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Billet de blog 16 mars 2021

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Affaire Anticor : un gouvernement qui n’aime pas l’indépendance ?

En refusant désespérément de renouveler l’agrément lui permettant d’agir contre la corruption depuis tant d’années, le gouvernement tente de faire pression sur l’association indépendante. Comment justifier un tel chantage ?

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La campagne de diffamation à propos de ses « mystérieux » donateurs qui accompagne ce chantage est infamante et dangereuse pour la liberté d’association. Les ressorts de l’affaire sont à chercher du côté des casseroles gênantes accumulées par la majorité présidentielle

Agrément et donateur « mystère » : les ressorts éculés de la désinformation

Le tonnerre gronde sous les cieux jupitériens : haro sur la lutte anticorruption ! L’association Anticor attend toujours le renouvellement de son agrément lui permettant de saisir la justice et de se porter partie civile dans les dossiers qu’elle ouvre pour corruption. Le gouvernement juge insuffisantes les réponses données par l’association sur son fonctionnement, en pointant plus particulièrement le statut de ses financements.

Plus précisément, la polémique fait rage autour d’un mystérieux donateur, qui n’en est plus un : le journal Le Monde affirme qu’il s’agit d’Hervé Vinciguerra, homme d’affaires qui a versé 89 000 euros depuis 2017 à l’association et qui a construit un empire industriel offshore. Encore faut-il informer de suite que les dons effectués par cet homme d’affaires ne représentent que 7% du budget de l’association ces 4 dernières années.

Nous savons donc qui est ce contributeur controversé, alors même que la CNIL elle-même avait jugé qu’il avait le droit de rester anonyme ! Les associations ne sont en effet pas tenues de déclarer l’identité de leurs donateurs aux pouvoirs publics, ce qui constitue une garantie d’indépendance. Car c’est bien là que le bât blesse : comment une association peut-elle se tenir indépendante des pouvoirs publics si elle ne peut pas s’appuyer sur le mécénat privé ?

Si l’identité aurait pu et peut-être dû être révélée à l’ensemble des administrateurs de l’association, qui connaît un vent de contestation interne sur ses méthodes de gestion, le pouvoir politique n’avait aucun droit de s’immiscer de la sorte dans ce qui constitue bel et bien une ingérence dans le droit d’association tel qu’il fut constitutionnalisé en 1971 avec le statut de Principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Il faut également avoir en tête qu’Anticor dispose également d’un agrément de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATPV) lui permettant de saisir l’organisme si l’association a connaissance d’informations contraires à la loi de 2013 sur la transparence de la vie publique. Or cet agrément a été renouvelé en 2019 pour 3 ans ! Le gouvernement pourrait-il justifier ce qui a changé en moins de 2 ans et oser dire que la HATPV s’est fourvoyée en accordant ce renouvellement ?

Une liberté associative dérangeante pour la classe politique

Le fond de l’affaire se trouve surtout dans l’agacement que provoque l’association auprès des décideurs publics, depuis ses premières grandes victoires. C’est en effet elle qui a fait condamner en 2011 l’ancien président Jacques Chirac dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris puis a porté devant les tribunaux le scandale des sondages de l’Élysée sous la présidence de M. Sarkozy.

Plus récemment, l’association a obtenu le 4 février 2021 la condamnation en appel de Mathieu Gallet, ancien président de l’Institut national de l’audiovisuel, pour l’attribution irrégulière de marchés publics à des cabinets privés de conseil en communication. Mais ce qui préoccupe le gouvernement aujourd’hui sont plutôt les nombreuses enquêtes judiciaires gênantes pour la majorité présidentielle dans lesquelles Anticor a mis son grain de sel.

Rappelons en effet qu’Anticor est à l’origine, entre autres, de l’affaire des mutuelles de Bretagne qui avait coûté sa place à Richard Ferrand au gouvernement, de l’enquête pour conflits d’intérêts qui visait le secrétaire général de l’Élysée Alexis Köhler, ainsi que l’enquête de la Cour de justice de la République à propos de prises illégales d’intérêts de la part de l’actuel garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti. La remise par l’association du prix annuel 2021 de la « casserole » à Agnès Pannier-Runacher pour avoir tenté de dissuader plusieurs élus d’opposition de saisir le Conseil Constitutionnel dans le projet de loi ASAP, complète le tableau.

Toutes ces affaires ne font que renforcer l’hypothèse d’une pression de l’exécutif visant à bâillonner l’association. Peu importe au final les accusations de partialité formulées à son encontre, à savoir de n’attaquer que des figures politiques de certaines formations politiques au détriment d’autres, formulées par des personnalités politiques. Dans l’hypothèse même où ces accusations seraient justifiées à l’avenir, les nombreuses affaires portées à la connaissance de la justice et de l’opinion publique par Anticor n’en sont pas moins importantes et graves pour autant.

Or c’est précisément la découverte et la poursuite en justice de ces affaires qui serait compromise à l’avenir si le renouvellement de l’agrément est refusé avec comme dernier délai le 2 avril 2021 (date de prorogation temporaire). C’est une question de démocratie, de transparence, de liberté d’information et d’association.

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