J'étais bien décidé à passer une soirée de lecture, hier soir. Je zappe entre le 20 heures de France 2 et «Scènes de ménage» sur la 6: j'entends bien que la chaine publique annonce un énième débat sur «l'affaire». Je m'y attarde un peu pour écouter Badinter qui commente les propos de la correspondante de la chaîne à New-York, alors que se déroule la réunion du Grand Jury qui finira par officialiser l'inculpation de DSK et que débute la procédure devant le juge pour décider de la mise en liberté de l'ex-Directeur Général du FMI. Je suis agacé parce que la journaliste "patauge dans le semoule", ne comprenant pas très bien les procédures en cours et le "grand" Robert Badinter n'aide pas beaucoup par ses explications. Je suis sur le point d'abandonner, quand arrivent sur l'écran les images, en léger différé, de la procédure devant le juge. Le présentateur, David Pujadas, énervé qu'il n'y ait pas de traduction, couvre la séquence de commentaires oiseux. Je me tourne vers BFM et, là, les mêmes images défilent, avec le son original et la traduction simultanée.
A partir de ce moment-là, je suis resté scotché: la caméra filme les interventions du procureur et de l'avocat, les questions du juge, et s'attarde longuement sur DSK. Plus d'une heure durant, toute la personnalité de l'homme politique français apparait: tour à tour attentif, songeur, esquissant des quart de sourire de satisfaction, se penchant vers son avocat pour lui chuchoter des remarques, suppose-t-on; on suit, à travers ses réactions, l'évolution du procès...Je suis fasciné par ce qui se passe, non pas tant la procédure, mais par le jeu des protagonistes: un jeune procureur agressif, conscient qu'il s'agit de l'affaire de sa vie et qui refuse la mise en liberté; un avocat parlant sur un ton badin et, à dire vrai, pas très convainquant, mais dont on dit que lui (William Taylor) et son collègue (Ben Brafman) sont des ténors du barreau US; un juge à l'écoute, effrayé d'une éventuelle fuite hors USA de DSK et enfin DSK lui-même, l'air moins hagard que ces derniers jours quand on le vit tour à tour menotté et absent devant le premier juge qui décida de son incarcération...Si j'osais, je parlerai de grand spectacle, mais ceci est inconvenant vu la situation.
Une fois encore, je m'interroge sur cette véritable fascination qu'a exercée sur moi cette soirée en direct (ou presque) au tribunal. Sur France 2, les commentaires des journalistes présents ne présentaient pas beaucoup d'intérêt tant ils étaient convenus et souvent dérisoires devant le drame qui se jouait. Sur l'autre chaine, 2 spécialistes du droit étatsunien éclairaient certaines subtilités de la procédure...mais cela était souvent superflu devant les images constamment incrustées sur une partie de l'écran: le "spectacle" était là...presque comme si nous étions dans la salle et même probablement mieux puisque le public ne voyait que le dos des protagonistes.
Je ne suis pas un fan de DSK...je n'aurais pas voté pour lui, ni aux primaires du PS, ni au 1er tour des Présidentielles: trop à droite de la gauche pour moi. Mais, depuis 6 jours, comme beaucoup de Français, certainement, je vis en direct le drame qui se joue à New-York. Est-ce parce que se vérifient le proverbe "il n'y a pas loin du Capitole à la Roche Tarpéienne" et le titre de plusieurs œuvres "Grandeur et décadence"? Suis-je un voyeur subjugué par la chute d'un puissant? La procédure accusatoire US est-elle une dramaturgie obsédante? Peut-être, tout simplement, est-ce révélateur des défauts de la société française, mis en évidence par le droit de la procédure aux USA...Ainsi, les médias français ont-ils été accusés par leurs confrères anglo-saxons d'avoir tu les frasques de DSK comme ils nous avaient caché Mazarine ou les amours adultérins de Giscard et Chirac...De fait, au moins Sarko nous fait vivre, en direct, sa vie privée (divorce puis mariage, en attendant la naissance...). Il y a probablement de tout cela...
Alors que d'autres évènements beaucoup plus importants devraient nous accaparer: le "printemps arabe" balbutiant, le sort de la Grèce, la mise en danger de la vie sur la terre, la faim et la misère, les drames des émigrés, nous (peut-être devrais-je dire "je") sommes obsédés par la sage strausskahnienne.
Est-ce peut-être parce que, inconsciemment, nous nous disons que cette déchéance, ce drame pourrait nous arriver? Serions nous tous un peu DSK aux prises avec la machine impitoyable de la justice US et que nous assistons, impuissants, à son effondrement? Cela signifie-t-il que argent, beauté, puissance ne sont rien face à une justice déferlante, inhumaine et broyeuse de destinées? Pourquoi sommes-nous (suis-je...) tellement fascinés par le sort de cet homme accusé des pires choses et que nous devons nous fustiger pour penser à celle qui est peut-être la vraie victime? Elle qui n'est pas médiatisée, elle qui est le symbole de ce que la société réprouve: noire, musulmane, mère-célibataire, misérable femme de chambre, elle qui se cache, pourquoi n'apparait-elle pas à la lumière pour annihiler l'image de l'homme riche, beau, puissant et déchu? Probablement a-t-elle raison de rester discrète pour mieux mettre à nu nos propres fantasmes...