mon blog :
https://leblogdeahmedhanifi.blogspot.fr/2018/01/595-le-choc-des-ombres-extrait-n-08.html