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Billet de blog 18 août 2011

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Invisibles et tenaces (neuvième partie)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis grand. L'escalier de l'immeuble où habite H. est très bas de plafond, et si étroit qu'on ne risque pas d'y trimballer des armoires autrement qu'en pièces détachées. Pour les lits doubles, je songe qu'il doit falloir pratiquer du vaudou sur les déménageurs. Nous sommes dans un petit HLM à trois étages, aligné le long d'une route de la banlieue sud. L'arrêt du bus n'est pas loin, dix minutes à pied. Mais quand H. doit aller au bureau par ses propres moyens, le voyage commence si tôt qu'il ne peut être question pour lui d'espérer un bus à cette heure. Car voici : pour être à 06h00 à pied d'œuvre il doit prendre la navette qui part du centre-ville à 05h20 et qui arrive à 05h40... Pour être à temps au départ de cette navette, il doit y aller à pied, passer devant son petit arrêt de bus inutile (le premier passage est à 05h27), et marcher pendant quarante minutes. Il se lève donc à 04h00, c'est-à-dire une demie heure avant moi.

Heureusement, parfois le chef est là. Lui aussi se lève à 04h00 et démarre à 04h30. Il arrive au dépôt de matériel vers 05h00, prend le camion, va chercher H. pour 05h30, et file enfin avec son passager jusqu'au bureau pour y prendre les ordres de la journée à 06h00. C'est à cet instant que moi touriste j'arrive comme une fleur. Je gare mon véhicule sur un parking encore raisonnablement désert, avise au loin mes deux compères qui prennent un café dans le bureau du patron, lequel est souvent déjà là. Par la fenêtre ils me font des grimaces.

IX

Mais nous sommes maintenant le soir. Il est 19h45, et pour la première fois je pénètre donc chez H. Voici une pièce principale avec cuisine-bar, canapé-lit et écran plat ; voici un débarras où trône un ordinateur sous ADSL ; voici une salle d'eau avec WC et lave-linge. Quatre mètres de couloir alimentent tout ça. Un petit balcon, attenant au séjour, est garni d'un mystérieux bac à géraniums vide. Je m'approche de ce lingot de plastique suspendu à la balustrade, et découvre en ses tréfonds non point un peu de terre noirâtre et desséchée, mais une petite couverture pliée qui fait, me dit-on, coussin pour chat. Car là-dessus, eh oui, gît ordinairement un greffier de couleur sable, les jambes pendantes de part et d'autre, détendu ramolli, faisant la flaque dans son pot en saillie au-dessus du vide. C'est ici le chat qui sert de plantouille.

Une vraie plante vagabonde. Voici son parcours : tout d'abord il se lève de son pot, court le long de la balustrade, prend son élan et saute du balcon jusque sur une lame horizontale de béton qui rampe le long de la façade, et longe le débarras. Mais voici une descente d'eaux pluviales. Il faut la contourner en prenant un virage en lévitation dans l'air. Seuls les chats et les oiseaux savent faire ce genre de choses. L'obstacle une fois franchi, la lame se poursuit le long de la salle d'eau ; ici, un petit carreau toujours ouvert permet à monsieur l'acrobate qui se faufile d'aller boire à la cuvette des toilettes. Puis c'est la grande séance de grattage à la porte si celle-ci est fermée. Quand personne ne vient, il faut faire demi-tour.

Ainsi, alors que, non prévenu de toutes ces ambulations horizontales, verticales et transversales, je me penche par-dessus la balustrade pour admirer le toit de notre camion garé juste en-dessous (H. habite au premier étage), un fichu Jack Mistigri sorti du néant m'atterrit sur le coude gauche et réclame illico accès à son panier suspendu qui est à ma droite. Un nuage de poils se disperse dans le sillage de cette apparition. J'obtempère ; en guise de remerciement, on me donne poliment un coup de front sous le menton avant de s'étaler sur la couverture. Ceci ne dure qu'une seconde ; le chat saute ensuite dans le salon, avise une boulette de papier et lui donne la chasse, puis revient se loger dans son nid aérien, en me regardant d'un air important. H. m'appelle. Je rentre chercher mon café qui est prêt.

« C'est un chat ou un écureuil volant ? Il prend du café, lui aussi ?

― Il a la bougeotte. Et tu vas voir, il va faire le tour et gratter à l'entrée. Tu veux du sucre ?

― L'entrée de l'appartement ? » À cet instant nous entendons, par la porte-fenêtre entr'ouverte, un « bong » retentissant. Le matou trépidant vient de sauter sur le toit du camion. C'est ici le point de non-retour : nul ne grimpe au faîte d'un véhicule aérodynamique sans utiliser au moins un grappin, une corde, un escabeau ou un aérostat. Le chat ne possédant aucun de ces outils, s'il décide de sauter du toit par terre, il lui faudra dès lors remonter par l'escalier, en s'introduisant dans la cage dudit par une buse d'aération qui a perdu sa grille, et à laquelle on accède en escaladant une poubelle d'abord, un sureau ensuite. Il suffit après ça de se laisser tomber sur les marches et de grimper au triple galop jusqu'à l'appartement, où l'on gratte. De fait, il ne se passe pas deux minutes avant que nous ne n'entendions cet effréné gigoteur martyriser la porte du palier. H. se lève et va ouvrir. Le chat se précipite, saute sur le canapé, me piétine et lâche des poils, file sur le balcon en miaulant comme un ninja, grimpe sur la balustrade, bondit dans le vide jusque sur la lame de béton et disparaît dans les toilettes où nous l'entendons attaquer sauvagement un rouleau de papier hygiénique. Si nous voulons discuter en paix, il nous faudra laisser toutes les portes ouvertes, et veiller aux courants d'air. Le retour de l'ami H. déclenche toujours de ces petites tornades. Et revoilà le chat qui passe...

« Bong...

― Et allez ! Il va finir par faire des bosses sur le camion.

― La prochaine fois, dit le chef, on se garera plus en arrière.

― Qu'est-ce qu'il perd comme poils ! dis-je en en repêchant un spécimen noyé dans mon café. Dis donc, avec un tel exercice, il ne sera jamais gros.

― Allan, demain tu viendras ici, je te prendrai avec H. et on filera directement au collège.

― À quelle heure ?

― Sept heures et quart ? Soyons fous ! De toute façon, le chantier n'ouvre pas avant huit heures. Je te préviens, on va faire des tonnes de vitres. Et du sol à n'en plus finir.

― Chouette ! Je vais apprendre à passer la raclette ?

― Il y a deux méthodes. L'américaine, et la française. Tu commenceras par la plus simple, qui est la française. Tu as ton grattoir à vitres ?

― Toujours sur moi. » Je l'extrais de ma poche de genou. C'est une lame de cutter enveloppée dans une coque en acier inoxydable, et retenue par un ressort doré. Un très bel outil, simple d'usage et difficile à casser, qui se loge dans la paume de la main. Cela sert à ôter les impuretés collées aux verre : gouttes de mastic ou de peinture, adhésifs, étiquettes, ciment. Je voudrais le même pour la maison. « Bong ».

¤0¤

Et nous voici le lendemain matin, au pied de l'immeuble de H. Je range ma voiture derrière le camion, qui est déjà là. Debout à côté des portières ouvertes, les camarades fument une clope en m'attendant. Cette fois-ci, le chef a pris la précaution de se garer au loin du chat volant, lequel, à cette heure, se repose de ses évolutions nocturnes en faisant le géranium au bout du balcon. Mais voici que cette bête inextinguible m'avise, miaule à mon adresse et fait le cornichon, se tortille, rate son coup et tombe de son juchoir à plantes vertes. H. le récupère dans le gazon et s'en va l'enfermer pour de bon.

¤0¤

Le chantier du collège est au fin fond d'une campagne. Il s'agit d'une extension, qui abritera des salles d'informatique et de chimie, ainsi que des laboratoires de langues. Le bâtiment tout neuf est assiégé de fourgons et fourgonnettes, camions et camionnettes, motos et mobylettes, véhicules de tous les ouvriers et artisans qui travaillent ici au second-œuvre. Il est huit heures du matin, la journée promet d'être caniculaire, et nous allons devoir laver cent-soixante fenêtres recto-verso, plus quelques centaines de mètres carrés de sol fini, et des portes, et des plinthes, et tous les stores roulants que nous trouverons.

Tandis qu'il entreprend, avec H., d'extraire une autolaveuse du camion, le chef m'envoie chercher un robinet où remplir nos seaux. Je commence par faire le tour du bâtiment. Voici des buses en béton, entassées derrière un baraquement de chantier. Voici des rouleaux de câbles jetés contre une broussaille, voici une petite pelleteuse endormie dans son bourbier. Voici des ferraillages, des cornières, des cartons ayant contenu des radiateurs ; voici des palettes de sacs de plâtre, voici des toilettes chimiques, et voici un robinet, qui sort d'un tas de gravier. Une large flaque signale qu'il est actif. Nous tenons notre point d'eau.

Dans tous les buissons qui bordent le terrain, des petits oiseaux gôsillent joyeusement, motivés à bloc par cette journée magnifique au cours de laquelle ils pourront s'adonner sans remord au farniente le plus consommé, à la frime la plus gratuite, à la drague la plus éhontée. Car c'est aujourd'hui une de ces journées de juillet où la nourriture s'envole, toute chaude, des herbes où elle vient juste d'éclore. Je songe quant à moi que, après une matinée bien crevante qui finira vers treize heures ou même quatorze, il faudra que j'aille pourchasser, et le diable sait où dans cette contrée bocagère, un kebab.

¤0¤

Nota bene que, la semaine prochaine, je pars faire des photos pour illustrer un recueil de nouvelles qui prennent place (anglicisme !!!) entre Brocéliande, Huelgoat, le Conquet et Ouessant. Il n'y aura donc pas de blog. Relâche ! Et je prendrai un paraluie.

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