Pour quelques amis rares sur ce site, et pour quelques autres possiblement à venir, je me plais à faire lire ici, sur mon blog, quelques textes pris à mes lectures du philosophe Alain Badiou.
Philosophe dont c’est peu dire que les catégories de pensée, revisitées et réélaborées, qu’il fait émerger et intervenir dans la situation de barbarie qui caractérise notre monde vorace et brutal, m’apparaissent bien être la boîte à outils dont se doter pour s’y orienter et y inventer les voies inventives et affermies d’une émancipation.
Peter Engelmann : Alors tu n'es pas embarrassé par l'histoire des Etats Socialistes ?
Alain Badiou : Je suis extraordinairement intéressé par l'histoire des Etats socialistes. Mais, c'est une séquence close. Donc on ne va pas indéfiniment nous répéter que, comme cette séquence close a été ce qu'elle a été, il faut se tenir tranquille. C'est quand même cela qu'on nous dit.
Au fond tout le monde sait ce qu'ont été les Etats socialistes, que cela ne se répétera pas, que c'est fini. Il n'y a plus une seule personne qui se réclame du communisme, en dehors peut-être de quelques amis et de moi.
Peter Engelmann : Non, en Allemagne, "Die Linke", le fait. Tu les connais ?
Alain Badiou : Mais oui je les connais, j'ai même lu le texte des jeunes de "Die Linke", qui disait que la RDA avait été très bien. Ce n'est pas cela qui va les amener à créer une nouvelle RDA. D'ailleurs, entre nous, pour créer la RDA, il a fallu, d'abord, surtout, l'armée soviétique.
Peter Engelmann : C'est bien vrai.
Alain Badiou : Ce n'est pas avec une armée étrangère qu'il faut créer quoi que ce soit, et, en particulier, ce n'est pas non plus avec une armée étrangère qu'il faut créer la démocratie quelque part.
Peter Engelmann : A propos de démocratie, dans un entretien avec Slavoj Zizek tu as eu l'occasion de dire que le capitalisme est critiqué par tout le monde et que cela est très facile, mais que cela ne suffit pas, qu'il faudrait bien plutôt s'occuper de la notion de démocratie. Dans ce contexte, qu'entends-tu par-là, peux-tu préciser ?
Alain Badiou : Je pense que ce que l'on appelle démocratie, c'est simplement l'organisation du pouvoir hégémonique dominant. La politique qui existe là sous le nom de démocratie n'est pas démocratique du tout.
Est-ce que les gens ont un pouvoir quelconque ? Non, on le sait très bien, ils n'ont aucun pouvoir aujourd'hui, absolument aucun. Les gens qui en ont, on sait que ce sont les banquiers, les actionnaires des grandes sociétés, et les politiciens qui marchent avec eux.
Donc, il faut construire des expériences politiques totalement extérieures, et pour cela il ne suffit pas de crier que le capitalisme est vilain. Ce n'est pas cela qui crée des organisations politiques et des expériences politiques nouvelles.
On crie que le capitalisme est vilain, puis, aux premières élections, on va voter pour l'ordre établi.
à suivre, extrait de QUEL COMMUNISME ? Bayard 2015