La fonction, dans notre monde, du scandale est ici très instructive. C'est le point où il est possible de transformer le signifiant "Cahuzac" en signifiant spéculatif.
Le scandale, c'est ce qui est versé à la seconde hypothèse (selon laquelle il y a rencontre du réel).
Par le scandale on vous donne un bout de réel par d'autres voies que la science économique, comme si ce bout de réel vous était apparu en regardant par le trou de la serrure.
Quand notre média préféré nous apprend un jour qu'Untel est allé chez Untel et en est ressorti avec une valise de billets de banque, on a l'impression de toucher quelque chose de plus réel que ce qu'on raconte d'habitude. C'est ça le traquenard.
Car le prix pour cette "révélation", c'est que ce fragment de réel soit immédiatement traité comme une exception, une scandaleuse exception. S'il n'y avait pas cette touche d'exception, il n'y aurait pas non plus de scandale.
Si on savait que tout le monde va nuitamment chercher des billets de banque chez des gens riches, nulle gazette ne pourrait faire frémir son public en le révélant.
Je soutiens, quant à moi, que le scandale fait partie de l'éducation permanente et générale à la soumission, et que le révéler n'ouvre à aucune liberté nouvelle. La seule leçon tirée du scandale, c'est qu'il faut réduire et punir l'exception scandaleuse, il faut nettoyer les écuries. Or nettoyer les écuries, c'est quelque chose dont le réel rend la pratique absolument impossible ; on ne va pas quand même empêcher les riches de planquer leur argent, c'est évidemment impossible, c'est réellement impossible (on pourrait le montrer).
Qu'est-ce qu'on va faire alors ? On va se scandaliser, Libération va montrer en première page la photo de Cahuzac avec la mention "indigne". Pour ma part, je suis loin de penser que le ministre le plus nuisible de ce gouvernement soit Cahuzac ; Valls l'est infiniment plus.
Cahuzac, c'est quelqu'un qui a voulu le beurre et l'argent du beurre, il voulait être à la fois ministre du budget et gonfler son propre budget ; il s'est prendre en plus, ce qui est, comme vous le savez, la seule faute dans le scandale.
Ce qui met Hollande aux abois ce n'est pas les extraordinaires et multiples cochonneries faites par ce gouvernement, mais c'est ce que fait le pelé, la galeux, le baudet que l'on va virer.
C'est vraiment la fable de La Fontaine, Les animaux malades de la peste.
L'univers que nous pratiquons est entièrement corrompu (on sait parfaitement que la totalité des gens riches mettent de l'argent dans des comptes à l'étranger), on va donc trouver un (misérable après tout, si l'on considère l'échelle où ça se passe dans les lieux offshore - nombre des collègues de Cahuzac doivent d'ailleurs rigoler en douce devant la modicité de la somme en cause : c'est un corrompu de gauche, en somme) et on va dire que les pathologies marginales, les exagérations scandaleuses, on va tenter de les réduire - au prix finalement du maintien général des choses.
Je pense donc que, de même que la science économique est la législation du réel comme imposition générale, le scandale est la forme étatisée et médiatique de l'imposition du réel comme exception scandaleuse rencontrée un jour, par hasard, parce que quelqu'un a en réalité fait un faux pas dans la clandestinité des opérations financières.