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Billet de blog 23 juin 2017

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Hyper-communication et hyper-connexion numérique : être hyper-vigilant aux excès ?

Nous allons tenter d'éclaircir plusieurs points concernant ce phénomène en partant des recherches scientifiques, des statistiques d'utilisation, ainsi que des témoignages de professionnels de santé. La conclusion actuelle est que pour une majorité de la population adolescente et étudiante, l’usage des outils de communication numériques et des réseaux sociaux serait à drastiquement modifier.

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Le phénomène de l’hyper-communication et hyper-connexion numérique 

En tant que psychologue et féru de nouvelles technologies, l'évolution des usages liés au monde numérique me fascine et m'enthousiasme tout autant qu'il m’inquiète. S'il vous a semblé que le temps passé par chacun penché sur son smartphone a augmenté ces dernières années, sachez que c'est attesté par plusieurs études dont une (1) aux États-Unis montrant que le temps moyen par personne est passé entre 2008 et 2015 de 18 minutes par jour à 2h46 en moyenne. Les usages changent indéniablement et jeter des regards à son écran alors même qu'on échange en face à face avec quelqu'un, avoir des absences dans la conversation d’un groupe car affairé à répondre à un message ou un mail 'urgent' ou 'important' est bien plus toléré qu’il y a quelques années. Comme si de moins en moins de personne se sentaient irréprochables en terme de 'bienséance numérique' et n'osant ainsi pas faire de reproches aux autres ? En tout cas, de plus en plus nombreux sont ceux qui se disent dépassés par l’injonction d’être joignable, disponible, "connecté" ou encore exténués, lassés par leur rôle dans les réseaux sociaux. Ils déplorent la place trop importante des écrans et des interactions numériques au détriment de la qualité des relations dans la vie réelle. Cette plainte est croissante malgré les indéniables divertissements, joies, services et conforts que nous apportent les nouvelles technologies de communication et de socialisation. Comme si 'les écrans' venaient toucher au fonctionnement profond des interactions entre les individus ? L'auteur de ces lignes pense que c’est le cas.

Seule une minorité recourt très peu à son téléphone portable tandis qu'à l'inverse 46 % des adultes disent qu'ils ne supporteraient pas de passer la journée sans leur smartphone (2). Une pathologie appelée nomophobie - de l'anglais 'no-mobile phobia' - et présenté comme une peur excessive d'être séparée de son téléphone portable est même en émergence selon un nombre non négligeable de psychiatres. Enfin, une étude américaine de la Case Western University de Cleveland en 2010 et portant sur les usages des lycéens a révélé que 20% étaient "hypertexteurs" envoyant 120 messages par jour au minimum.
De leur côté les réseaux sociaux font désormais partie intégrante de nos vies de citoyens modernes, ceci aussi bien dans les société les plus industrialisées que celles moins avancées, notamment grâce au recours aux smartphones low-cost moins onéreux qu'un ordinateur: 1,86 milliards d'utilisateurs mensuels dans le monde dont 1,74 à partir de leur smartphone ceci pour le seul Facebook, qui, bien qu'étant le réseau vedette n'est pas le seul, notamment en Chine et en Russie. En France en 2016, c'est 30 millions de Français qui utilisent Facebook chaque mois. De même, un phénomène de connexion excessive se développe. Une étude récente aux Etats-Unis (3) mesure 40% de la population adulte présentant une addiction à internet (aux emails, jeux en ligne, contenus interdits aux moins de 18 ans) tandis qu'une autre, menée auprès d'étudiants américains, dénombrait 48% de personnes dépendantes et 40 autre pour-cent 'borderline' et potentiellement dépendantes. De nombreuses autres études sont en cours, mais l'inquiétude de la communauté scientifique autant que des praticiens de santé est bien installée.

Ce succès n'est évidemment pas sans raison et l'internet en mobilité couplé à la vie sociale virtuelle est assurément un espace d'opportunités qui ouvre nos horizons, professionnels et privés. Il enrichit ses utilisateurs et peut marginaliser ceux qui s'en tiennent trop éloignés. Mais cette vie numérique qui se greffe de manière de plus en plus omniprésente à notre quotidien de par l'autonomie et la puissance croissante des smartphones est vécue par de plus en plus de personnes comme stressante, anxiogène voire déprimante.

Les conséquences d’une vie numérique trop envahissante
Un nombre croissant d'études montre que l'immersion dans le monde digital participe au développement d'un large spectre de troubles psychologiques, de la dépression à l'addiction notamment chez les adolescents. L'ouvrage d'Adam Alter Irresitible paru en 2017 en recense un certains nombre. Ainsi de l'étude présentant les 20% d'adolescents hypertexteurs évoquée précédemment qui a montré que, comparés aux adolescents moins accros, ceux-là avaient alors deux fois plus de risque de boire de l’alcool, 41% plus de risque de consommer des drogues illégales, 3,5 fois plus de risque d’avoir des pratiques sexuelles et 90 % d’avoir déjà eu au moins quatre partenaires. Bien sûr, d'autres facteurs contribuent aussi à l'émergence de ces troubles du comportement chez les adolescents et l'essor de la communication numérique et des réseaux sociaux n'explique pas tout. Les hypertexteurs ont des difficultés à se réguler indépendamment de leur pratique numérique, mais le lien de cause à effet entre l'usage de ces médias et ces troubles est aujourd'hui établi. En 2014, le psychologue Jean M. Twenge de l'université de San Diego a analysé (4) les données médicales de près de 7 millions d'adolescents et adultes américains et montré que ceux-ci présentaient plus souvent des symptômes dépressifs que dans les années 80. Les adolescents en particulier ont 74 % de risque en plus de souffrir de troubles du sommeil et deux fois plus de risque de consulter un psychiatre ou un psychologue.
Contribuant à cela, le phénomène psychologique naturel dit de 'comparaison sociale' qui consiste à comparer sa vie à celle des autres joue à plein dans les réseaux sociaux où chacun tend à se montrer sous son meilleur jour en compilant les meilleurs extraits de ce qu'il fait.
Autre danger de la sociabilisation sur les réseaux sociaux, celle-ci peux impacter négativement notre capacité, d'un point de vue quantitatif mais aussi qualitatif, à rencontrer, fréquenter, se lier pleinement avec des gens dans la vie réelle. Une étude en 2012 de l'institut Pew interrogeant 799 américains de 12 à 17 ans a montré que seulement 35% des jeunes rencontraient encore des amis en face-à-face, alors que 63% d'entre eux reconnaissaient communiquer régulièrement par messagerie, avec une moyenne de 167 textos envoyés par jour. Or, les contacts dans la vie réelle sont indispensables à notre développement en tant qu'être sensible. Nous sommes des être sociaux et constituons nos expériences de vie, celles qui ont du sens et qui sont faites d'émotions authentiques, lorsque nous vivons ces expériences en présence de personnes en chair et en os. Le contact physique, le toucher, les câlins, en tout cas une bienveillance, une tendresse, une chaleur peuvent être toute ou partie dénaturés par le mode de communication numérique. Un émoticône ne remplacera jamais un regard ou un geste réel. Les conflits et la façon dont ils sont gérés illustrent bien à quel point la communication par média numérique interposé appauvrit la qualité des liens. Nombre d'adolescents que j'accompagne en cabinet privé m'évoquent des conflits avec leurs camarades où l'échange de messages, ou pire, l'étalement sur des murs Facebook de leur différend, a envenimé la relation jusqu'à un point de non retour. Il est remarquable que, systématiquement, les excuses présentées par texto ou autre message numérique sont considérées par leur destinataire comme inauthentique et le témoignage d'Audrey l'illustre bien :"Des excuses en ligne ça n'a aucune valeur. C'est facile, il suffit de taper 'Je suis désolée' alors que ça demande du courage d'aller voir quelqu'un en face et de lui dire je suis désolée". Des regrets, des excuses envers quelqu'un qui compte à nos yeux, immanquablement, ça se vit, ça s'incarne dans le corps pour être pleinement donné et pleinement reçu. Sur les réseaux sociaux, on 'partage' et regarde des contenus communs, on 'aime' ou on peut réagir mais ce n'est pas comparable au fait de vivre quelque chose ensemble par la "communication directe" de la vie réelle, nous dit Nicholas Kardaras directeur d'une institution de soin pour adolescents près de New York et auteur de Glowing Kids. De nombreux auteurs parlent de ce sentiment de connexion comme étant une illusion de lien qui n'enrichit pas la personne comme le permet, dans la vie réelle, la connivence établie dans des relations authentiques avec des personnes bienveillantes. Sherry Turkle, psychologue et anthropologue au Massachussets Institute of Technology a recueilli le témoignage précédent d'Audrey et compte parmi les pionnières des études sur l'impact des nouvelles technologies sur les utilisateurs. Elle rappelle que les adolescents d'aujourd'hui n'ont pas moins besoin que leurs aînés d'apprendre à éprouver de l'empathie, de réfléchir à leur identité et à leurs valeurs, de gérer et d'exprimer leurs émotions. Elle fait partie des observateurs qui attestent que la technologie mise au service d'une communication continue et toujours plus rapide a changé les règles du jeu. Son ouvrage paru en 2011 au titre 'Seul ensemble' est sous titré 'De plus en plus de technologie de moins en moins de relations humaines'. Le moins que l'on puisse dire est qu'elle tire la sonnette d'alarme depuis plusieurs années. Je partage son inquiétude d'autant que j'observe, dans ma pratique en institution publique de soin, que les parents des adolescents concernés sont pour une bonne part d'entre eux également pris dans cette relation non maîtrisée au numérique et constituent des arbitres, juges ou exemples très imparfaits. Encadrer leurs adolescents se révèle alors bien délicat et la question semble d'envergure sociétale.

Pourquoi sommes-nous si vulnérables à cette invasion des écrans ? Et les ados dans tout ça?
Le développement psychologique de l'enfant et de l'adolescent explique aussi la difficulté à contrôler l'engouement pour le numérique. Ils traversent une période délicate de mutation psychique et physique et sont aux premières loges des effets négatifs de ces usages notamment car ils sont la population la plus ciblée par les concepteurs et publicitaires et aussi la plus gourmande de ces nouvelles pratiques. Les 'Millenials' ou la génération Z ont la réputation d'être les plus adaptables, habiles et capables de profiter de ces nouveaux outils. Mais les études révèlent qu'ils sont en réalité pour pour une bonne part déstabilisés si ce n'est sérieusement perturbés par leurs pratiques numériques, notamment s'agissant de leur scolarité. La psychologue Kelly Lister-Landman a mis en lumière dans une étude en 2015 un lien entre la communication digitale compulsive et l’échec scolaire. Un ensemble de recherches françaises publiées en 2016 et coordonnée par Philippe Cottier et François Burban, nommé Le lycée en régime numérique a, parmi d'autres études, mis en lumière une distinction des lycéens en quatre catégories s'agissant de leur rapport aux nouvelles technologies et dans quelle mesure elles les aidaient ou non à réussir leurs études. Ils ont étudié leur recours à Wikipedia, aux appli éducatives, leur recherche web, le recours aux réseaux sociaux, chat et sms et enfin à l'espace numérique de travail du lycée (ENT). Du plus bénéfique à leur scolarité au moins fructueux ils distinguaient les élèves en 'productif', laborieux', 'dilettante' et 'oisif'. Tandis que les 'productifs' en font un usage modéré et fructueux pour leur scolarité, les 'oisifs' ne profitent pas du numérique pour mieux fonctionner en tant qu'élève et pour certains leur pratique les dessert même significativement. Notre regard porté sur les Millenials semble bien à nuancer.
Mais il faut avoir à l'esprit que les adolescents traversent une période où ils sont particulièrement sensibles aux conséquences néfastes de l'hyper-connectivité. La vie en ligne à travers son profil de réseau social ou à travers un avatar dans les jeux vidéos, permet à l'adolescent d'explorer son identité, un chantier immanquable à cet âge là. Les conflits liés à la ‹ représentation de soi ›, l’image qu’on donne, qu’on pense donner aux autres, sont propres à l'adolescence mais la nouveauté avec Facebook c'est qu'ils sont négociés publiquement nous dit encore Turkle, dans un monde où toutes les erreurs et tout les faux pas sont partagés.
De son côté le téléphone portable encourage la prise d’indépendance de l’adolescent, rassurés que sont les parents d'être censés pouvoir joindre leur progéniture à tout moment. Mais cela peut se révéler délicat à une période où le jeune tâtonne à équilibrer attachement et besoin matériel de ses parents avec quête d'indépendance et affirmation de son identité. Ainsi, un de mes patients Hugo, 13 ans, de s’exclamer en séance concernant son téléphone portable et sa mère : "Et si je dois répondre à chaque fois qu'elle m'appelle quand est-ce que je peux être seul ?" Ce sont ces problématiques ajoutées à d'autres tel que le développement de fonctionnements psychiques de type narcissique inadaptés voire pathologiques qui expliquent l'augmentation des troubles du comportement chez les jeunes souffrant d'hyper-connexion digitale.
Si l'on entend l’addiction comme un fort attachement à une expérience dont il est difficile et douloureux de se passer, alors c’est ce qui est observé selon un nombre croissant de praticiens de santé. Bien que le terme d’addiction comportementale pour évoquer ces pratiques dépassant la mesure soit polémique pour certains (5), le terme "behavioral addiction" a fait son entrée dans la dernière version du manuel le plus influent de la psychiatrie internationale, le DSM-5. Un consensus repose en tout cas sur la nécessité de continuer à étudier, objectiver, sensibiliser la société... pour agir !

Rappelons au passage qu’au cours de l’histoire de l’humanité de nombreux outils et technologies ont irrémédiablement modifié notre fonctionnement mental relativement à notre mémoire, au temps, à notre manière de gérer les informations et à communiquer. Le silex, l’écriture, l’imprimerie, la calculatrice, la télévision, l’ordinateur nous ont profondément impactés, certes, mais selon une diffusion de leurs usages bien plus lente que l’hyper-communication et l’hyper-connexion qui se caractérisent par leur émergence massive et rapide. Alors que l’alphabétisation du monde a pris des siècles, les smartphone low-cost se sont disséminés partout en moins de dix ans. Un battement de cils dans l’histoire des outils et technologies et un sacré défi pour le cerveau.

D’ailleurs, le fonctionnement du cerveau -de tout un chacun et pas seulement les adolescents- explique aussi en partie la mécanique de mise en place de l'addiction à ces nouveaux usages. Notre cerveau a besoin de nouveautés et il a besoin de récompenses. Il apprécie les activités qui libèrent un neurotransmetteur appelé dopamine dans notre cerveau, par exemple avec la nourriture ou le sexe. En somme, il apprécie toute chose qui active un circuit cérébral appelé sytème de récompense, associé à la motivation et au plaisir. Or, les études montrent de manière convergente que le monde digital est aussi source de plaisir et stimule le circuit de la récompense. D'un point de vue neurophysiologique, nous pouvons littéralement nous comporter comme des rats de laboratoire appuyant de manière compulsive sur la manette nous délivrant les doses de sucre que sont pour nous les envois et consultations de messages numériques au sens large, informations de toutes sortes et autres notifications. Mais la limite d’une sur-stimulation épuisante est fréquemment franchie, on se sent dépassés et en souffrance car toutes les sphères de notre vie peuvent être impactées.

Enfin, "on n'est pas aidés" a réagi Amin 17 ans et suivi par mes soins, notamment pour un temps bien excessif passé sur internet. Je venais de lui apprendre que les entreprises du numérique, dépendantes des revenus publicitaires en tant que source de revenus, ont un énorme intérêt à nous scotcher à nos écrans en nous faisant liker, cliquer, swipper, scroller pour regarder tel contenu, partager, contribuer à la promotion virale de tel autre. La difficulté à se contrôler et l'appétit sans limite pour toujours plus de stimulations numériques a été précocement repéré par les concepteurs et sachez que de nombreux grands patrons de la Silicon Valley dont Steve Jobs lui-même, ont rapidement et strictement limité l'accès de leurs propres enfants aux écrans. Au-delà des jeux ultra-addictifs comme Angry Birds, la conception des applis au sens large et au-delà des jeux, est de plus en plus orientée dans ce sens. Un nouveau métier appelé "growth hacker" vise même à trouver les moyens de décupler et faire perdurer le désir de jouer, se connecter, etc... Ce domaine d'étude et de marketing a un nom, c’est l’économie de l’attention. Bref, l’éthique va devenir un enjeu de taille, dont on parle heureusement de plus en plus.
Mais en attendant (en espérant !) que cela bouge et évolue dans le bon sens, au moins pour certains acteurs technologiques présents et à venir, que peut-on faire pour absorber, réguler, limiter ces contrecoups de la révolution numérique ?

Alors comment agir ? Hyper-réagir ? Non, ralentir…

Au-delà du fait qu’il est tout à fait possible de construire des interfaces qui ne poussent pas à l’addiction,
chacun à la responsabilité de ce qu’il fait de son corps et de son cerveau. Les études convergent pour vanter les mérites et même la nécessité de se relier à son corps, l'incarner le plus pleinement possible par l’activité sportive, des pratiques corporelles, l’expression artistique. De plus, être en contact régulier et significatif avec la nature n'est pas un luxe pour un cerveau qui, à l'échelle de l'évolution, n'est pas devenu ce qu'il est en restant autant de temps devant un écran, tout le contraire vous imaginez bien ! Des études (6), notamment issues du courant dit de l'écopsychologie, montrent même qu’un contact régulier avec la nature améliore les capacités cognitives. Mais il s’agit de trois heures en continu dans la forêt et non pas une heure dans un square de la ville. De plus, nous gagnerions énormément aussi à développer nos habiletés dans le domaines de l’attention-concentration, qui semble justement être une capacité fragilisée par les pratiques numériques excessives. D'autres recherches doivent corroborer ce type de résultat mais une étude en 2015 de Microsoft Canada montre que nous avions en 2000 une capacité de concentration focalisée et continue de 12 secondes qui a diminué à 8 secondes en 2013. Cultiver ses capacités attentionnelles est possible de diverses manières avec tel art martial suscitant la concentration et la coordination, le yoga ou encore la méditation. Il existe aussi depuis une dizaine d’années des programmes d'entraînements dits de remédiation cognitive sur ordinateur, menés par des praticiens dûment formés et dont l'efficacité a été été validée scientifiquement. Initialement conçus pour remédier aux troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), ils sont utilisés avec succès sur un spectre beaucoup plus large de personnes. Dans ce dernier cas, l’objectif est d’accompagner efficacement vers une meilleure maîtrise de sa capacité de prise de conscience et de contrôle de son attention, mise à si rude épreuve, littéralement morcelée, par les sollicitations du monde numérique qui nous suivent partout dans notre poche.
Pour comprendre l’impact aussi bien qu’agir en retour, un psychologue américain, Art Markman (7), nous rappelle avec raison que le cerveau est une admirable machine à apprendre car il repère nos régularités de comportement, nos habitudes, afin de les automatiser. Donc si vous avez pris l’habitude d’aller vérifier l’écran de votre téléphone toutes les vingt minutes en moyenne, il intégrera cela et perpétuera cette interruption sans votre volonté consciente. Cela explique la propension automatique que vous avez à continuer à porter votre attention à votre téléphone et l’effort qui vous deviendra par contre nécessaire pour vous retenir de le faire! Quand elle devient excessive, notre manière d'utiliser les écrans perdure car notre système attentionnel cérébral s’est adapté à interrompre notre activité. Pour stopper cet engrenage des écrans il faut tout mettre en oeuvre pour espacer dans le temps leur consultation. Cela graduellement et pour des laps de temps de plus en plus longs afin de faire désapprendre à notre cerveau ce rythme d’interruption qu’il a cru bon de nous faire adopter sans notre volonté. Mais qu’il a inféré de notre comportement après tout ! Il serait donc bienvenu de se retenir de consulter notre smartphone dans telle file d’attente, de sortir faire cette promenade sans lui, de le laisser à la maison une journée entière, etc… nous favoriserons ainsi une attention-concentration plus soutenue par une sorte de rééducation de notre cerveau.

Penser et réguler le rapport aux nouvelles technologies devient indispensable, en devenant bien conscient que celles-ci visent souvent à capter, captiver notre attention et notre temps. Prendre des mesures est même urgent pour ceux qui en souffrent tels que des adolescents et étudiants qui sont aux premières loges de ces mutations tout en étant les plus vulnérables. C’est une question sociétale et de santé publique.
Chez les adultes, l'inconfort ou le rejet des médias numériques se développent parallèlement à un désir de ralentir la cadence dans une société au rythme plus intense qu’auparavant. La mode des sagesses d’Orient, du développement personnel et des médecines alternatives font écho à une demande croissante de nos concitoyens de ralentir, respirer, se recentrer sur l'essentiel et ont pour point commun selon moi de poser la question de ce sur quoi on porte son attention au milieu de toutes les stimulations et sollicitations continuelles. Les horizons plus larges ouverts par les nouveaux outils numériques peuvent nous aider à répondre à cette aspiration de vie plus apaisée tout comme elle peuvent contribuer à nous faire suffoquer voire étouffer en accélérant une dynamique funeste. Des moyens existent, brièvement présentés dans cette tribune, pour réguler l'usage ces nouveaux outils et ils nous rappellent ce que nous savons déjà ou en tout cas que la science a attesté: il faut équilibrer le trop plein de 'connexion numérique' par davantage de 'connexion à notre corps', davantage de 'connexion réelle à nos proches' et davantage de 'connexion à la nature'.

Enfin, il est important de rappeler que les pratiques numériques inadaptées ou leurs excès font presque toujours écho à des difficultés de socialisation, un mal-être ou une souffrance psychique qui existent par elles-même et indépendamment du reste. Que ces souffrances soient mises en lumière par le numérique n'est que service rendu, permettant notamment aux praticiens de santé de repérer et intervenir plus tôt. Alors, concluons en reconnaissant cet effet collatéral positif des nouvelles technologies et soyons optimistes. Nous sommes aujourd'hui face un défi sociétal à notre portée si nous nous en donnons collectivement les moyens. Je pense au système scolaire, aux parents et aux concepteurs des mondes numériques. À bon entendeur...

(1) : Kleiner Perkins Caulfield & Byers, “Internet Trends Report 2016,” SlideShare, 26 mai, 2015; https://www.slideshare.net/mobile/kleinerperkins/internet-trends-v1/14-14Internet_Usage_Engagement_Growth_Solid11

(2) : Rosenberg and Feder, Behavioral Addictions, Academy Press, 2014. . Voir aussi : Aaron Smith, “U.S. Smartphone Use in 2015,” PewResearchCenter, 1er avril , 2015; http://www.pewinternet.org/2015/04/01/us-smartphone-use-in-2015/ ; Ericsson Consumer Lab, “TV and Media 2015: The Empowered TV and Media Consumer’s Influence,” Septembre 2015.

(3) : Susan M. Snyder, Wen Li, Jennifer E. O’Brien, and Matthew O. Howard, “The Effect of U.S. University Students’ Problematic Internet Use on Family Relationships: A Mixed-methods Investigation,” Plos One, 11 décembre, 2015; http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0144005

(4) : article Nicholas Kardaras, Cerveau et Psycho, numéro 87, avril 2017, adapté du livre Glow Kids du même auteur, 2016, St Martin's Press, LLC.

(5) : Allen Frances, “Do We All Have Behavioral Addictions?,” Huffington Post, 28 mars 2012; http://www.huffingtonpost.com/allen-frances/behavioral-addiction_b_1215967.html 

(6) : Payam Dadvand et collaborateurs dans Proceedings of the National Academy of Science, 30 juin, 2015 vol. 112 no. 26; https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4491800/

(7) : Art Markman, “How to Disrupt Your Brain’s Distraction Habit,” inc.com, 25 mai 2016; https://www.inc.com/art-markman/the-real-reason-technology-destroys-your-attention-span-is-timing.html

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