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Billet de blog 5 juillet 2015

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Grèce, rassemblements populaires et coup d'état européen

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A LIRE SANS DELAI

Vendredi 3 Juillet 2015

Chers amis,

Juste vous dire que moi-même et beaucoup d'amis en France sommes avec vous, et suivons toutes les péripéties actuelles, avec reconnaissance et fierté à l'égard des Grecs qui sont debout, avec dégoût et fureur envers les campagnes abjectes menées ici de tous côtés.

Décider à la place du gouvernement grec de ce sur quoi devrait porter le référendum afin que les contenus répugnants de l'accord ne soient pas connus de tous : Quels beaux démocrates, nos gouvernants !

Les décisions de Tsipras pour l'instant sont très justes : organiser un referendum rapidement et sur l'accord ; fermer les banques pour empêcher les manoeuvres financières de tous ordres ; refuser d'annoncer l'étape d'après avant que les résultats du referendum soient connus...

Je n'ai pas beaucoup de temps pour écrire en ce moment mais je tiens à vous dire que nous suivons tout avec une grande attention et émotion, et pensant très fort à vous. Et cherchant quelle initiative serait possible de notre côté. (Je repensais l'autre jour à l'idée de lancer un mouvement pour demander la nationalité grecque...)

Je vous embrasse.

A ce court message de Paris, voici la réponse (écrite à 3 voix) venue d’Athènes ce samedi 4 Juillet et son appel :

« Oui, il faut le dire et le dire partout, les Grecs qui sont dans la rue pour le NON sont merveilleux. Ce matin encore les coups-bas et la propagande la plus immonde, et le silence sur l’événement d’hier soir place Syndagma. Et quand je dis place Syndagma, c’est une erreur car le rassemblement d’hier soir pour le NON était monstrueux. Je crois que je n’avais jamais vu tant de monde, les rues alentour étaient combles, les gens collés les uns aux autres, énormément de jeunes, mais aussi des familles entières, des personnes âgées et un sérieux, une détermination étonnantes. Je ne sais pas compter les foules, mais on parle de centaines de milliers (il semblerait 200 000 personnes) et non de dizaines de milliers (comme dit partout). Les gens hier soir étaient beaux et dignes.

Il ne faut pas céder, ce qui a lieu ces derniers temps dans ce pays est terrible, inconcevable. Il ne s’agit pas, plus des mémorandums et des mesures qui ont vocation à nous agenouiller pour des décennies, il s’agit de la liberté d’un peuple et de la Démocratie, oui, c’est la première fois que ce mot a un sens pour moi, la Démocratie. Ce qui se passe en Grèce ces jours-ci est impensable, mais extrêmement instructif pour tous. Il y a une coordination complète et un total accord des hauts fonctionnaires de l'Europe, des médias grecs et de tous les hommes politiques grecs du centre gauche, sociaux-démocrates à la droite -de la plus dure à la plus modérée- (à l’exception du parti ANEL, et encore pas dans son entier, qui est dans le gouvernement)  avec pour seul objectif, et sous le prétexte d'un prétendu « oui ou non à l'Europe », à faire tomber le gouvernement de la gauche. Le référendum est apparu à leurs yeux comme une grande opportunité et même comme l'erreur fatale de Tsipras, erreur qui, sous certaines conditions, pourrait conduire à sa chute après seulement cinq mois de gouvernement.

Vous ne pouvez pas vous imaginer la haine des medias, les mensonges et contre-vérités. Ce dont il s’agit c’est que cette Europe - qu’il serait effectivement dommage que l’on quitte - organise par un coup d’état la chute d’un gouvernement élu démocratiquement, seulement et seulement parce qu’il ose être le relais de la voix d’un peuple qui refuse le système néolibéral comme seule voie de salut. Oui, il s’agit d’un coup d’état organisé, notez par exemple et entre autres, que le 24 juin et les jours suivants, à une période fondamentale des « négociations » avec le gouvernement grec, étaient convoqués à Bruxelles, les trois chefs de l’opposition (Samaras, Genimata -nouvelle chef du PASOK et Theodorakis, le chef-vedetteTV de Potami (la rivière) un parti créé uniquement lors des dernières élections pour prendre des voix à SYRIZA). Ils étaient convoqués pour organiser la relève après la chute du gouvernement SYRIZA, elle aussi programmée. Le président du Parlement européen, Martin Schulz, un social-démocrate allemand, a décrit, il y a quelques jours clairement le projet dans Handelsblatt : Les gens votent oui au référendum, le gouvernement SYRIZA tombe, des technocrates prennent en charge le gouvernement, signent les nouveaux accords et mémorandums, et ensuite on organise des élections. Dans cet ordre ! Nous avons également les incessantes déclarations de J.C. Juncker, de S. Gabriel, de A. Merkel. Seulement maintenant, deux jours avant le référendum, ils commencent à changer légèrement leurs déclarations, avec D. Tusk (président du Conseil européen) qui dit que le « non » ne signifie pas la sortie de la zone euro. Peut-être parce que les sondages - que nous, nous ne connaissons pas, (très peu de sondages sont en effet publiés) montrent que le « non » gagne. Ces jours, nous avons vu tous les responsables de la crise, les politiciens des trois dernières décennies, les sociaux-démocrates et les conservateurs, sortir de leur trou où ils étaient remisés pour soutenir avec passion le "oui." Nous avons vu un déferlement d’émissions à la télévision en faveur du «oui» jamais vu auparavant. Tous se sont unis avec le même grand dessein: faire tomber le gouvernement de la gauche et, ensuite, occuper de nouveau le pouvoir et revenir blanchis dans la société grecque.

Ici, les masques sont tombés. Et de cette expérience, je vous invite à garder quelque chose dans votre esprit. Les armes de ces régimes sont face à vous et vous ne les voyez pas, cela peut venir du côté d’un quelconque « populaire » politicien. Mais l’offensive vient certainement des chaînes de télévision privées qui par temps calme, exercent un pouvoir doux - une propagande douce, mais qui dans les moments critiques, s’unissent toutes ensemble, et chargent pour l’attaque. Si vous ne vivez pas cela, vous ne pouvez pas y croire. Essayez de l'imaginer. Ce que vous imaginerez sera encore trop peu. A la télévision, toute la journée nous sommes bombardés de propos ignobles (des scènes incroyables circulent, comme cet homme âgé qui fait la queue pour avoir sa retraite et qui répond au journaliste que lui il est drôlement heureux de faire la queue pour avoir ne serait-ce que 120 euros de sa retraite, car avec le programme de la Troïka, 120 euros ce serait ce qu’il aurait en ce moment comme retraite en tout et pour tout, et on voit le journaliste le bousculer violemment et faire comme s’il n’existait plus). On a tout vu, des queues pour de l’argent qui datent du tremblement de terre de 1999, des photos de vieux serrant du pain sur leur cœur … (en Turquie), d’une vieille femme qui arrive difficilement au ATM… (en Afrique du Sud). Et cela est la partie soft, imaginez « l’analyse » ! Donc: les chaînes de TV montrent sans cesse les files d'attente aux guichets automatiques / ATM avec la légende "images de honte." Mais quand ils s’approchent pour interroger les gens, ils reçoivent souvent des réponses qu’ils n’espéraient pas. Peut-être parce qu'ils n’ont jamais montré les images des années précédentes  avec les queues aux soupes populaires, même sans la légende "images de honte."

Je constate d’ailleurs ce matin que du côté de la France aussi, la propagande est soutenue, je n’ai pas trouvé une seule photo du rassemblement de la place Syndagma dans la presse (cf Le Monde, toujours plus réactionnaire) et sur le Net, seulement des images de la manif du oui. Les infos de France-Culture de 8 heures, quant à elles ne donnent la parole qu’à des partisans du oui et ensuite… parle du « soutien » - on croit rêver - de M. Le Pen à SYRIZA qui tous deux veulent la destruction de l’Europe !! La presse grecque est uniformément bleue (couleur de la droite ici) avec des photos du « oui ». Aujourd'hui (samedi) les informations du matin dans les sites Web français et anglais de grands journaux ont à peine quelques photos du rassemblement de Syntagma. Ils en ont seulement du rassemblement pour le oui. Les médias français ne montrent presque que Nikos Aliagas juché sur un échafaudage pour soutenir le oui. Et selon la même source « anonyme » utilisée par tous, le rassemblement du oui a réuni de 20 000 ou 22 000 personnes (en fonction du site) et celle du non 25.000. La réalité est tout autre. Certains estiment que, hier, il y avait plus de 200.000 personnes. Les haut-parleurs exhortaient constamment la foule à libérer les sorties de métro. Les gens, qui venaient du métro, criaient « non » depuis les quais et dans les escaliers, avant de sortir. Et comme dans les anciens très grands rassemblements politiques, de ceux qui ne se font plus, le monde a rempli non seulement de manière compacte la place elle-même mais aussi les rues avoisinantes jusque très loin.

Les Grecs sont - c’est une certitude - en ce moment l’exemple, l’avant-garde de quelque chose de nouveau. Les gens parlent entre eux comme jamais. Il y a une immense colère (pas de haine ou de revanche), il y a un immense courage (car on nous terrorise et parce que quoi qu’il arrive l’avenir sera dur), il y a une incroyable fierté (et pas de nationalisme, pas une trace -contrairement à ce qu’il y avait parfois dans les premiers rassemblements- au contraire vous devez prendre la mesure de combien les yeux des gens sont tournés vers une parole juste, venue de l’extérieur, ils en ont besoin et ils savent que ce combat qu’ils mènent ne concerne pas que la Grèce, même si elle est en première ligne. Les gens qui vont dire NON sont engagés dans quelque chose d’important, ils ne défendent pas des privilèges, ils n’ont plus rien à perdre économiquement, au contraire, ils veulent bâtir, il faudra tout recommencer (n’oubliez pas la situation catastrophique dans laquelle vivent les gens ici, et cela s’étend, touche de plus en plus de monde, qui pourtant ne manque pas de dignité et même d’humour, [propos entendus - on nous autorise « seulement » 60 euros par jours au ATM, mais par 30 jours ça fait 1800, qui gagne encore 1800 dans ce pays ?, ou encore : je cherche ces fabuleuses machines qui donnent 60 euros par jour parce que pour ce qui me concerne je n’en gagne que 28 par jour ou encore, hier dans le métro une femme qui expliquait à sa voisine que cette semaine lui faisait du bien, parce que les transports sont gratuits et le pain aussi pour elle -une grande chaîne de boulangerie assure en effet le pain à toute personne au chômage…). Ces Grecs savent que l’on ne retournera pas en arrière, à la Grèce « d’avant » et ça ne les intéresse d’ailleurs pas, c’est tout ce qu’ils exècrent, ils n’en veulent tout simplement pas, ils veulent quelque chose de radicalement nouveau et c’est en cela qu’ils sont remarquables. Ils affrontent avec courage un inconnu, et ils ont pris position sur ce qu’ils ne veulent pas. Ils veulent une Europe radicalement différente, ils veulent fondamentalement vivre dans la dignité, avoir un travail pour eux et leurs gosses et ils veulent la justice et ils ont raison. Et ils ne la veulent pas que pour eux, alors entendez-les et aidez-les.

Dites le partout, il faut soutenir les Grecs du NON, il faut, chacun où il est, se faire le relais d’une lutte inédite. »

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