Ainara Vilaseca

Diplômée d'un master 2 Études Stratégiques à l'Université Sorbonne Paris Cité.

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Billet de blog 20 décembre 2017

Ainara Vilaseca

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L’Espagne, la réincarnation du Léviathan?

La Catalogne décidera de son avenir le 21 décembre prochain dans un climat exceptionnel : celui d’une communauté autonome sous tutelle du gouvernement central couplé à l’emprisonnement de politiciens catalans.

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Il paraît que la convocation de ces élections est perçue par l’Europe comme une sorte de référendum légitime, mais ce qui est vrai c’est que les institutions européennes, en gardant une certaine distance, se sont prononcées majoritairement en faveur de l’unité de l’Espagne. Mais pourquoi l’Europe a-t-elle si peur de rompre avec les grands États-nations existants ?

L’interprétation du concept de l’État-nation

Pour répondre à la question formulée il est important de rappeler, d'abord, la définition du concept d'Etat-nation, introduite avec les traités de Westphalie en 1648, et qui se caractérise comme une forme d'organisation politique qui correspond à une société organisée juridiquement avec trois éléments constitutifs : un territoire, la présence effective d’un gouvernement, et la présence d’une population avec des traits identitaires communs. La Catalogne répond à ces trois éléments.

Il est intéressant de remarquer qu'un État peut être formé par plusieurs nations et que, en même temps, une nation peut ne pas être reconnue comme un État. Malgré tout, le concept d'État-nation exige également la reconnaissance internationale en tant qu'État du reste des pays et, dans le même ordre d'idées, ceci implique le concept de souveraineté.

La conceptualisation de l’État-nation et de la souveraineté ont déjà été évoqués par le philosophe anglais Thomas Hobbes (1588-1679) dans son ouvrage Léviathan (1651). La figure du Léviathan, inspirée des textes de la Bible, correspondait à un monstre égoïste. Hobbes défendait que la puissance n’est pas absolue et qu’elle n’obéit pas à des lois naturelles, à l'inverse de ce qu'affirmait l’intellectuel français Jean Bodin (1529-1596). De ce fait,  selon Hobbes, la puissance souveraine tombait sur l’exécutif. Dans le cadre de la théorie du contrat social, Hobbes parlait de l’État comme une figure effrayante mais nécessaire pour l’obtention de la paix et le développement de la civilisation en toute sécurité.

Actuellement, le débat européen est marqué par diverses volontés d’indépendance, qui ne sont pas issues de la crise de légitimité de l’Union européenne, mais qui collaborent à son développement. Dans le cas du Brexit, si l’on revient aux théories de Hobbes, un parallélisme est possible, car la construction européenne fut créée, le lendemain de la Seconde guerre mondiale, pour assurer la paix et la protection de ses citoyens. Les Britanniques voient cette union d’États comme une sorte de Léviathan, un être absolu auquel ils sont soumis et qui leur limite les compétences intérieures.

Ce scenario philosophique est encore plus illustratif dans le cas de la volonté d’indépendance du peuple catalan. Face à la menace indépendantiste vis-à-vis du modèle actuel de l’État en Espagne (l’exécutif est aux mains du parti le plus corrompu de l’Europe et l’état de droit est de plus en plus discutable), le gouvernement espagnol a exercé le pouvoir octroyé au Léviathan. Des charges massives de policiers pour empêcher la tenue du vote le 1er octobre qui ont fait plus de 1000 blessés, ainsi que l’application de l’article 155 de la Constitution espagnole, avec l’intervention et la mise sous tutelle des institutions catalanes et l’emprisonnement de politiciens catalans. Sans oublier qu’une partie du gouvernement se trouve en exil.

Ces mesures, ainsi que l’annulation de nombreuses lois sociales du Parlement de Catalogne, sont comparables au Léviathan de Hobbes. L'État espagnol les applique en tant qu’entité supérieure pour protéger la population, mais ce peuple voit cet État comme un monstre qui lui rappelle la période vécue sous le régime de la dictature où le pouvoir était absolu. Les mesures appliquées par Madrid sont-elles la bonne solution ? Le gouvernement Rajoy croit-il que cela changera l'opinion du peuple catalan ?

Les volontés d’indépendance et la crise de légitimité européenne

L’indépendantisme catalan fait appel aux textes de droit international afin de trouver un refuge légal qui n’est pas prévu dans la Constitution espagnole.

Bien que la Catalogne cherche à s’abriter derrière des textes tels que le droit à l’autodétermination, inclus dans la Charte des Nations Unies, ou le Pacte international des droits civils et politiques, ainsi que la Résolution 1514 (XV) de 1960 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, ou encore la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la communauté internationale, et en particulier l’Union européenne, considèrent qu’il s’agit d’un affaire interne et gardent le silence.

Néanmoins, la réalité semble différer. L’Union européenne, qui tout au long de son histoire s’est renforcée au fur et à mesure qu’elle a dû faire face à de nombreuses crises, vit actuellement l’une des crises institutionnelles et de légitimité la plus importante. Cette crise n’est pas particulièrement issue des diverses volontés d’indépendance du continent (Royaume-Uni, Écosse, Catalogne), mais d’une distance établie entre les institutions européennes et la population, ce qui comporte un manque de connaissance de ces entités, un manque du sentiment d’appartenance à une identité européenne et, pour cela, une augmentation des courants eurosceptiques. Ces facteurs sont dus notamment au déficit démocratique desdites institutions. Les volontés d’indépendance représentent maintenant une opportunité pour l’Union européenne de refonder enfin le modèle de l’Europe politique imaginé par Schuman et Monnet.

Le silence des autorités et chefs d’État européens retombe à nouveau sur la crainte de cet ensemble de pays face à une possible rupture du modèle européen des États-nation existant.

On craint un effet boule de neige dans différents pays où il existe des mouvements nationalistes, comme la Corse, Venise, la Bavière, la Bretagne, ou Friesland. Malgré l’avoir déjà analysé dans Une crise de l’Union européenne : étude du cas de l’indépendance de la Catalogne, je considère important de rappeler que tous ces mouvements nationalistes ne souhaitent pas tous se constituer en État. Dans certains cas, ils demandent uniquement à leur État plus de compétences autogérées.

En tout cas, un effet domino pourrait être très bénéfique pour cette refondation politique de l’Europe, car avec l’apparition de nouveaux États, et donc de nouveaux acteurs politiques, l’Europe pourrait établir une meilleure gouvernance. Le modèle actuel (dans lequel seulement les puissances plus puissantes commandent) se romprait et on se dirigerait vers une Europe plus égalitaire.

Ces hypothèses ne peuvent évidement être envisagées que dans le cas de l'adhésion de ces nouveaux États à l'Union européenne. Bien que dans le cas d'une Catalogne indépendante, la volonté d'adhésion devrait être d’abord demandée à la population, la région catalane remplit les exigences établies par l'article 49 du Traité sur l'Union européenne, ainsi que les critères de Copenhague et les 3 éléments qui définissent l'État-nation.

Le 21 décembre, la Catalogne s’exprimera dans les urnes. L'Espagne cessera-t-elle alors d'agir en tant que Léviathan, en respectant les droits de l'homme, et acceptera-t-elle quels qu'ils soient les résultats ?

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