Lettre d’information n° 5 de novembre 2025
Voici les témoignages des prisonniers politiques kanak en France aujourd’hui libérés en meeting à la Bourse du Travail le 6 novembre. Nous en profitons pour vous donner des nouvelles de la campagne financière de soutien et de son utilisation.
- Meeting du 6 novembre
Agrandissement : Illustration 2
Avant le meeting à la Bourse du travail s’est tenue une conférence de presse avec France TV, Ouest France, Mediapart, Le Monde et La Croix avec les six prisonniers politiques libérés toujours mis en examen, Christian Tein, Dimitri Tein-Qenegei, Guillaume Vama, Brenda Wanabo-Ipeze, Yewa Waetheane et Steeve Unë, la première fois qu’ils se retrouvent tous ensemble.
Agrandissement : Illustration 3
Agrandissement : Illustration 4
Le soir, pour le meeting, devant 200 à 300 personnes, ils sont venus témoigner de leurs parcours depuis le 23 juin et remercier tou·tes celles et ceux qui les ont soutenus, dont l’aisdpk. Ils se sont exprimés tour à tour, Steeve Unë d’abord, puis Dimitri Tein-Qenegei, Guillaume Vama, Brenda Wanabo-Ipeze, Erwan Waetheane et Christian Tein. Chacun·e est revenu sur son parcours militant au pays et sur ses conditions d’arrestation et de transfert dans les prisons métropolitaines, sur leur vie en prison. Nous allons leur donner la parole ici.
Remerciements
« Avant de prendre la parole, je vais quand même m’abaisser avec respect et humilité devant vous ce soir. Vous savez, quand on a décidé de faire ce meeting ce soir, puisqu’aujourd’hui on a l’autorisation de rentrer chez nous, même s’il y a des difficultés administratives […] mais nous on ne peut pas repartir chez nous en Kanaky sans venir ce soir, sans avoir fait les tournées en France et en Europe aussi, pour vous dire le plus humblement merci. Merci beaucoup au nom de nous, au nom de nos familles, au nom de nos clans, au nom de notre peuple qui est là-bas. Au nom de notre peuple qui souffre parce qu’on a été arraché de là-bas en Kanaky. » (Dimitri)
« […] Je profite pour remercier le soutien encore une fois de tous les collectifs, de toutes les structures, des parlementaires, du Secours populaire aussi, de tout le monde. Parce que nous, malgré qu’on était seul dans nos quatre murs, on a toujours su que voilà, le combat du Kanak ne s’arrête pas en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. » (Steeve)
« Voilà. Bonsoir à tout le monde. Merci de de l’espace que vous nous offrez. Merci aux parlementaires qui sont là les uns et les autres là, ils ont eu à expliquer un peu la situation [que] nous avons eu à traverser. Je dis souvent comme ça, c’est que je ne souhaite à personne de vivre ces situations dans lesquelles les uns et les autres ont eu à le faire. Moi, on m’a mis en isolement pendant 1 an dans une cellule. J’avais droit à 3 m² juste pour pouvoir regarder les rayons de soleil. C’était ça la réalité. Mais heureusement que ma compagne s’est déplacée de de Calédonie pour pouvoir me soutenir ici parce que je ne sais pas ce que serait devenu un peu enfin ma situation personnelle parce que j’ai toujours refusé, je rappelle que j’ai toujours refusé de venir ici en France parce que je me suis dit que je viendrai ici quand mon pays sera indépendant. » (Christian)
Parcours militant au pays
« […] nous on est ici devant vous en tant qu’anciens prisonniers politiques kanak indépendantistes mais aussi en tant que défenseurs de nos droits… les droits les plus fondamentaux quant au droit international. Pourquoi le droit international ? Puisque le statut de la Kanaky-NC, faut le préciser et on ne le rappelle pas souvent, nous on est un territoire non autonome. Le territoire non autonome cela dit que la France n’est plus souveraine en Kanaky-NC mais puissance administrante et elle doit aussi nous accompagner vers notre pleine souveraineté. Donc sur le droit international, y a aussi celui du peuple premier, la disposition du peuple premier à décider nous-mêmes de notre autodétermination. Mais seulement, lorsqu’on constate les faits et les actes du gouvernement français depuis la 3e consultation référendaire, là on constate vraiment une violation de nos droits fondamentaux de l’État français. C’est pour cela que nous on s’est levé, on s’est levé pour défendre cela, c’est important pour nous. On ne peut pas laisser passer ça… depuis plusieurs années, depuis l’époque de nos pères et depuis la prise de possession 1853. Donc voilà notre position, d’où la création de la CCAT dont on tant parlé, que l’on a tant criminalisé. Nous, nous sommes un peuple hospitalier dans le Pacifique […] et je vais réitérer ce que j’ai dit tout à l’heure, parce que nous, la CCAT et nous-mêmes personnellement, on n’a jamais demandé, on n’a jamais prôné la violence et jamais appelé à la haine. Ça c’est de la désinformation totale des médias en Nouvelle-Calédonie mais aussi ici en métropole. Donc voilà ce que je voulais dire sur le rappel du cadre parce que c’est important que vous les Françaises et les Français et tout le reste de la population, et tous les gens qui sont présents ce soir, et tous ceux qui sont téléspectateurs, qu’ils comprennent cela. Ce n’est pas parti d’un simple événement de ce qui s’est passé l’année dernière, non. Nous nous sommes là pour défendre nos droits et on les défendra toujours. » (Steeve)
« Vous savez, quand on a fait nos mobilisations, nos manifestations politiques à Nouméa, on a emmené plus de 60 000, 80 000 personnes à Nouméa, il n’y a pas eu de grabuges, et la première banderole qui était devant, c’était “nous ne renoncerons jamais aux rêves de nos pères”. » (Dimitri)
Agrandissement : Illustration 5
« Bonsoir […] avant de prendre la parole c’est avec beaucoup de respect et d’humilité, je suis la responsable communication de la CCAT et c’est dans ce cadre que j’ai été déportée de Kanaky avec mes camarades. Moi je vais parler un peu de l’histoire de l’outil de mobilisation qu’est la CCAT pour que vous puissiez comprendre le pourquoi on a fait toutes ces actions de mobilisations pacifiques et comprendre aussi pourquoi la justice et l’État français ont décidé de nous déporter ici en France. Je parle pour dire que la cellule de coordination des actions de terrain est née d’une décision politique de notre mouvement Union calédonienne à l’île des Pins les 9-10-11 novembre 2023. À ce moment-là, on avait écho de la volonté du gouvernement Macron par le ministre Darmanin de vouloir ouvrir le corps électoral à plus de 25 900 personnes. 25 900 personnes sur le corps électoral spécial provincial, parce que pour les personnes qui ne sont pas au courant, en Kanaky, on a trois corps électoral le corps électoral spécial référendaire. Sur les 25 900 personnes, la volonté était de pouvoir ajouter ces 14,47 % de nouveaux inscrits. Sur le quotient national, l’inscription de 14,47 % de personnes, ça ferait l’inscription de 7 millions de personnes ici en France. Je dis cela pour dire que c’est quel politique français qui va accepter qu’on ouvre le corps électoral à 7 millions de personnes d’un coup. Et c’est dans ce cadre-là, que le 18 novembre, date anniversaire du jour où Éloi Machoro il a brisé l’urne électorale le 18 novembre 1984 qu’on s’est réuni, militants de l’Union calédonienne, pour mettre en place la CCAT. Tout de suite, nous avons ouvert cet outil à l’ensemble des indépendantistes et des nationalistes en Kanaky. Le 25 novembre, on commence à faire nos premières marches. Le 5 décembre, date anniversaire de la mort des dix de Tiendanite… dix militants du FLNKS qui le 5 décembre 84, quand ils rentrent chez eux, à Waan Yat, ils arrivent à l’embuscade au lieu-dit Waan Yat en rentrant à Tiendanite et ils se font tuer dans une embuscade par des Caldoches. Pour dire que ce procès-là de Waan Yat, c’était important pour nous de faire cette marche, à ce moment-là, pour dire que lors du procès de Waan Yaat, nos dix papas-là, ben les assassins ils ont été acquittés sous motif de légitime défense préventive. Je parle comme ça pour dire que l’histoire du corps électoral dans notre pays, ce n’est pas une histoire qui a commencé le 13 mai. Ce n’est pas une histoire qui a commencé en 2023. C’est une histoire qui s’est succédée depuis des années. On se souvient du statut Lemoine. 85, après le 12 janvier Éloi Machoro il se faisait tuer ; en 1988, avec le statut Pons qui s’est soldé avec les dix-neuf papas d’Ouvéa qui se sont fait tuer à la grotte. Et encore en 2023 on entend qu’on veut ouvrir ce corps électoral. Corps électoral alors qu’en 1988, lors de la signature de l’accord de Matignon, ben un élu non indépendantiste Jacques Lafleur, notre défunt leader Jean-Marie Tjibaou et l’État français garant de cet accord se sont mis d’accord pour dire que ce corps électoral il allait être comme ça. Ce n’est pas nous les militants de la CCAT qui avons dit comment ce corps électoral il allait être. Pour dire que c’est l’histoire politique de notre pays qui a fait ça. Je parle avec mes mots, je parle avec mes tripes ce soir, afin que tout le monde comprenne que pendant un an on nous a sali, pendant un an on nous a traité de terroriste. Gérald Darmanin il a dit qu’on était une association, un groupe mafieux. Nous, nous sommes des militants indépendantistes qui voulons l’indépendance de la Kanaky. Pour dire également que le travail on l’a mené dans le pays, on l’a mené, on a fait plus d’une vingtaine de mobilisations pacifiques, sous la forme de marches, de sitting, de réunions publiques, de conférences… on a fait pour alerter l’État français. D’ailleurs au mois de mai, le 1er mai, une délégation de l’Union calédonienne et du FLNKS est venue à Paris pour alerter les différents parlementaires, pour dire que le corps électoral c’était la ligne rouge à ne pas franchir. Parce qu’en 1983, nos aînés – avant le FLNKS il y avait le Front Indépendantiste – ils ont ouvert le droit à l’autodétermination à toutes les personnes qui sont venues, qui descendent de ceux qu’on appelle les victimes de l’histoire, les personnes qui sont venues de force ou de gré dans notre pays, on les accepté pour qu’ils fassent pays avec nous. Et c’est comme cela que les indépendantistes ont cheminé pendant des années parce que nous voulons construire le pays avec tout le monde. Nous on n’est pas des racistes chez nous. Simplement de dire qu’il y a des règles et ces règles-là, ce n’est pas nous qui les avons fixées, en 2024 ou en 2023. Ces règles-là, c’est avec l’accord de l’État français qui devait être impartial. Et, depuis 2021, le 12 décembre 2021, quand il y a eu la troisième consultation référendaire, l’État français, il a fait quoi ? Il a forcé l’organisation de ce troisième référendum alors qu’on était en deuil kanak. Et aujourd’hui, tout le monde se demande, mais pourquoi, les gens de la CCAT, ils ont levé le peuple ? Eux ce sont des commanditaires. On a entendu ça. Beaucoup de personnes l’ont dit qu’on était les commanditaires. Commanditaires de quoi ? Depuis la prise de possession de notre pays en 1853, le peuple kanak n’a fait que lutter pour avoir plus de justice, qu’équité, pour avoir les mêmes droits que tous les Français ici sur le sol national. Je parle de cela pour dire qu’aucun d’entre nous, là, n’a appelé à quelconque violence dans le pays. Personne d’entre nous, là, et moi qui suis en charge de la communication de la CCAT, à aucun moment on a dit au peuple de brûler, de casser, de piller notre pays, parce que ça a été un long travail. En 1946, nos vieux, nous les Kanak, on est devenu des citoyens français. Avant cela, nos anciens se sont engagés dans les guerres, la première guerre (45 :40) les guerres, la Première Guerre mondiale, la Deuxième Guerre mondiale, mais ils étaient des sujets de l’empire colonial. Ils n’avaient pas le statut de citoyens à ce moment-là. » (Brenda)
« Liberté, égalité, fraternité, démocratie, c’est tout votre héritage politique qu’on nous balance à la figure, quand nous on parle d’autodétermination. Drapeau tricolore, Marseillaise, la cinquième République, c’est tout ce qu’ils nous balancent à la figure quand on veut parler des droits fondamentaux des peuples à disposer d’eux-mêmes, autochtones. Bonsoir. Moi, je m’appelle Yewa, originaire de Maré, jeune des quartiers nord. Nous, on s’est soulevé nous avec toute l’équipe qui est ici. Je commence d’abord par parler de la sorte comme ça je veux, d’abord que c’est le remerciement qui précède mon bonjour. Comme Dimitri, il a très bien précisé, comme Steve, comme Brenda, comme Guillaume, c’est très important, on va vous remercier avant de vous dire bonjour. C’est quand la lutte du peuple kanak, elle s’est soulevée, la France l’a entendu, ils utilisent votre héritage pour nous museler à 22 000 km. Je vous dis merci. C’est pour mon cas personnel, quand ma femme elle est venue ici sur le territoire français, elle a été bien accueillie. Elle a été bien accueillie par un collectif. Quand la famille à Dimitri, quand la famille à Guillaume, quand la famille à Brenda, notre président, Frédérique, c’est le peuple français qui sont venus les accueillir. Profondément, sincèrement, nous, on vous dit merci. Je reviens sur ce que le grand frère Dimitri dit. Nous, on vous dit merci sincèrement. Vous avez tiré votre héritage. Vous êtes venus nous voir parce qu’on devait parler de quelque chose. Tous les collectifs dans chaque ville se sont mobilisés. À un moment donné, pour rentrer dans ce que nous on doit poser, l’affaire, elle est politique. L’affaire s’est politisée. L’État a fermé les yeux parce qu’ils ont violé les droits internationaux en Nouvelle-Calédonie. Ce n’est pas comme si c’est quelque chose qu’on découvre ; dans le monde, quand le droit international commence à rentrer dans des territoires et que des peuples essayent de le revendiquer, le droit interne du pays colonisateur essaie de le fermer. La Palestine est la traduction de ce que je suis en train de vous dire, énormément de pays. Je vous dis merci beaucoup parce que ce n’est pas ce que nous on a vu ici. C’est important pour moi d’introduire par ces rapports de force en Nouvelle-Calédonie, comment les choses se passent dans les quartiers, comment les choses se passent dans les tribus. Quand on voit le drapeau tricolore, on voit le colonisateur. Quand on voit quand on entend la Marseillaise, elle nous fait peur parce qu’ils ont utilisé votre héritage pour le mettre contre nous. À aucun moment, on l’a opposé. À aucun moment, on a scandé des discours antiblancs. On n’a jamais été raciste dans la lutte du peuple. Je disais tout à l’heure au journaliste, Jean-Marie Tjibaou, il avait prévenu, bordel, il avait dit : « les Kanak vous emmerderont jusqu’à l’indépendance ». On est arrivé au 13 mai 2024. La difficulté dans laquelle nous on se retrouve, c’est de devoir faire raisonner nos droits fondamentaux. Les peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est ce qui est inscrit dans l’accord de Nouméa. La particularité de l’accord de Nouméa, c’est que la réussi à mettre en équilibre le droit interne français et le droit international constitutionnalisé (articles 76-77). Ils se disent républicains et ils se disent démocrates ; ils veulent nous venir nous donner la leçon. Mais ce n’est pas quelque chose qui est isolé à la Nouvelle-Calédonie. Combien de frères d’Afrique essaient de traverser le territoire africain ? On les tue. Les publicités de McDonald font plus d’impact dans les médias que le sang des peuples autochtones qui coulent sur les terres. Les publicités des grandes firmes infusent plus sur notre mode de consommation que les petits cœurs qui s’éteignent en Palestine. C’est important que vous compreniez le comment nous on arrive vers vous. Ce que vous avez devant vous, c’est des représentants de tribus dans chaque région de la Nouvelle-Calédonie. Ça c’est la grosse réalité que tout le monde essaie de traverser. Dans le monde entier, on le traverse. C’est important que nous aussi on puisse faire raisonner tout ça. Dans les 8 milliards d’êtres humains qui tournent dans ce monde, on est que 104 000 Kanak. La colonisation a abattu la moitié, plus de la moitié de notre population. Elle a tué tout notre territoire. Elle nous a sorti des terres fertiles, des terres cultivables, elle nous a mis nous a parqué dans des terrains qui étaient difficilement cultivable où on pouvait difficilement construire nos cases, difficilement organiser une organisation sociale, ancestrale, 3000 ans d’existence. Mais au moment, ils arrivent au moment où la colonisation arrive en Nouvelle-Calédonie. Elle a l’expérience de l’Afrique, a l’expérience de de l’Amérique, elle a l’expérience de la grande colonisation. Quand elle arrive, elle est experte en la colonisation. Quand elle arrive, elle sait exactement tous les mécanismes pervers qu’il faut utiliser pour ne pas que la communauté internationale se bouge. Quand elle le fait en Nouvelle-Calédonie, elle le fait en Palestine. La difficulté pour nous, les peuples qui essayent de se positionner, c’est ce que vous allez toujours retrouver et ça, ça sera après notre génération. C’est difficile pour nous responsables militants quand on arrive ici en France de de parler de tout ça. C’est très difficile. On ne sait pas [qui] ça va intéresser. Ça va intéresser qui de savoir il y a des Kanak qui sont tués par balle de FAMAS sur la tête. Il y a des milices qui prennent des fusils. Et ce n’est pas des tirs d’immobilisation. C’est des tirs de volonté de tuer. Une balle dans la tête, 17 ans, sur le bord d’un rond-point, crâne explosé, cervelle sur le coltar, cinquante enfants qui passent et regardent ça. Petit exemple, on peut parler de la Palestine encore. Ça va toucher qui ? Ce qui est plus important pour Macron, c’est tout le nickel qu’on va aller retirer en Nouvelle Calédonie. C’est toutes les terres rares parce qu’ils sont dans une stratégie. C’est toute cette difficulté aujourd’hui qui arrive vers nous. Forcément les médias d’opinion, on n’a pas la main dessus. Forcément, tous les médias qui nous ont discrédités sur la lutte du peuple Kanak, on n’a pas là. Et c’est cette grande difficulté là à laquelle on a décidé de venir ensemble et de partager avec vous. Mais c’est très important parce que ça dépend vraiment de du cœur de l’humanité. Ils ont essayé de bombarder tous les peuples autochtones de ce monde. Comment ça se passe en Amérique ? Ils sont où les autochtones d’Amérique ? Et ils se disent démocrates. La difficulté qu’on a aujourd’hui, c’est qu’on a aucun moyen de média, on a aucun moyen logistique, on a aucun moyen armé, on a juste nos ressources. Grand paradoxe aussi de du film africain, on a que nos ressources et nos moyens humains. Lorsqu’on a des ressources et lorsqu’on a des moyens humains, on arrive à un discours et on arrive à des faits. C’est la patrie ou la mort. Ça c’est nos réalités à nous ça. Et c’est d’autant plus difficile quand nous subissons des doubles mécanismes de noirs, de colonisés, de sauvage. Je disais encore quand on passait les provinces avec ma femme et qu’on faisait le tour des collectifs, on passait sur le côté, puis je voyais– je le disais aux médias tout à l’heure –, je voyais des cochons parqués sous le soleil bien entretenu. Je suis content parce que nous on le fait dans nos tribus. Là, je me suis rappelé de comment ça s’est passé le 13 mai. Je disais à ma femme “même les cochons, on les traite mieux que la jeunesse kanak qui nous ont traité pendant le 13 mai. Même les cochons, on les traite mieux que les enfants palestiniens qu’on tue sur leur terre palestinienne. J’ai introduit par là pour vous dire une seule chose et après je terminerai. Les Français doivent comprendre une chose sur lequel nous on est tributaire, c’est que lorsque vous votez pour un président, il siège aux Nations- Unies. Membre permanent de l’ONU. Il est membre permanent. Macron, il nous emmerde. Macron, il nous fait chier. Sa justice, qu’il la garde pour lui… mais qui respecte nos droits fondamentaux. Parce que, quand on arrive ici, c’est tout un peuple qui est blessé. Et après, ils veulent venir nous parler de l’immigration. Mais cesser de coloniser aussi nos terres. Cesser d’appauvrir nos terres. C’est des mécanismes qu’on connaît énormément. Comment ça se passe ? Je vais vous expliquer simplement. Ils arrivent en Nouvelle-Calédonie comme on peut dire dans n’importe quel pays. Et après, ils prennent le monopole des outils de production, ils prennent le monopole des médias et après ils créent à l’intérieur des cadres spécifiques pour qu’il n’y ait que des personnes expatriées qui viennent travailler à l’intérieur. Une fois qu’ils sont dans les commissions, ils n’emploient que les gens de l’extérieur. Ils s’approprient le marché de de l’emploi. Une fois que le marché de l’emploi est appauvri, les autochtones sur place ne peuvent plus, ne peuvent pas subvenir à un système matériel qui leur a été imposé. Une fois que les autochtones sont appauvris sur leurs propres terres, il est difficile pour eux de rester sur leur propre terre. L’immigration est une équation connue. Donc c’est vraiment important pour nous, délégation des prisonniers, de parler de ce spectre-là sur lequel nous on est à l’intérieur. C’est un embouteillage interminable. Le jour où en Angleterre, le jour où en France, le jour où aux États-Unis, ils décideront de voter pour des bons présidents, le monde tournerait mieux. Ils ont tué Éloi Machoro, ils ont tué Alphonse Dianou, ils ont tué Lumumba [leader de l’indépendance congolaise], ils ont tué Che Guevara, tous ces modérateurs qui essayent de prendre en considération la lutte des peuples opprimés. J’utilise le terme de modérateur parce que c’est ce que vous avez devant vous. Dimitri, c’est un modérateur du sud. Les jeunes, ils l’écoutent, il descend, il dit : “Bon, c’est bon, vous vous calmez”. Pareil pour Guillaume, pareil pour Gilles, pareil pour Joël. L’État, il a dit quoi ? “Si je tire les modérateurs qui calment les gens sur le terrain, l’explosion, elle va continuer”. C’est la logique implacable de la colonisation, ils l’ont fait pendant la colonisation. Donc aujourd’hui, c’est avec un grand plaisir, vraiment grand plaisir, que nous on vient vous voir surtout ici à Paris et comme on disait quand j’étais descendu à Montpellier, pour nous les Kanak – et là il y a beaucoup d’autres aussi communautés qui sont là – pour nous les Kanak la terre française, elle n’est pas étrangère pour nous, parce que hier, avant-hier, nos grands-pères sont venus se battre ici pour vous. Hier, avant-hier, ils sont venus défendre vos fondamentaux. Hier, avant-hier, ils sont venus défendre votre territoire. Ce même héritage-là qui nous a été jeté à la gueule 150 ans après. Merci beaucoup. Que la lutte continue. » (Yewa)
« J’ai toujours essayé de comprendre le président de la République que vous avez élu parce que moi je n’ai jamais voté pour ce président-là. C’est quoi qui a animé ce président ? Il est arrivé dix jours après les événements qui ont été déclenchés sur l’ensemble du territoire [le 13 mai…]. Il a demandé à rencontrer le FLNKS. Moi, j’ai dit : “je ne rencontrerai pas Macron”. Mais la délégation du FLNKS a souhaité que je sois à la table de cette rencontre-là. J’ai […] mis mes conditions. “Je ne veux ni voir Darmanin, ni voir Lecornu à cette réunion.” […] J’ai rencontré le président Macron mais je ne veux pas voir les deux autres-là, parce que la situation dans laquelle on est rendu, c’est Lecornu, le passage en force du troisième référendum, et c’est Darmanin qui a emmené le pays, là, au pied du mur. C’était mes seules conditions pour rencontrer Macron à ce moment-là. C’est pour ça que j’ai dit, il a fait tout ce déplacement avec son Airbus pour pouvoir arriver en disant qu’il allait – je pensais que, quelque part, après les événements, qu’il allait essayer de trouver les […] moyens pour tenter d’apaiser les choses, de trouver de mettre du lien entre les uns et les autres. Mais les deux heures de rencontre que j’ai fait avec lui, j’ai trouvé […] un président qui était sourd, qui était incapable simplement de prendre en considération les difficultés dans lesquelles les populations se sont retrouvées en Calédonie. Je lui ai simplement dit : “Est-ce que tu as l’intention de faire comme la Palestine avec les Kanak ?”. Je lui dis, cache comme ça devant : “Pourquoi tu as l’intention de tuer autant de Kanak ?”. Il s’est mis en colère, il a dit : “Je ne suis pas Netanyahou, moi”. J’ai dit : “Mais à la manière avec laquelle vous avancez là, ça va finir comme ça”. J’ai dit : “Tu ne peux pas arriver en Jupiter comme ça là et puis dire que […] tu vas tout régler”. Il me dit : “Je te donne 48 heures pour lever tous les barrages”. Je n’ai jamais vu en 84 puis 88 autant de barrages, autant de difficultés à traverser [le pays] parce que ce qui s’est passé là, le 13 mai, je lui dis : “Je ne peux pas accepter tes 48h, j’ai besoin d’au moins 2 mois parce qu’il faut circuler dans tout le pays”. Par contre, je me suis engagé avec lui pour dire qu’on va aller sur la désescalade. J’ai tenté simplement parce qu’il faut permettre à ce que les camions de ravitaillement puissent se faire sur l’ensemble du nord et des îles parce que tout était bloqué. Mais le problème de président Macron, c’est que lui, il croit, que parce qu’il va arriver, parce qu’il m’a dit : “Moi, j’ai des gros moyens militaires. Si tu n’écoutes pas forcément que les choses ne vont pas se passer, je suis en capacité de de tout neutraliser”. Moi je dis : “Vous savez je préfère te le dire, nous on va mourir sur notre terre. Alors soit tu changes de discours et puis tu laisses le temps, puis on trouve les voies et moyens pour avancer ensemble, ou soit tu l’amènes de cette manière et on va être en difficulté, on ne va pas pouvoir s’entendre”. Mais, à partir de là, je savais pertinemment que les menottes étaient déjà préparées pour moi dans la mesure où il est venu avec un discours, que c’est lui qui décide et que les règles seront établies à partir de lui. C’est pour dire que les 2 heures de communication durant lesquelles j’ai eu à le rencontrer pour tenter de trouver les voies et moyens pour tirer le tirer les Calédoniens vers le haut, à aucun moment, il y a eu d’autres propositions si ce n’est simplement que d’envoyer et de mettre un cordon sécuritaire sur la Nouvelle-Calédonie avec plus de 10 000 gendarmes, les différents corps de la gendarmerie, de la police ou de l’armée qui ne devrait pas […] – il y a des gens qui sont intervenus en Nouvelle-Calédonie, là, pour le 13 mai – intervenir en territoire français, si ce n’est encore qu’un territoire français. Et c’est ça les réalités du président Macron. Mais, quand on a fini de dire à ça, on dit : “Mais comment on fait pour avancer ?”. Les uns et les autres là, ils ont dit les difficultés qu’ils ont eu à traverser. Mais on a fait trente ans avec au moins quatre présidents quand même. Il y a eu Mitterrand, il y a eu Jacques Chirac, il y a eu Hollande, il y a eu Sarkozy. Les uns et les autres ont dit, à un moment donné, on va arrêter de faire de la Calédonie un enjeu national comment on trouve les voies et moyen pour avancer et c’était la sécurisation du corps électoral c’est un peu ce que les uns et les autres ils ont dit comment on fait peuple ensemble et 83 [Nainville-les-Roches], ce que les autres ils ont dit oui, parce qu’on a besoin de vous le rappeler, c’est nous qui avons donné le droit à tous les 50 000 métropolitains qui sont en Calédonie avec les Caldoches qui sont arrivés bien avant avec les Wallisiens, les Tahitiens, les Javanais… toutes les communautés du monde qui sont venues au pays pour chercher un moment un emploi. En 83 c’est tous nos vieux qui ont fait le choix de dire : “on va vous accepter”, dans notre cas, c’est une manière de parler, de dire : “on vous accepte pour faire pays ensemble” ; c’était ça le sens et ce n’est pas rien ce qu’on a donné, on a donné notre droit à tout le monde de pouvoir décider à un moment donné de l’avenir du pays. Mais, qu’est-ce qu’on a récolté en retour ? Que du mépris, que de la méprisance et c’est toujours au nom de ces gens de la République-là, en votre nom, je le dis souvent, qu’ils font tout ça. La justice qui s’exerce en Calédonie en votre nom. On a pensé que cette maison, la République, même s’il y a eu la séparation des pouvoir, qu’on pouvait s’abriter derrière parce qu’on sent qu’il y a une pression forte… mais même la justice nous tourne le dos et c’est ça nos réalités au niveau de notre pays. Mais, comme je l’ai dit, nous, on ne s’est pas battu pour ça en 84-88. C’était pour créer un pays pour qu’il s’émancipe avec des moyens pour pouvoir aller de l’avant. Mais je n’ai jamais vu depuis, de tous les gouvernements qui étaient mis en place, d’avoir un gouvernement qui soit aussi méprisant que le gouvernement que vous avez […] je ne sais pas au nom en tout cas du peuple français, ce qu’ils ont fait dernièrement ici là sur les dix dernières années-là, […] et puis on n’est pas encore dans les au bout de dix ans. Mais j’ai trouvé chez le président Macron un fort mépris de sa part et on ne peut pas, je dis on n’a pas fait tout ce chemin pour ça, le principe dans lequel on a donné notre responsabilité de construire notre pays, c’était pour permettre à ce que les générations puissent pouvoir construire quelque chose, aller de l’avant… je dis souvent, on a envoyé des jeunes partout, on a envoyé au Québec, en Australie, en Nouvelle-Zélande… et des milliers de jeunes sont venus se former ici parce qu’on a dit qu’il fallait venir chercher le savoir. On a le savoir sur l’identité kanak mais il y avait besoin, dans le cadre de la mondialité, de créer les conditions pour amener le pays vers le haut. Et je dis souvent ça, parce que derrière ça là, les gens qui sont dans la République, les gens qui sont dans les deux chambres, souvent ils parlent de la République, mais je tenais à vous saluer, à vous dire merci, parce que derrière ça, c’est vous c’est vos honorables impôts qui ont aussi permis à ce qu’il y a un certain niveau de développement et je tenais aussi à vous dire merci aussi, parce que ça, souvent, ce n’est pas valorisé de la manière qu’on le souhaite, mais le travail […] de formations qui a été fait, c’est parce que aussi vous y avez contribué, d’une manière ou d’une autre dedans, parce que c’est sur le principe de l’accord dans lequel on s’est engagé. Mais comment voulez-vous qu’on avance avec un accord-là qui nous a été imposé à marche forcée, cet accord de Bougival ? Comment voulez-vous qu’on aille dedans ? Où le peuple kanak, il est déjà mis en dehors, de côté… vous ne pouvez pas faire un peuple. Je vous rappelle qu’un accord en Nouvelle-Calédonie, c’est 25 à 30 ans. Ce n’est pas rien. C’est toute une génération derrière. Mais comment voulez-vous faire peuple en Calédonie quand le peuple Kanak, il est dans le ravin ? C’est impossible de d’engager de cette manière-là. C’est pour ça qu’on est venu aussi nous dire : “Mais ne nous abandonnez pas dans ce combat. On a besoin des uns et des autres. On a besoin de vous. On a besoin de vos parlementaires. On a besoin de cette solidarité… Ou sinon, faites comme Jean-Marie, il a dit : “dites-nous quelque chose ou dites-nous merde” mais ne nous laissez pas comme ça parce que c’est trop compliqué le combat. Nous on est un petit peuple et ceux qui sont en face là, ils sont sourd aux revendications du peuple kanak. Ils sont sourd à la légitimité sur laquelle on a posé ensemble nos responsabilités de dire que on allait faire taire ce qui nous désunit pour aller à l’essentiel. C’était le principe même d’un accord. Mais quand on regarde les choses, dans cet accord de Bougival-là, il y a des murs qui sont insurmontables dans lesquels on ne peut pas rentrer et le FLNKS ne rentrera pas dedans, dans des désaccords qu’on nous impose de fait comme ça. Soit les gens sont intelligents, ils disent qu’on repose les choses à plat et on avance autrement. Ça veut dire qu’on prend le temps d’échanger, de pouvoir regarder les différents niveaux sur lesquels l’ensemble des populations se retrouve et nous, forcément, il faut opposer le calendrier de la souveraineté de Kanaky. Il faut définitivement fermer la parenthèse coloniale de ce pays. On ne peut pas aller autrement sinon ça sera compliqué. Quand vous connaissez l’histoire de notre peuple, on a tapé toute la colonne vertébrale de notre pays. Des milliers de gens sont morts. Mais nous, on a envie comme tout le monde, comme vous les Français, d’être libre chez vous. Comme d’autres peuples dans le monde. On ne demande pas autre chose. On demande simplement qu’il y ait cette sécurité-là. Les Nations unies – on voit ce que Yewa a dit –, mais il y a des gens qui s’assoient en permanence dessus. Et pratiquement hier, j’entends même Donald Trump aujourd’hui qui dit qu’il n’a rien à faire des règles des Nations unies. Comment voulez-vous qu’on avance dans ce pays ? Mais comme il dit aussi, c’est que derrière ça, c’est un peu ce que Maurice Lenormand, un ancien député, disait. Il y a ceux qui sont calédoniens qui parlent de la France mais c’est souvent les à travers les prix du drapeau français, c’est les milliards-là qui les intéressent. Rien d’autre. Les gens là-bas dans le pays, ils sont là-bas que pour faire du fric. Ceux qui parlent en votre nom, qui parlent de la France parce qu’ils ne savent pas autre chose. Ils ont envie de continuer à s’enrichir en permanence sur le dos des Calédoniens. Et ce n’est pas ça le sens sur lequel on s’est engagé nous. On s’est engagé sur une démarche de dire que on allait créer la solidarité entre les Calédoniens pour faire en sorte qu’on ait un pays ensemble, pas autre chose. Et ce pays-là, ça suppose que les uns et surtout nous-mêmes, on demande à la province nord et la province des îles de faire des efforts considérables en si peu de temps, en en 20 ans, […] de réunir les conditions pour poser un rééquilibrage sur le nord et les îles. Parce que derrière Bougival, c’est tout ça qui s’est remet derrière. Vous savez il y a une clé de répartition Nouvelle-Calédonie : les 50 pour la province Sud, il y a les 32 pour la province Nord et 18 pour la province des Îles. C’est par rapport aux recettes fiscales qui permettent de redistribuer vers ces deux autres provinces indépendantistes de manière à pouvoir actionner le développement. Mais je dis que Paris comme Nouméa ne se sont pas construit en un jour. Nouméa, c’est 170 ans de colonisation. On a tout mis sur nos mères. La province des îles, malgré la double-insularité dans laquelle ils sont, ils ont tenté de poser le développement. Ils ont posé des grands projets hôteliers, ils ont posé la décentralisation de l’administration. Ils ont posé tout un niveau de développement. Mais bien sûr que ce n’est pas suffisant parce qu’on demande plus de temps, on leur exige de réussir ce que d’autres ont fait comme Paris, comme Nouméa… en plusieurs années. Et la province Nord, c’est pareil. On a tenté de poser un développement, on a posé le désenclavement des communes, des tribus avec des gros moyens, une usine et puis tout un tas de trucs qui étaient posés mais on sait […] qu’on ne va pas résoudre […] le rééquilibrage, en si peu de temps. Mais que les anti-indépendantistes pointent cette démarche, il n’y a pas de souci là-dessus, mais que l’État s’amuse aussi à venir dans ce jeu-là, là ça nous pose un problème car l’État devait être – comme Yewa l’a dit – impartial dans cette démarche. Voilà, je le dis un peu comme ça en introduction, un peu pour dire que ça va être compliqué le combat si Bougival il continue à avancer dans ce sens-là et les parlementaires – et j’espère que les camarades socialistes, on va les prendre à témoin – s’il y a des amendements qui permettent de dire que, aujourd’hui, on essaie de décaler Bougival pour poser un nouvel accord et des nouvelles discussions pour aller sur un nouvel accord, ben j’espère que tout la démarche-là qui a été posée à l’Assemblée nationale, ce n’était pas juste simplement pour d’autres intérêts. Et j’espère qu’on va pouvoir trouver une réponse à tout ça, parce que forcément on ira encore dans le mur et ça, nous, on ne le souhaite pas… mais, dans la situation dans laquelle on est rendu, vous savez à un moment donné c’est ce que disait toujours Jean-Marie Tjibaou : “vous savez le plus dur, ce n’est pas de mourir, mais c’est de vivre dans son propre pays et de se sentir haï, humilié” ; voilà un peu pour vous dire l’état d’esprit dans lequel… puis merci encore pour l’ensemble des soutiens que vous avez fait à travers l’ensemble de la métropole merci. » (Christian)
Conditions des arrestations et du transfert dans les prisons métropolitaines
« Le contexte qui nous a amené ici en métropole. Ce pourquoi on a été interpellé, mis en examen, incarcéré pendant près d’un an, libéré mais toujours sous contrôle judiciaire. Tout d’abord, nous réitérons le fait que nous tous, on conteste le fondement de la mise en examen qui nous a privés de libertés pendant près d’un an. Cette privation de liberté n’a pas été tout simplement pour nous mais aussi a touché toutes nos familles, tous nos proches, tous nos clans parce que nous on est des pères de familles, des mères de familles qui appartiennent à des clans ; on est rattaché à nos terres, à des chefferies, à des grandes chefferies, c’est le socle du peuple kanak. » (Steeve)
« Aujourd’hui, avant qu’on débarque ici, d’être déporté ici, j’ai été enterré un petit frère de Païta qui s’est fait tirer dessus, tiré par un gendarme [Lionnel Païta tué le 7 juin 2024 au col de la Pirogue]. Juste avant ça, j’ai déjà connu des mecs qui se sont fait abattre comme cela, j’ai connu des frères qui se sont suicidés, pour éviter d’aller en tôle, et le truc c’est que, nous on se pose comme question, ce n’est pas ça notre vie. Nous on ne connaît pas que la tôle ou le cercueil, c’est la première chose que les mecs ils font, c’est de creuser un trou, on va t’enterrer ici… ce n’est pas une vie. Comment voulez-vous qu’un jeune puisse être épanoui et développer son pays quand dans la tête il n’y a qu’une seule chose qu’on leur propose, c’est la tôle ou la mort. Moi c’est ça que je dis là […] je veux mettre ça en avant, que le pays, sur des générations, on a toujours empêché l’épanouissement de la jeunesse kanak. Et tous ces systèmes, tous les jeunes qui se sont levés, ils ne connaissent pas le discours politique et tout ça, ce qu’ils connaissent, c’est une réalité, ce qu’ils voient tous les jours au quotidien, c’est que le peuple il est en train de se faire écraser, se faire salir, et tout ça c’est voilà, ce n’est pas acceptable. Aujourd’hui, la jeunesse elle s’est levée, les jeunes ils ont dit : “mais nous on existe” ; moi, c’est ce que je disais au juge d’instruction, c’est un besoin d’écoute, c’est un besoin d’appartenance, c’est un besoin d’existence. C’est des besoins fondamentaux, n’importe quelle personne qui vit sur cette terre a ces besoins-là, ces besoins d’appartenance et d’existence. Et nous en fait, c’est cette espèce de cri, ou de poids qui est posé chez nous depuis des générations. Et voilà, dans 15 jours, comme je disais ça allait péter quoi mais ça a pété de cette manière. Malheureusement, voilà, c’est dans la violence, mais c’est un besoin, faut pas chercher un coupable, c’est la responsabilité de nos politiques là depuis des années, puis du système, de l’État… sur la façon dont ils ont géré les décès de chez nous, comment ils nous traitent. Moi j’ai été enterré le petit frère à Païta, j’ai veillé avec lui, et le lendemain matin, ils sont venus me chercher. Ils sont venus me chercher et j’ai entendu qu’il y avait Brenda, le GIGN sont intervenus chez elle, ils ont tout cassé chez elle. Et moi, quand j’ai entendu ça, j’ai déposé un cousin, ils sont venus me chercher… un mec avec une voiture juste devant moi, qui braque une voiture qui arrête ma voiture sur la route, le mec il sort un flingue, il sort un FAMAS, juste à côté de nous y’a plein de mecs armés qui pointent les flingues sur moi, qui disent : “écoute, lève tes bras et sors de la voiture…”. Juste au moment où … je sens un canon juste à côté de ma tête. Mon cousin, il est en panique sur le côté ; je lui ai dit : “vas-y calme toi”. Et moi, le truc, c’est qu’une fois qu’ils m’ont cagoulé, qu’ils m’ont foutu dans la voiture, moi je pensais que c’était des milices, parce qu’il y a aussi une chose c’est qu’au pays, il y a la population civile, la population qui prenait des armes… Nous les Kanak, on n’a jamais […] dit aux gens de prendre des armes, aller dans la violence, ça a toujours été un discours pacifique. Et à eux ils ont la liberté d’aller chercher des armes et de faire justice à leur manière. […] Et moi, quand ils m’ont cagoulé, j’étais dans la voiture ; au moment où ils m’ont enlevé la cagoule, je leur ai dit […] : “vous êtes en train de faire quoi” […] moi je pensais que c’était des milices. […] il me dit : “on est des militaires, la gendarmerie, on t’arrête” […] Après ça, ils me changent de voiture, ils m’embarquent dans une autre voiture et ils m’emmènent chez ma mère […] ce qu’ils voulaient c’était défoncer la maison de ma mère. Je leur ai passé la clé justement pour qu’ils puissent aller chercher ce qu’ils voulaient chercher et après, moi ce qui m’a choqué, c’est que tous ces enfants, tous ces gens qui sont dans le quartier et qui m’ont vu menotté et emmené avec eux. Voilà, tous ces gendarmes, ces militaires, qui m’ont emmené menotter pour rentrer et voilà qu’ils allaient chercher quelque chose… Moi, ça m’a choqué, pourquoi ? parce que j’ai toujours défendu la culture, la construction du pays par un travail commun entre tradition et modernité. Là-dedans, c’est l’image […] qu’ils ont donné de nous avec les menottes, tout ça, ben ça a cassé cette image. C’est comme s’il n’y avait plus de confiance. Moi, en tant qu’entrepreneur kanak, c’est interdit d’entreprendre, est-ce que c’est interdit de pouvoir s’émanciper […] et être dans l’épanouissement personnel et entrepreneurial. Moi c’est les questions que je me suis posées. Voilà il faut qu’ils disent clairement qu’ils ne veulent pas qu’on se développe. En fait, les actes ils ont montré ça. De là, ils m’ont emmené 96 h de garde à vue ; on dormait par terre dans un bureau ; au départ je dormais dans une cellule, mais j’ai changé avec un frère, Gilles Jorédié, j’ai changé avec lui, parce que lui il dormait dans le bureau, et j’ai pris le bureau. Voilà […] on avait de la soupe, en dormant on était menotté, en mangeant on était menotté, on a fait 96 heures de garde à vue. Ils nous ont emmené au tribunal. On nous a annoncé que j’allais être à Bourges. Quand la juge m’a dit que j’allais être à Bourges, je ne connaissais [rien], je ne savais pas où était Bourges et tout ça. Après ils m’ont embarqué, on a fait l’avion, Moi quand je suis arrivé, sans prendre une douche depuis toutes ces heures, je suis arrivé à Bourges et j’ai commencé à prendre mon environnement. Je suis resté quelques mois tout seul en cellule ; après j’étais avec un Tahitien qui est resté trois jours. Après il est parti ; après je suis resté avec un Corse, puis un gitan, et partout, dans toute la prison, quand je racontais mon histoire, on avait fait une interview pour BMF TV, ils avaient interviewé les gens, ils savaient ce qui s’était passé au pays. Moi j’ai vu des points levés, j’ai eu des soutiens… Quand je suis arrivé, les mecs ils donnaient des petits mots qu’ils passaient aux surveillants, pour donner des clopes, pour donner un peu de café, un peu de thé, voilà, parce que je venais d’arriver. Il y avait une solidarité auprès des personnes qui étaient avec moi en détention. Et voilà cette solidarité elle a duré tout le temps de ma détention à Bourges. Et quand je suis sorti, ils ont frappé dans les portes en disant : “voilà, Kanaky va être libre mon frère”. Et ça là, ça m’a touché. » (Guillaume)
« Je parle comme ça pour que vous compreniez que moi, on est venu me chercher à Saint-Michel à 6h10 du matin le 19 juin. Le GIGN, ils ont fracassé la baie vitrée de la maison. Ils sont rentrés avec les flingues. Ils ont isolé mon mari et mes deux frères. Et quand je suis sortie, ils m’ont dit que j’avais un mandat d’arrêt à mon encontre. Par la suite, ils ont fouillé la maison, Ils ont terminé la perquisition à 10h30. Et à ce moment-là, ils m’ont fait monter dans une voiture banalisée pour me rendre à la caserne Meunier de Nouméa. Je ne savais pas qu’il y avait mes camarades aussi. J’arrive là-haut, en fait, ils me disent que c’est pour les 96 heures de garde à vue. Moi aussi, on m’a attaché sur le lit toute la nuit. Moi aussi le premier jour on a dit qu’il n’y a pas de douche. On n’a pas de café le matin. Ben c’est comme ça. C’est la garde à vue. Le samedi matin à 6h10, on me fait rentrer dans la première voiture. Après, on fait sortir Frédérique Muliava après es Jorédié et après, je vois tout le monde qui sort. Et c’est là que je me suis rendu compte que je n’étais pas seule dans les bâtiments de la gendarmerie. On nous emmène au tribunal de Nouméa. On arrive là-bas entre 6h et 7h et je ne sais même pas à quelle heure de l’après-midi on vient me chercher dans le bureau. Trois gendarmes à l’intérieur du bureau, trois dehors. Menottés, et on passe devant les juges qui disent que je vais être placée en détention provisoire. Le juge des détentions et de la liberté, il a une feuille posée sur son bureau. Il me regarde et dit : « Vous allez être placée en détention provisoire à la prison de Dijon ». Et là je lui dis : « Ben moi, j’ai trois enfants dont le dernier, il a 3 ans, je ne peux pas être à 22 000 km de mes enfants ». Il me répond : « Bah ils ont un père, du coup il va s’en occuper ». OK. Ensuite, je sors du bureau ; ils sont allés chercher mon époux parce que j’étais en train de pleurer. J’étais énervée mais seulement interdiction de se parler. Par la suite, on me refait monter dans le bureau là-haut et là on nous fait partir vers 2h du matin. On nous emmène jusqu’à l’aérodrome de Magenta, où, dans des véhicules banalisés, il y avait des pochons poubelles sur les vitres pour ne pas qu’on nous voit. Arrivé là-bas, on voit, il y a du monde sur le tarmac. Moi, je suis la quatrième à être rentrée dans l’avion. C’est là que je me rends compte qu’il y a mon président et mes camarades qui sont déjà là avant moi. On part de Magenta, on va à la Tontouta. À la Tontouta, c’est Guillaume et moi les derniers à sortir parce que nos mamans, elles ont eu de la chance de vite préparer un sac et là ils tirent tout le sac, ils tirent tout le linge du sac, ils mettent par terre. Et ce qui m’avait choqué, c’est les mecs avec les FAMAS là autour de l’avion. On monte dans cet avion, menottés. Moi je vais parler pour moi parce que je suis la seule femme ici. Menottés tout le long du vol pour aller aux toilettes. Menottés. Moi j’étais en robe popinée. C’est les robes traditionnelles, elles sont longues. Pour aller faire les besoins, il faut être avec les menottes. Pour manger, il faut être avec les menottes. Interdiction de communiquer ni même de se regarder parce que peut-être qu’on va se passer des messages comme ça. On fait escale à Hawaii, la Nouvelle-Orléans, on va à Istre. Là, ils font descendre Dimitri et Frédérique. Nous, on descend bien après. On arrive sur le tarmac. C’est là qu’on se rend compte. Moi, je me rends compte qu’il y a plus les deux. Je suis en train de les chercher du regard, je les vois plus sur le tarmac. C’était angoissant ce moment-là. Ensuite, on rentre dans le hangar, on attend un peu, ils nous refont monter dans l’avion, le reste et on monte jusqu’à Vélizy-Villacoublé. Et c’est là qu’on nous fait descendre. Moi, j’étais l’avant-dernière à sortir, changer les menottes puis dans les voitures pour aller vers la prison de Dijon, 4h de route. C’est pour dire que la justice coloniale dans notre pays, elle est bien réelle. Ce n’est pas quelque chose qu’on dit comme ça puisque la résultante de tout ça, c’est que on est tous libres là, même si la procédure elle continue, mais en Kanaky, quand on est Kanak, et on est indépendantiste, on n’a pas de chance quand on rentre dans ce tribunal et ça c’est important pour moi de le dire aujourd’hui. Moi je suis sortie avant de prison avec Frédérique, j’étais assignée à résidence à Montpellier avec bracelet électronique. J’avais l’autorisation d’aller me balader que de 14h jusqu’à 17h tous les jours pendant plus de 7 mois. Et au final pourquoi ? La question que nous on se pose aujourd’hui, on sait qu’on nous a déportés mais on ne sait toujours pas pourquoi. Mais, par contre, le 28 mars [2024 ?], quand on a fait la mobilisation à Nouméa, Sonia Backès, elle a annoncé que si les parlementaires tremblent à Paris, bah c’est eux qui vont foutre le bordel. Donc aujourd’hui, pourquoi la justice elle ne fait pas d’enquête pour les non-indépendantistes qui étaient avec les milices ? Pourquoi ils ne font pas d’enquête approfondie pour toutes ces personnes qui ont porté aussi des discours forts à un moment donné dans notre pays. Donc voilà, pour ma part, je ne veux pas être trop longue, je veux passer la parole à Yewa, mais c’était important pour moi de partager ça. » (Brenda)
Vie quotidienne en prison
« […] quand on est arrivé ici, malgré les difficultés, les difficultés de déportation, les difficultés de garde à vue, on a fait une année d’incarcération. On est arrivé ici en métropole le 23 juin. Et on a été libéré le 12 juin. Douze mois, aujourd’hui, ça fait plus de 500 jours qu’on est là. On n’a pas vu nos familles encore. Mais c’est pour vous dire, pour réitérer ce merci, ce grand merci, au nom de nous mais aussi de notre peuple qui est là-bas. Parce que pendant qu’on était emprisonné, on a su trouver du linge, on a su trouver de l’argent, pour se nourrir en prison parce que vous vous étiez là. Tous les collectifs […], c’est pour cela qu’on tenait à être là ce soir. Parce que c’est un honneur pour nous aussi déjà de se retrouver après plus de 500 jours. C’est la première fois ce soir qu’on se voit là. Peut-être qu’on s’est vue [à] deux ou trois depuis que la juge elle a ordonné qu’on pouvait se parler entre nous. Mais ce soir, c’est la première fois que nous six, on est alignés ici, on est aligné ensemble, avec tous les parlementaires qui nous ont aidé, avec tous les collectifs qui nous ont aidé […] on ne va pas citer pour ne pas oublier, mais à tous les coups, on ne peut vous dire que merci, parce que quand on était en prison, c’est ça qui nous a rendu fort, parce que notre famille est loin de chez nous, c’est vous qui l’avez représentée ici, pendant toute cette période et c’est ça qui nous a forgé en prison, c’est ça qui nous a fait tenir […] ça fait depuis 1853 que notre peuple il souffre et qu’il continue à souffrir encore en 2025 par rapport à un accord qui nous a été mis sous le nez, on va partager ça encore tout à l’heure. » (Dimitri)
« Moi, je travaille à la bibliothèque et j’échangeais beaucoup avec les détenus ; du coup, on parlait beaucoup de leur histoire, de leur affaire, et j’ai senti beaucoup d’humanité par rapport à ce qui s’est passé chez nous. La même humanité, je l’ai vu quand on m’a envoyé des lettres, une centaine de lettres qu’on m’a envoyée et quand je suis sorti j’ai remercié le collectif de Bourges qui ont soutenu ma famille qui était présente plusieurs mois, qui m’ont accompagné quoi. […] Pour contourner cette image, une mauvaise image qu’ils ont donnée de nous […] on a voulu nous faire taire et donner encore l’image du Kanak violent. Merci à vous, le collectif de Bourges et chacun d’entre vous de nous soutenir […] C’est beaucoup de jeunes qui sont tombés, qui ont été tués par des gendarmes […] ils avaient la scène, il faut tuer du Kanak. […] C’est malheureux parce qu’il faut un accompagnement pour enlever ce traumatisme qui est resté là-haut […] C’est cette histoire judiciaire et la façon dont la justice, la police, les forces de l’ordre ils traitent les dossiers là-haut, c’est violent. Tous les jeunes sont déstabilisés et après ils s’étonnent que les mecs ils ont envie de tout péter, y a aucun droit, ils nous traitent comme des chiens et voilà, je pensais à tous les frères à nous qui se sont fait descendre et avec lesquels on était dans les mêmes projets, de construire le pays, qu’on sort des cases, qu’on sort des pirogues, des trajets coutumiers, travailler la terre, et voilà maintenant ils sont partis, ils ne peuvent plus le faire. SI je retourne, je vais aller sur leur tombe. […] y a des jeunes qui ont envie de débloquer notre pays. » (Guillaume)
- Les prisonniers enfin libérés et autorisés à rentrer au pays : utilisation des fonds collectés
Suite à la libération de tous les prisonniers politique kanak de la CCAT, seule Frédérique Muliawa était rentrée au pays courant juin et nous avons aidé à son retour (800 €, soit la moitié) sur les fonds collectés. Sinon, ils sont toujours six en France, avec des difficultés financières importantes. Nous avons continué à leur verser les 150 € mensuels, fait cela est loin de suffire pour se nourrir
Agrandissement : Illustration 6
et se loger et faire face aux dépenses minimales.
Si, aujourd’hui, le contrôle judiciaire a été assoupli pour tou·tes, ils ont le droit de rentrer au pays et de communiquer ensemble, mais la nécessité de continuer à les soutenir financièrement demeure. D’autant plus qu’ils n’arrivent pas à obtenir de l’État les passeports nécessaires pour le voyage. Jusqu’à leur retour, nous continuons également à leur verser mensuellement 150 euros pour les aider à vivre en France.
La collecte, lancée par l’AISDPK, qui s’adresse aux sept prisonniers politiques déportés en France, a recueilli depuis son ouverture fin juin 2024, 17 443 € avec 194 donateurs. À cela s’ajoutent des dons directs sur le compte crédit mutuel de l’AISDPK à partir d’octobre 2024 pour un montant au 31/10/25 de 12 320,50 €, soit un total de dons de 29 763 €. Début novembre, 24 714 € ont été redistribués aux prisonniers (14 867 €) et à certains de leurs frais d’avocat (9 847 €), en gardant de quoi contribuer aux billets de retour (800 € x 6 = 4 800 €) et à l’aide mensuelle de 150 € x 6 = 900 €. Toute aide, quel que soit son montant, est toujours des plus utiles car nous ne savons pas encore quand ils pourront rentrer en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, ni combien de frais d’avocats il va leur rester à payer.
Votre soutien financier est toujours nécessaire pour aider les camarades kanak retenus en France. Tant que tous ne seront pas rentrés en Kanaky et lavés de tout soupçon, notre combat continue.
Vous pouvez aussi adhérer à l’AISDPK pour suivre nos actions et y participer.
Merci de nous avoir lu.
IL avec les paroles des prisonniers politiques kanak