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Billet de blog 23 mai 2015

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Deuil essentiel

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A la suite de ma lecture du billet "Le deuil des vivants" de Hazies Mousli, m'est revenu un texte, d'une grande portée à mes yeux, ayant trait aux "spectres essentiels", écrit par le jeune philosophe Quentin Meillasoux.

J'en reproduis ici un fragment, et invite tout ceux, pour qui la mort ne saurait être détachée d'une méditation sur ce que c'est en vérité que Vivre, d'en poursuivre la lecture en se procurant le n° 704-705 de Janvier-Février 2006 de la revue CRITIQUE, dont le thème, éminemment complexe, est DIEU.

Qu'est-ce qu'un spectre ? Un mort dont nous n'avons pas fait le deuil, qui nous hante, nous malmène, refusant de passer sur l'autre rive : là où les défunts nous accompagnent d'assez loin pour que nous puissions vivre notre propre vie sans les oublier, mais aussi sans mourir leur propre mort - sans être le captif recommencé de leurs derniers instants.

Qu'est-ce qu'un spectre devenu spectre essentiel, spectre par excellence ? Un mort dont la mort fut telle que nous ne pouvons en faire le deuil. C'est-à-dire : un mort sur lequel le travail de deuil, le passage du temps, n'a pas suffisamment prise pour qu'un lien apaisé entre lui et les vivants puisse être envisagé. Un mort qui clame l'horreur de sa mort non pas seulement à ses proches, à ses intimes, mais à tous ceux qui croisent la route de son histoire.

Les spectres essentiels, ce sont les morts terribles : morts précoces, et morts odieuses, mort de l'enfant, mort des parents sachant leurs enfants voués au même sort, et autre encore. Morts de mort naturelle ou criminelle, morts d'une mort qui ne pouvait être assumée ni par ceux qui la subirent, ni par ceux qui leur survivent.

Les spectres essentiels sont des morts qui refuseront toujours de regagner leur rive, qui se désenveloppent obstinément de leur linceul pour déclarer aux vivants, contre toute évidence, que leur place est toujours parmi eux. Leur fin ne recèle aucun sens, n'accompagne aucun achèvement. Ce ne sont pas des ombres qui crient par-delà toutes les vengeances. Celui qui commet l'imprudence de leur prêter l'oreille, risque de passer sa vie à écouter leurs plaintes.

On appellera deuil essentiel l'accomplissement du deuil des spectres essentiels : c'est-à-dire la relation vivante et non plus morbide des vivants aux morts terribles. Le deuil essentiel suppose la possibilité de nouer un lien vigilant à ces défunts, qui ne nous plongerait pas dans l'effroi désespéré, lui-même mortifère, ressenti face à leur sort, mais qui, au contraire, insérerait activement leur souvenir dans la trame de nos existence.

Accomplir le deuil essentiel signifierait : vivre avec les spectres au lieu de devenir, à leur écoute, un fantôme de vivant. La question qui se pose à nous est donc la suivante : le deuil essentiel est-il possible - et si oui, à quelles conditions ?

...

La suite du texte de Meillasoux, face à l'épreuve d'un tel deuil, aborde la question à partir du point de vue religieux et du point de vue athée. Il note alors que " Dire que Dieu existe, ou dire qu'il n'existe pas, quoiqu'on pense de ces deux énoncés : voilà deux façons de désespérer face aux spectres."

Après avoir traité, sous la forme d'un plaidoyer, chacune de ces positions incompatibles, la religieuse et l'athée, il avancera, pour sortir de l'impasse, l'idée philosophique de l'inexistence divine ( Dieu n'existe pas encore, ou du caractère divin de l'inexistence de Dieu )...

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