Aimé-Céleste KAREGE (avatar)

Aimé-Céleste KAREGE

Étudiant•e en droit-philo

Abonné·e de Mediapart

3 Billets

0 Édition

Billet de blog 22 avril 2023

Aimé-Céleste KAREGE (avatar)

Aimé-Céleste KAREGE

Étudiant•e en droit-philo

Abonné·e de Mediapart

Stupeur, espoir et incompréhension, la crise de la démocratie française vue d'Europe

« How is it going with defeating [Macron] ? » me demandait une amie de Tartu (Estonie). « Faut tout casser ! Signé un ami belge ». Je me présente. Je m'appelle Aimé-Céleste et j'ai 19 ans, dans la France d'Emmanuel Macron. En un mois, j'ai subi 135 heures de rétentions abusives. Avant cela, je naviguais en Europe. Mais le sujet, ce n'est pas moi, ni mon histoire mais ce que j'y ai appris.

Aimé-Céleste KAREGE (avatar)

Aimé-Céleste KAREGE

Étudiant•e en droit-philo

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1


Le 16 mars, Elisabeth BORNE, d'un ton tremblant, annonçait le recours au 49.3, une procédure inexistante dans la plupart des démocraties d'Europe. Le 14 avril, le Conseil constitutionnel validait la réforme des retraites malgré les oppositions des syndicats, des parlementaires, des associations, de l'opinion publique.

Une réforme vue de l'étranger

Deux événements qui marqueront probablement l'histoire social du pays, tant la brutalité a été la règle. Depuis, le 10 janvier, annonce de la réforme, j'en parle à mes camarades étrangers, espagnols, tchèques, autrichiens, norvégiens, danois, néerlandais, belges, estoniens. Tous sont unanimes, ont le même avis : "how terrible!". 

Comment est-il possible de faire passer une réforme pareille au mépris de l'avis de 90% des actifs ? 

Le 2 mars, je rentre des Pays-Bas. Après avoir passé un séjour chez un-e hôte néerlandais avec une amie estonienne, on me parle de la pensioen hervorming, la réforme des retraites en faisant de la pâtisserie. Ils me parlent de leurs proches en France, des manifestations géantes. J'ai fini mon tour d'Europe. La maison m'appelle pour la grève générale.

Si l'on en croit les médias bourgeois ici, de l'incompréhension flotterait dans l'air en Europe, pourquoi donc la France se révolte là où les peuples d'Europe partent à 65, 67 ans ? Le peuple français serait la risée de l'Europe, plus fainéants que les germaniques, plus irrévérencieux que les latins, plus capricieux que les slaves. Un pays à qui il manque un roi, selon Son Excellence Emmanuel Macron. Les gaulois réfractaires sont les Ducobu européens. 

Pour avoir été à travers une douzaine de pays (Espagne, Luxembourg, Pays-Bas, Maroc, Norvège, Danemark, Belgique, Allemagne, Autriche Tchéquie, Slovaquie) depuis la réélection d'Emmanuel Macron, sans programme si ce n'est le Travail jusqu'à la tombe, je n'ai reçu qu'une seule remarque pareille. Venant d'une proche danoise. Pays où les conditions de travail n'ont rien à voir avec celles de la France. Elle finira par voir la répression policière et changer d'avis. Du reste, des marques de respect pour la lutte du peuple français, pour ses pensions, pour sa forme d'action, la grève générale, morte dans bien des pays, pour ses syndicats, pour sa gauche révolutionnaire. Cependant, les éditorialistes de plateau n'ont pas totalement tort. Le prolétariat de France étonne.

Partout en Europe, les réformes des retraites sont passées sans encombre, ou presque, d'un point de vue français. La contestation larvée et massive depuis maintenant 3 mois et demi détonne dans le paysage politique européen. C'est vrai. Et de ce que j'ai compris, pour le mieux, cette mobilisation offre un bol d'air frais aux travailleurs partout en Europe. Une victoire en France marquerait un précédent. C'en serait fini des réformes à répétition. Allemagne, Danemark, les gouvernants préparent la retraite à 70 ans, qui peut croire que l'on peut se lever à 5h à un âge où bien des nôtres sont déjà morts du travail ? Même au Danemark, pays des plus riches d'UE, la jeunesse se cherche, remet en question le travail, erre dans les squats de Christiania, contemple avec amertume le dur labeur des travailleurs qui prennent chaque jour le S-Tog pour aller d'Ishøj à København H.

Alors, la France, recordwoman de morts aux travail doit offrir une victoire à l'Europe, pour sortir du cycle néolibéral, pour donner envie aux peuples de se lever face aux brutalités du capitalisme. Si la lutte française étonne, c'est la répression étatique qui répugne.

Une répression vue de l'étranger

J'évoquerai cela dans un prochain article, mes trois gardes à vue en un mois. La première pour rien, la deuxième pour délit de port de capuche et la troisième due à un stratagème policier pour appréhender Souleyman, étudiant qui a osé lever la tête face à la brutalité et les violences sexuelles de la Brav-m. Cent-trente-cinq heures de privation de liberté, ça marque l'esprit. En un mois encore plus. "C'est pire que la prison", m'a dit un taulard. Les briques de jus et les pâtes aux champignons m'ont dégouté.

"La GAV n'a rien d'amusant, en plus maman finit déçue", selon Kerchak. Je partage ce point de vue. Ma mère vit en France, une France qu'elle aperçoit d'un regard binational. Je l'inclus ici cependant. Que ressent-on, en tant que réfugiée, lorsque l'on voit son enfant à la télé aligné contre un mur dans un square du 13e arrondissement (vidéo), pour être parqué dans un bus d'interpellés ? De la peur. A mes deux premières gardes à vues, la colère a pris le pas sur la peur et elle est allée manifester. Ni une ni deux, la police gaze le cortège de la CFDT. Merci Macron. 

Depuis, j'ai eu l'occasion de témoigner dans des tweets (le plus récent ici) vus une dizaine de millions de fois, sur tout ça. J'ai deux procès politiques, un le 22 mai à Paris, un autre le 7 septembre à Nanterre. Merci à Maître Baudelin et la Legal Team pour leur défense (cagnotte ici). Et quand je demande des explications, la préfecture de police est sur mode avion. Elle s'est pourtant empressée de porter plainte pour diffamation contre Me Arié Alimi. Risible.

Je reçois un message de Vienne (Autriche), une tante, effrayée. Elle a appris que la police en France se comportait comme celle qu'elle a fui. Je reçois un texto de Tartu, un autre de Bruxelles, encore un d'Amsterdam. Peut-être que la démocratie française est en faillite. Qui l'eût cru ? Mon contrôle judiciaire m'empêche de manifester pour la sauver. Ce n'est pas bien grave. J'irai manifester devant une ambassade< de France à l'étranger, comme l'ont fait les berlinois et les chiliens récemment. Le prolétariat de France résiste, le monde regarde, scrute et soutient, c'est bien pour cela que Darmanin sort un nouvel atout de sa manche : la loi immigration. Je suis né en 2003, et j'ai vu plus de lois immigration que de présidents.

La lutte contre les prison boats de Zaandam, un exemple à suivre contre Darmanin.

Sans lacet, sur le banc, à coté d'un sans-papiers, interpellé pour vol d'une bouteille de coca, et d'un ressortissant kurde pour un gramme de haschich, je me demande ; les sans-papiers sont-ils les premiers des manifestants ? Plus clairement, les sans-papiers ne seraient-ils pas les cobayes de l'expérience autoritaire que tous subirons bientôt ? A mon sens, plus qu'une diversion, cette loi sera une attaque contre la classe ouvrière, une nouvelle. La loi immigration, comme la loi anti-terrorisme, est un pas de plus vers la dérive autoritaire. Si l'on passe au juge unique à la CNDA, Cour nationale du droit d'Asile, juridiction d'appel pour les réfugiés, j'espère que ce ne sera pas celui qui a condamné à 6 mois de prison, ce lundi 17 avril, mon camarade Grégoire V. (tweet) parce qu'il était à côté d'une poubelle en feu. 

Il faut donc oser lutter. Mais qu'en est-il ailleurs ? Le 1er mars, à Wormeveer, en Hollande septentrionale, mon hôte, alors même qu'iel finalisait une lettre qu'il enverrait à un détenu américain, nous raconte comment la communauté de la Zaanstad a combattu les prison boats dans les années 2000-2010. Ces bateaux servaient à incarcérer des sans-papiers pour une durée (il)limitée renouvelable, dans des conditions détestables. C'était pour mon hôte, sa première mobilisation dans la durée. Les émotions, les rencontres sur les quais avec les réfugiés libérés, la joie quand il y avait une évasion, le bras de fer avec le gouvernement d'Amsterdam qui se conclut par une fermeture définitive du centre de rétention.

Quelle histoire ! Iel m'en parlait d'une voix émue et était persuadé.e que la France, pays des droits humains, ne faisait pas cela. J'ai dû lui parler des CRA (centres de rétention administrative) où l'on enfermait des sans-papiers pendant des mois dans des conditions inhumaines pendant le premier confinement. Il y a peu, après des échauffourées à Guillotière, Darmanin a annoncé la création d'un deuxième CRA à Lyon. Ils pullulent. A Zaandam, la victoire contre les prison boats a découragé les autorités de les réintroduire, en 2022. La mairie a refusé. La lutte paie. Pourquoi pas à Lyon ?

J'étais à la dernière manifestation pour les sans-papiers à Paris. La prochaine est le 29 avril. Faisons de ce jour un acte d'autodéfense citoyenne, prolétarienne. La bataille contre la loi immigration est la même que celle contre la loi Retraites. Le 29 avril sera l'acte 13 du mouvement contre la réforme des retraites, mais cette fois, ce sont les travailleurs sans papiers et immigrés à l'honneur ; les mêmes qui frôlent la mort sur les chantiers du Grand Paris Express, où deux sont morts en 2023. L'Europe nous regarde, et attend. Le monde regarde et attend.

Malgré l'attente, la garde à vue se termine toujours, je suis sortie du tribunal. La sortie se rapproche. Sortons du capitalisme, non pas pour la France, mais pour le monde. 

Wir haben alles geschafft!

El pueblo se alza en la lucha.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.