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Billet de blog 7 mai 2023

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Amendes et détention : comment la machine judiciaire réprime l'insurrection qui vient

Cinq manifestants du 1er Mai sont actuellement en détention provisoire à Paris. J'ai le coeur noué en apprenant cela. Moi-même, à j'ai dû faire les frais de cette politique répressive : guet-apens, délit de faciès, 135h de privation de liberté, deux contrôles judiciaires, deux procès, tout ça depuis le 49.3.

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Le 49.3 a été un déclencheur. Le déclencheur d'une colère inédite en France. Plus profonde que celle des Gilets jaunes probablement, ou plutôt dans la continuité de cette colère. 

Les manifestations spontanées massives dans les villes du pays étaient et sont toujours une peur bleue du régime.

Illustration 1

Comment empêcher un peuple en colère de prendre l'Elysée ?

La foule, que Monsieur Macron semble honnir, est capable de venir le chercher. C'est cela dont il est question. Comment l'en empêcher ? Tapez trop fort et vous ferez des martyrs, des morts et la crise de régime s'approfondira et dégénèrera jusqu'à ce que les forces de répression fassent acte de sédition et ne répondent plus aux ordres. A l'inverse, tapez avec trop de mollesse et la foule en colère, qui demande avant tout du pain et de la démocratie, ne rentrera pas chez elle et restera dans les rues de France jusqu'à ce que le tyran s'en aille.

La colère actuelle en France est bien comparable à celle qui s'est déployée lors des printemps arabes. La colère de l'absence d'avenir, la colère qui se cristallise, non plus sur les fonctionnaires, ni même sur les flics, pas plus encore sur les parlementaires mais directement sur le chef de l'Etat, ses partisans et sur tout ce qu'il représente. Une colère qu'on ne peut plus cantonner au "lumpen prolétariat", toujours en colère, aux éléments dissidents habituels ; "l'ultragauche", les "ultrajaunes". La colère prend une majorité de la classe laborieuse. "Macron démission" est un slogan qui fédère cette France-là, martyre du capitalisme, des classes populaires aux classes moyennes.

Le soir du 49.3, j'étais dans les rues parisiennes, comme à mon habitude. J'ai vu une foule composite et jeune s'agglomérer Place de la Concorde par milliers, ancienne place de la Révolution, aux chants de "Louis XVI, Louis XVI, on l'a décapité, Macron, Macron, on peut recommencer" et "Révolution". Ce jour-là, Emmanuel Macron a ouvert une boîte de Pandore démocratique.

Que pouvait faire Macron ? Il a tué la démocratie, pouvait-il tuer le mouvement le plus long depuis la Révolution ? Comment faire pour empêcher cette foule d'aller jusqu'au 55 rue du Faubourg Saint-Honoré, dans le même arrondissement ? Il ne pouvait pas faire comme son ami et client Al-Sissi, président égyptien et témoin des soulèvements arabes, et ériger une nouvelle capitale bunkerisée, Le Nouveau Caire, à 20 kilomètres. Premièrement parce que Versailles, on a déjà donné. Deuxièmement parce qu'il n'avait plus le temps. La foule était déjà là. Alors, il reste une seule solution : la riposte.

La réponse répressive

"Terroristes d'ultra-gauche", "tueurs de flics", les mots du pouvoir sont de plus en plus durs pour qualifier ses opposants politiques. Mais ne croyez pas que l'escalade des mots est seulement une bataille communicationnelle pour décrédibiliser le mouvement. Les feux de poubelles et vitrines brisées que décrient les éditorialistes n'ont en rien terni l'image du mouvement social. On apprenait en avril qu'au contraire, la population soutenait encore de manière écrasante les manifestants, mais que 53% des Français avaient peur de manifester (Sondage Yougov pour LeHuffPost). La machine répressive semblait avoir fonctionné pour réprimer la révolte post-49.3, mais quelle est-elle ?

Au delà des violences policières, largement documentées, une machine judiciaire se met en place pour criminaliser la contestation sociale.

Amendes, gardes à vues arbitraires, comparutions immédiates, fichage, détention provisoire, avertissement pénal probatoire : l'attirail judiciaire est important.

Le 18 mars, je manifestais contre le 49.3, dans les manifestations qui animaient les villes de France depuis 2 jours et 3 nuits. Pour la démocratie. J'ai eu le droit à ce qui s'apparente ni plus ni moins à une rafle de manifestants. On encercle et on arrête, sans distinction. Bien-sûr, cela n'a rien de comparable avec les rafles du régime de Vichy, mais reste est que dans une démocratie libérale, on ne rafle pas. On arrête si l'on a des éléments. Les vidéos du bus de garde à vue ont fait le tour des médias, de Paris jusqu'à Genève. Je suis sorti au bout de 14h de garde à vue sans audition. Malgré les heures passés en cellule, honnêtement et dit en terme fleuri, j'en avais rien à foutre. Je suis sorti, j'ai posté une photo sur mes réseaux sociaux : "sortie de garde à vue, tout est carré😳". La machine m'a appris plus tard qu'elle était un hydre assez coriace.

Deuxième garde à vue douze heures après. Comme en un laps de temps de douze heures, je n'ai pas eu le temps de finir ma formation de terroriste d'extrême-gauche, le parquet, cette fois de Nanterre, n'avait toujours aucun élément matériel contre moi. Je leur ai laissé fouiller mon téléphone, rien trouvé. J'ai beau leur expliquer que je ne souhaitais pas commettre des dégradations et ne connaissais pas les personnes qui ont été arrêtées ce soir-là, rien n'y fait. J'ai su les résultats du vote de la motion de censure, dans un bureau d'officier de police judiciaire. 

Un contrôle judiciaire et un téléphone confisqué plus tard, je reprenais le chemin de chez moi en attente de mon procès de septembre (cagnotte ici). Dépité après plus de soixante heures de GAV en un weekend, mais la machine ne m'avait toujours pas découragé. 19 ans, toutes mes dents, j'ai rejoint le collectif Stop Gav pour lutter contre ces privations de liberté arbitraires. Je me souvenais des mots d'un co-prévenu : "vos conditions de garde à vue, c'était pire que la prison". J'ai eu l'occasion d'expliquer mes mésaventures chez Al Jazeera et dans la TV suisse notamment. Je pensais que c'était fini. Les manifestations spontanées avaient décru. Mais le mouvement social continuait, et j'en étais heureux. J'ai été à la manifestation du 23 mars, seulement deux jours après avoir retrouvé la liberté. C'était la manifestation parisienne la plus massive que j'ai jamais vue. 

Le 14 avril, soir de la décision du Conseil Constitutionnel, je vais au rassemblement à l'Hôtel de Ville de Paris. Une foule compacte se crée. J'ai des souvenirs du 16 mars. Apparemment, la police aussi s'en souvient car ce soir-là, la machine répressive accélère la cadence. Je croise Souleyman, avec qui j'ai été à l'Assemblée pour dénoncer les agissements de la BAC et de la BRAV-M. On va à Saint-Lazare. Une foule est nassée et verbalisée pour "rassemblement non-déclaré". On croise une fille qui avait été raflée avec moi le soir du 18 mars. 

On redescend vers Concorde, des policiers en civil, se faisant passer pour des personnes violentes, me mettent la pression pour me masquer et brûler une poubelle, puis nous arrêtent et le procès verbal fuite dans la presse bourgeoise. J'ai depuis déposé plainte à l'IGPN. 

Je passe les 48h de garde à vue avec Grégoire, un manifestant interpellé à coté d'un feu de poubelle et victime d'un faux PV, et Souleyman, libéré finalement. Ils ont été témoins du fait qu'on m'a prélevé mon ADN sans mon consentement et tenté de me mettre tout nu.

48h de GAV et un passage au tribunal plus tard, je rencontre Aniss, un étudiant de mon université, déféré au tribunal avec moi à cause d'un faux PV (nb : le faux en écriture publique est un crime). J'apprends à la sortie du tribunal qu'on lui a collé un avertissement pénal probatoire (APP) sans lui dire ce que c'était ! Il a donc reconnu sa culpabilité pour un fait qu'il n'a pas commis, doit payer 150 euros, alors même qu'il avait été arrêté au faciès car il est "rebeu". De plus, on ne peut pas faire appel d'un APP. Démocratie, vous dites ?

Aniss, déféré suite à une arrestation au faciès © Blast

Après une comparution immédiate, j'obtiens le renvoi. Je serai jugé le 22 mai. Serein. La lutte continue.

J'écrivais dans ma dernière note de blog que l'on sortait toujours du tribunal. C'était un jugement erroné, ou du moins incomplet. Certains n'en sont pas sortis par la même porte que moi. Cinq camarades, derniers déférés du Premier Mai, ont été places en détention provisoire, en attente de leur comparution immediate mardi prochain. Ils dorment en maison d'arrêt, décision d'un juge unique, sous prétexte qu'il y avait trop de manifestants jugés pour les juger tous vendredi. 

Je ne remettrai pas en cause ce juge des libertés et de la détention. Qu'il soit servile ou non vis-à-vis du parquet ne m'intéresse pas. Seulement sa décision m'intéresse. Et c'est lunaire. On prive toujours plus de liberté car on a privé trop de gens de liberté. Bienvenue en démocratie.

La machine judiciaire fait du mal, soutenons-les. La répression renchérit alors nous aussi. Rendez-vous le 9 mai à 13h30 devant le Tribunal de Paris (Porte de Clichy).

Si le pouvoir est féroce, c'est parce qu'il est fébrile. Ils n'ont lavé les péchés de la Commune qu'en érigeant le Sacré-Coeur, ils n'enterreront pas le mouvement social grâce aux JO. Avançons vers la victoire !

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