Traditionnellement, depuis quelques générations, on distingue quatre ensembles majeurs qui agissent sur l'orientation de la politique française : l'Extrême-Droite, la Droite, la Gauche et l'Extrême-Gauche.
Traditionnellement, on considère que la population votante se sépare entre la Gauche et la Droite, les deux autres ensembles périphériques n'attirant que peu de monde.
Traditionnellement, on préfère ne pas s'intéresser aux abstentionnistes. En effet, puisque ceux-ci ne votent pas, ils ne pèsent rien, et n'existent donc pas puisqu'ils ne disent rien (voyez la figure des cauris, petites porcelaines en forme de bouches, qui servaient – ce n'est pas anodin – de monnaie dans la zone indo-pacifique : qui a de l'argent pèse dans les assemblées ; ceci menant à l'idée que seul celui qui parle existe).
Enfin, traditionnellement toujours, voici le Centre, qui se déclare placé à mi-chemin entre la Gauche et la Droite, ce pauvre Centre qui attire tellement peu qu'il ne sert qu'à faire basculer des élections trop serrées, ses quelques électeurs reportant alors presque invariablement leurs voix sur le candidat situé immédiatement à droite.
Telle est l'image que l'on se fait des positions politiques en France, traditionnellement.
Comment représenter de cet assemblage ?
Quelle figure pour cette carte ?
D'instinct, on dira que c'est une ligne, avec à gauche la Gauche, et à droite la Droite. C'est simple, c'est facile, c'est direct.
Mais quelques esprits médisants, qui ne peuvent s'empêcher d'exprimer tout le mépris qu'ils ressentent en ce moment pour la gauche de la Gauche, veulent nous faire imaginer que, les extrêmes se rejoignant, la carte doit être représentée par un cercle.
C'est grave, parce qu'alors il n'y a plus ni Gauche ni Droite qui vaille, mais autre chose... Dans cette nouvelle représentation, l'Est sera, par exemple, occupé par l'ancienne Gauche, l'Ouest par l'ancienne Droite. Le Centre doit être au Sud (c'est-à-dire bien en-dessous de l'horizon), tandis qu'au Nord bien glacé se tiennent les deux monstres, Front de gauche et Front national, que dominent, méprisants et donneurs de leçons, Laurent Joffrin et l'ami Plantu, les vertueux annonciateurs de cette magnifique boussole.
Heureusement, le récent combat entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen a dissipé ces fumées ridicules : ces deux-là sont tellement aux antipodes l'un de l'autre qu'il faudrait se blinder de mauvaise foi pour continuer à les prétendre voisins.
Mais alors pourquoi Joffrin éditorialiste, qui n'est pourtant pas à droite, médit-il aussi régulièrement de Mélenchon, après l'avoir encouragé jadis ? Pourquoi Joffrin semble-t-il aujourd'hui redouter Mélenchon beaucoup plus que, par exemple, Nicolas Sarkozy, au point d'en faire un allié objectif de l'UMP ? Ce dégoût affiché est un indice.
Étudions encore un petit peu le cas de Mélenchon, car il attire à lui tant de suspicions, de médisances, il suscite des allergies dans des endroits tellement inattendus que je ne peux m'empêcher de repenser à Ségolène Royal, candidate pour 2002, qui fut à gauche la cible d'une agressivité presque délirante quand on la regarde d'un petit peu loin, tant sa violence fut sans mesure lorsqu'on la rapporte aux causes qui étaient avancées pour l'expliquer.
Royal, tranquille et bienheureuse, n'hésita pas à mélanger centrisme et socialisme, ce qui fut alors tenu comme une abomination – les hypocrites, qui font bien pire aujourd'hui ! Mélenchon, épuisé de ne pouvoir être plus à gauche, quitta le Parti et ne tarda pas à devenir dangereusement corrosif. L'une par le flanc droit, l'autre par le flanc gauche, ayant quitté le territoire sacré ou tenté de le redéfinir, furent rapidement mis à l'Index. Je soupçonne que les réactions dont ces deux-là furent la cible viennent du fait qu'ils ont exprimé, en fanfare et sans prendre de gants, l'idée que la cartographie traditionnellement reçue de la politique en France était devenue obsolète. Quelque grande masse avait basculé, et le déni de cette réalité alimentait, et alimente encor, la fureur avec laquelle on s'est mis à taper, dans les états-majors des partis et dans les médias de la gauche bien pensante, sur ces deux figures singulières, dévastatrices et démasquantes. On ne doit pas toucher au mythe.
Où se trouve le Parti socialiste ?
Second indice : le pauvre François Bayrou ne trouve jamais sa place. C'est bien un signe ! Quand il fonde ou rénove son parti centriste, ses ouailles filent à l'UMP dès les premiers grondements du sol. La Gauche le raille, et il amuse la Droite. Quelle vie amère !
Ségolène Royal, pour rassembler le maximum d'électeurs afin de battre Sarkozy, n'a pas longtemps hésité à se tourner vers ce monsieur, et lui a demandé l'alliance. Mais lui, étrangement muet, a fait sa prude effarouchée et n'a point osé accepter... Car cela aurait été avouer, tout haut et à la face de la France entière, quelque chose que vous allez découvrir aujourd'hui, ou que peut-être vous avez compris depuis longtemps – ai-je le droit d'enfoncer des portes ouvertes ? En tout cas je ne pense pas me tromper.
Troisième indice, dévoilé par Jean Quatremer, journaliste à Libération, blogueur à Bruxelles. Jean Quatremer nous dit tout sur le Parlement de Strasbourg, et nous livre, au fil de ses billets, ses affinités, ses malaises, ses goûts et dégoûts en matière de politique et de politiciens. Au début je croyais absolument tout ce que ce monsieur rapportait, figurez-vous, et peu à peu j'en vins à considérer Die Linke, la gauche de la Gauche européenne, comme un ramassis de gredins, un grumeau de canailles emportées par quelques maudits voyous de basse morale, au milieu desquelles il convenait de distinguer, pour ses œuvres, ses grimaces et ses prises de bec, l'inimitable Mélenchon Jean-Luc, pirate en chef d'un parti improbable et sans projets – mais pas sans invectives : le Parti de gauche, le terrible PDG.
Puis je m'aperçus que ledit Quatremer y allait un peu fort dans la mauvaise foi, frisant presque la diffamation lorsqu'il osa écrire que Die Linke avait refusé de gronder le dictateur biélorusse, et que tout ça c'était bien la faute de Mélenchon, que décidément il faudrait pendre.
Voici qui nous amène au dernier indice, livré encore une fois par le surabondant Quatremer, qui, en substance, s'écrie de temps à autre : « Dieu sait que je n'aime pas Sarkozy, mais Mélenchon est un plus grand monstre encore ». Dieu sait, oui, mais pas nous ; car nous chercherions en vain dans toute la prose de l'homme des coulisses quelque chose d'un peu virulent à l'encontre de notre affreux président, de son parti de ténèbres, et même de la Droite européenne... Tandis que le diable rouge qui fume là-bas vers l'extrême gauche est dix fois plus dénoncé en chaire. Il y a là une haine déclarée.
Et cette haine, assortie de cet aveu qu'on préfère encore Sarkozy à Mélenchon, aveu lancé par un homme dit « de gauche », travaillant pour un journal réputé de gauche, plutôt socialiste, m'a finalement ouvert les yeux.
Le Parti Socialiste n'existe pas !
D'abord on n'y vient pas, on en part. Merveilleux réservoir de compétences, on le pille à droite, tandis qu'à sa gauche on s'y accroche parfois encore un peu, au risque d'y perdre son âme comme vont bientôt s'en rendre compte les pauvres Verts de Bretagne, qui, après avoir fort raisonnablement fait alliance avec monsieur Le Drian, doivent ces jours-ci avaler une énorme couleuvre en forme de procès fait à France Nature Environnement parce que cette maudite organisation a osé vouloir afficher une vérité qui sent le cochon.
>Sur le flanc droit, la compatibilité est si poussée entre le PS et l'UMP, qu'on ne s'étonne même plus d'entendre une ministre bleu-marine vanter les mérites d'un éléphant prétendu rose, tandis que d'autres, encore un peu éléphanteaux, et encore un peu rosés en surface, s'essayent à barrir comme seuls les mammouths de la droite noire et poilue savent le faire. Voilà qui peut expliquer pourquoi, dans les forums, souvent des gens de gauche parlent, désabusés, d'un UMPS, sigle aussi utilisé par l'extrême-droite.
En somme, il y a, planté sur la carte, un panneau marqué Parti Socialiste, et ma thèse est la suivante : ce panneau est exactement installé au centre... Oui oui oui, je vois qu'il est au centre de la carte. Alors Bayrou peut toujours gigoter et faire croire que. La vérité est qu'on lui a piqué sa bicoque.
Ma proposition :
Idéalement aujourd'hui, et en créditant Europe Écologie d'une certaine tendance à être plutôt de gauche, nous aurions, selon mes petites cogitations, ceci :
1- L'Extrême-Gauche, claquemurée dans son fortin, et tirant au lance-pierre sur tout ce qui s'approche.
2- La Gauche, sous la figure d'un Front de Gauche, battant la campagne, rameutant les abstentionnistes, les ébahis de la politique, tenant des meetings dans les combes, encore peu sûre de sa grandeur mais pourvue d'un but qui terrorise les autres, et qui n'est pas sans rappeler celui de la fondation de Rome.
3- Le Centre, étiqueté Parti Socialiste, grosse masse étalée sur un vieux butin qu'elle prétend garder, et survolée par EE-Les Verts (combien de temps va durer cette alliance bizarre et aérostatique entre ces deux-là ? Dieu seul le sait, pas vrai Quatremer ?
4- La Droite, rassemblée sur sa place d'armes autour des vigoureuses couleurs de l'UMP, et tentant à toute force de pomper ses voisins, sans états d'âme et avec un but très clair qui est de régner pour toujours.
5- L'extrême-Droite enfin, à l'affût dans les broussailles.
Et sur cette carte errent quelques solitaires aux rêves déconnectés.
Voilà. Je descend de ma caisse, merci d'avoir lu ceci, et je laisse la place au tribun suivant. Bonne journée à tousses !