Après 40 années de labeur, la retraite pointant le bout de son nez d’ici quelques temps, j’ai récemment commencé à prendre le temps de relever le nez du guidon. Se donner du temps libre pour enfin ouvrir la pile de bouquins qui traîne dans mes pénates, réécouter des plages entières des vinyles de mes héros des années 70, rebrancher ma vieille Fender, et puis… traîner sur les réseaux sociaux, les sites d’informations, les blogs divers et variés.
Prenant le temps de lire beaucoup de textes qui trainent sur le réseau, j’ai pris conscience de choses qui jusqu’à présent, m’étaient étrangères. J’ai eu la chance de beaucoup voyager, de beaucoup échanger, mais même cela ne prépare pas à ce que l’on découvre au quotidien sur les réseaux. Je pense, ou plus humblement, j’espère, être un libre penseur. Mais cette liberté de penser vient de recevoir un véritable uppercut. Peut-être étais-je naïf. Il n’y a rien de mal à la naïveté ou à la méconnaissance. Elles peuvent ouvrir bien des portes qui seraient restées fermées. La célèbre phrase de Mark Twain. Alors, je découvre…
Et je découvre quoi ? Que ce magnifique univers de l’internet n’est qu’un simple réservoir à la haine quotidienne la plus crasse. C’est déprimant. Insultes, militantisme aveugle, absence d’argumentation, mises à l’index, tout ce que la haine ordinaire cachée derrière l’anonymat permet de déverser. C’est un torrent de vilénies. Rien de neuf sous le soleil ? Naïveté quand tu nous tiens ? Imbécile heureux ? Non…, je le savais. Mais honnêtement, le moment où j’ai réellement pris conscience du danger et de la perversité du système, c’est le jour, ou moi-même j’ai commencé à déverser ma propre haine. Brutalement, directement, sans filtre, et toujours de manière anonyme. J’ai relu tout cela et j’en ai eu honte. Et pour ne rien oublier, j’ai décidé de ne rien effacer. Oui, c’est bien moi, soi-disant libre penseur, qui a écrit toutes ces horreurs.
A chacun ses idées, ses opinions, ses combats. Rien qui ne soit plus normal. Médiapart est un journal militant, on ne s’y abonne pas par hasard. Et c’est bien. Ils publient des articles, souvent engagés, et ils génèrent des réactions parfois vives. Trop de ces réactions sont des messages haineux. Aucune idée, aucune opinion, aucun combat ne justifient une telle haine, une telle débauche, une telle vulgarité. De plus, c’est totalement contreproductif. Vouloir convaincre une personne en commençant par l’insulter, ou insulter ses idées est voué à l’échec. Bref, c’est par-dessus tout totalement imbécile. A titre d’exemple, jamais une Nadine Morano ne me convaincra de voter pour ses amis au travers de son discours trop souvent insultant. Jamais. Elle ne fera que me convaincre de continuer à la combattre. Mais je lui reconnais au moins le mérite de le faire à visage découvert. Elle a le courage de ses opinions, même si celles-ci sont essentiellement haineuses. Et par cela vient, ce que je considère comme la pire des situations : Le militantisme aveugle et anonyme.
Militer pour une cause, un parti politique, une idée du mieux, il n’y a rien de plus respectable. S’engager pour des idées véhiculées par n’importe quel quidam ou leader d’opinion est un beau combat. Je ne suis qu’un simple électeur de base et j’admire les militants. Je serais bien trop faignant ou timide pour aller distribuer des tracts sur les marchés, pour aller frapper aux portes et convaincre, pour aller coller des affiches. Je respecte profondément tous ces gens. Ils sont utiles.
Mais le militantisme est tout aussi dangereux qu’il est utile. Car par la magie du réseau et de son anonymat relatif, il débouche presque toujours sur une forme d’aveuglement et de surdité absolues. Même quand les faits sont prouvés et indiscutables, le militantisme aveugle conduit à les nier. A nier les évidences. On tord la réalité afin d’en faire une preuve de la justesse de notre combat. Et l’on oublie dans la seconde qui suit que l’on vient de tordre cette réalité. Et pour ne pas avoir à s’en souvenir, on part dans le conflit, la haine, l’insulte. Plutôt que de défendre des idées, on cherche avant tout à détruire celles des autres. Et l’on est voué à l’échec. Exemple : Marine Le Pen lors du débat.
J’ai connu un leader d’entreprise, qui pour rassurer ses actionnaires, déformait intelligemment la réalité, en s’imaginant que le monde était tel qu’il voulait qu’il soit, au lieu de regarder la réalité en face. Ignorant la vraie vie de ses collaborateurs, évitant de se confronter aux réalités du terrain, passant le plus clair de son temps à refaire le monde pour expliquer à son entourage les raisons de leurs échecs. Sa société est en décroissance, ses plus précieux collaborateurs sont partis sous d’autres cieux. Hors l’économie est impitoyable : Tout ce qui décline va vers une mort certaine.
Toute croissance d’une idée ou d’une entreprise ne peut se faire que si elle tient compte de son environnement. Un exemple ? Beaucoup lui reproche, mais c’est quand même, et que l’on soit en accord avec lui ou non, toute l’intelligence d’un Emmanuel Macron. Comprendre son écosystème pour en tirer profit. Bref, s’il est borgne pour certains, il est désormais roi au pays des aveugles militants. Et si tous ces militants aveugles avaient voulu l’être un peu moins et tenir compte du réel, ils auraient eu quelques chances de le battre.
Autour des insoumis de Mélenchon, des obscurs nationalistes du FN, des prisonniers de Fillon, trop de militants sont restés dans l’aveuglement. Et le pire de tout : Ils continuent à ignorer la réalité d’un pays en pleine mutation. Alors quand on lit les messages sibyllins de ces militants, on n’y retrouve principalement qu’une seule chose : La haine de l’autre. Plutôt que de tenter de convaincre, ils insultent, ils véhiculent des fake news, ils propagent des rumeurs. Leur aveuglement est tel qu’il les conduit tout droit à leur défaite. Cela dit, leurs leaders ont donné l’exemple : Mélenchon et sa morgue, Le Pen et ses insultes, Fillon et ses casseroles. Et pendant ce temps-là, un gamin de 39 ans, interdisant de siffler ses adversaires dans ses meetings, rafle la mise.
Certains objecteront que les aveugles, ce sont les quelques 30% de français qui désormais suivent Emmanuel Macron comme des moutons de Panurge. Oui, surement. Mais à la différence des militants enragés, cet aveuglement n’est pas militant. Il ne conduit pas 30% de français à se répandre en abjections sur les réseaux.
Alors moi, humblement, je voudrai dire à tous ces militants aveugles et sourds qui se sont, grâce à l’anonymat du réseau, transformés en « haters » insultant de la pire espèce, 2 ou 3 choses toutes simples.
N’essayez pas de convaincre le militant d’en face. Il est tout aussi aveugle que vous !
Vous voulez tenter de me convaincre, alors ne commencez pas en insultant ma personne ou mes idées. Ne déversez pas de haine sous prétexte que nous ne sommes pas d’accord.
Plutôt que de défendre un leader, défendez des idées. Les leaders passent, les idées restent, même les pires.
Ecoutez cette bonne vieille chanson de Tonton Georges : « Mourir pour des idées ». L’idée est excellente… Mieux vaut mourir pour des idées que tuer pour des idées.
Ne participons plus à tout cela. Echangeons, défendons des idées. Sans haine ni méchanceté ou aveuglement. Je suis naïf ? Pour sûr ! Mais, si j’ose dire, je continuerai à militer aveuglément pour cela.