Bien ! La primaire socialiste va maintenant pouvoir se tenir, et nous verrons quel candidat représentera, comme disent les médias, « la Gauche aux élections ». La « Gauche » peut-être – et ça reste à prouver – mais la France ? Car voici :
63% des Français en âge de voter soit ne vont pas voter, soit ne sont pas inscrits.
Plus de 55% des Français inscrits sur les listes électorales ne se déplacent pas aux urnes.
Un parti politique véritablement désireux de changer la République commencera par montrer que son principal souci, et surtout son principal espoir, se trouvent là, dans le gisement énorme que révèlent ces chiffres terribles : seuls 37% d'électeurs potentiels votent – et votent parfois blanc. Voyez les sources sur le site TNS-SOFRES et sur divers blogs dont certains sont effarants (je vous laisse chercher) : les élections sont déterminées par les avis de la très petite majorité issue d'une minorité ; et allez après ça, messieurs-dames les beaux parleurs, vous gargariser de vos scores sans équivoque !
Le principal grief exprimé par tous ces gens qui ne veulent pas faire les imbéciles dans un isoloir est le misérable niveau de crédibilité et de morale des représentants de la Nation, qui se goinfrent et nous insultent à longueur de jour, sans vergogne, sans retenue, bien sûrs de leur impunité puisqu'ils sont contrôlés par de bien plus forts qu'eux, et qu'eux-même ont maintenant fait en sorte de contrôler tout ce qui pourait leur nuire, à l'exception notable de quelques juges d'instruction que l'on soupçonnera donc de crypto-maoïsme. C'est pourquoi une formation politique neuve, solidement assise sur une base active et non verrouillée par des « élites », si elle était entendue et comprise de la population abstentionniste, pourrait la ramener pour une première et/ou dernière fois aux urnes, avec pour résultat renversant de propulser une organisation – on pense ici évidemment au Front de Gauche – présentée au mieux comme un ramassis de rêveurs faciles, et plus généralement comme un tas de cinglés haineux et sans culture, au sommet d'une déferlante dont la taille la rendrait propre à faire pivoter l'Histoire. Et c'est ce qui ne doit surtout pas arriver.
L'abstentionniste ne s'abstenant évidemment ni de lire ni d'écouter, ne peut faire autrement que de se nourrir des paroles fielleuses délivrées par les journaux, les radios et les télévisions, tendant d'une part à nier sa réalité en tant que principale force politique du pays – puisqu'il est majoritaire – et d'autre part à dévaloriser toute parole portant un projet de société alternatif à celui, bien ronronnant et doucement déprimant, qui tend à installer et consolider, gentiment et sans heurts, une oligarchie aux commandes : ici, le phénomène a été occulté par le fait que c'est la Commission Européenne – non élue – qui siège et décide pour nous, et qui transmet ses « recommandations » à des gouvernements composés de gens dressés à obéir au doigt et à l'œil. L'abstentionniste, qui sait ce qu'il en est de ces valets depuis au moins le déni de démocratie du référendum de 2005, ne veut certes pas s'abaisser à leur donner sa voix et, mettant tout le monde dans le même sac, reste bouder chez lui tandis que les quelques rares politiques sincères qui voudraient changer les choses se désespèrent, avec leurs scores à un chiffre, sous les sourires narquois des Apathie ou des Duhamel qui ont beau jeu de les achever, en leur disant qu'il faut parfois savoir être réalistes.
Toute rupture ne pouvant venir que des citoyens, il est impératif, pour l'oligarchie, de continuer à faire en sorte que les abstentionnistes, SURTOUT continuent à s'abstenir ; pour cela, rien de mieux que de transformer la politique en un sale petit jeu de menteurs à nez rouge. Les honnêtes gens égarés dans ce nauséeux tas de gredins seront ridiculisés par les médias aux ordres, écartés des postes à haute visibilité, et finalement éjectés par les vertus additionnées de la calomnie et du découragement, sans oublier la fatalité chère à Alain Minc.
En somme, ayant pour objectif de déposséder toujours plus l'électeur de son pouvoir qui est de donner des ordres, l'oligarchie se doit de l'affaiblir jusqu'à le tuer, pour l'empêcher de se récupérer, de regarder ses mains et ses voisins, et de compter sa force. La croissance du taux d'abstention aux élections, lequel taux n'est rien d'autre que le pourcentage d'électeurs morts d'inanition, est la meilleure nouvelle qui puisse parvenir à nos maîtres : plus il est élevé, plus on se frotte les mains dans les palais, tandis qu'à la télévision les causeurs formatés font mine de s'affliger.
La destruction des biens collectifs, la présentation de l'impôt comme étant une malédiction, la dislocation des structures de mutualisation des risques, sont les outils principaux qui permettent à l'oligarchie de régner sans plus un gramme d'opposition, sur un peuple de gens ligotés, exposés aux loups, sans résistance, et n'ayant d'autre espoir que d'échapper, avec un peu de chance, aux mâchoires : pour cela, le mieux est encore de prier, mes chéris, tandis qu'à la télé on vous présente les syndicalistes comme des criminels ou des imbéciles d'une autre époque, psychorigides furieux vivant dans un monde parallèle.
Symptomatique et ô combien représentative de cette insidieuse façon de promouvoir le cauchemar en le présentant comme un gain de liberté, la création du statut de micro-entrepreneur est un vrai, un terrible cheval de Troie, qui te transforme en un petit grain de riz sans contrepoids ni bouclier, solitaire absolument, mais cependant agent motivé, allié objectif de l'oligarchisme qui, tel un chiendent, envahit peu à peu tous les territoires de ton existence, et détruit autour de toi tout ce qui pourrait s'opposer à son développement, et à ton étouffement.
L'éparpillement et la division rendent faible, on le sait depuis au moins le premier César ; le prédateur n'a plus alors qu'à tout ramasser. Et voici : pendant les guerres médiques, les Grecs se sont soudain découverts peuple ; comprenant où se trouvait leur liberté, et de quoi elle se nourrissait, ils ont su s'allier pour repousser et détruire les armées d'esclaves envoyées par un grand roi, et conserver dans l'affaire l'indépendance de leurs cités. « Aux barbares il convient que les Grecs commandent et non, ma mère, les barbares aux Grecs : chez eux c'est l'esclavage et nous, nous sommes libres ! » (Iphigénie à Aulis). Qui dira combien de temps il nous reste pour nous rassembler, avant que le couvercle ne soit définitivement mis en position, et boulonné, nous enfermant dans la nuit, nous et nos espérances ? Qu'avons-nous à perdre, acculés que nous sommes ?
Qu'avons-nous à perdre ? Mais nos enfants. Ne rien faire aujourd'hui les précipitera sous le joug. Il faut balancer aux ordures tout ce fatras mensonger qui nous ligote et nous intoxique, et le faire tant qu'on en a encore l'autorisation. Il est minuit moins une, c'est l'heure des cœurs valeureux.