Le journal officiel du 14 avril 2016 a annoncé la promulgation de la loi N° 2016-444 du 13 avril 2016, « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.». Cette loi fourre-tout prévoit une série de mesures : le renforcement des moyens de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle ; la protection des victimes de la prostitution et la création d’un parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle ; la prévention et l’accompagnement vers les soins des personnes prostituées pour une prise en charge globale ; la prévention des pratiques prostitutionnelles et du recours à la prostitution. Cependant, sa disposition essentielle, sa mesure emblématique, sa mesure phare comme le dit la presse, c’est la pénalisation des clients de prostituées.
Payer une prostituée, est-ce exercer sur elle une violence ?
Bien qu’elle soit présentée comme une loi en leur faveur, la loi, c’est une évidence, est une déclaration de guerre faite aux personnes prostituées parce qu’elle instaure une prohibition indirecte de la prostitution, c’est-à-dire une prohibition qui ne dit pas son nom. Les personnes prostituées seront victimes de la loi parce que la pénalisation des clients – c’est d’ailleurs le but poursuivi - dissuadera un certain nombre d’hommes de faire appel à des prostituées et de ce fait, réduira le nombre de leurs clients, ce qui tarira leurs revenus et rendra leur vie plus difficile. De la sorte, bien que les clients de prostituées soient la cible désignée du législateur, les premières victimes de la loi seront les personnes prostituées.
La loi aura encore d’autres conséquences négatives pour les prostituées. Elle les contraindra à la clandestinité, les précarisera, les mettra en danger, leur fera courir des risques sanitaires accrus, multipliera les réseaux clandestins et favorisera le développement du proxénétisme et de la criminalité organisée, de la même manière qu’aux Etats-Unis la prohibition de l’alcool a fait la fortune des mafias siciliennes. Les prostituées ont parfaitement compris que la loi était dirigée contre elle, ce qui a provoqué leur colère et leur indignation légitimes : « Ce qui m’a mis très en colère, c’est Madame Najat Vallaud-Belkacem, qui ne connaît rien à rien, qui ne sait pas de quoi elle parle, et qui se permet, je ne sais pas à quel titre, de parler de pénaliser les clients. Je ne pense pas qu’elle soit Dieu le père pour pénaliser, punir, interdire. De quel droit les prohibitionnistes s’immiscent-ils dans la vie des citoyennes ? » Gabrielle Partenza, prostituée pendant 30 ans.
La loi est une aberration car elle revient à autoriser un commerçant à ouvrir un commerce tout en lui interdisant d’avoir des clients : «Voyez la perfidie de la députée Maud Olivier qui illustre la pensée de tout le mouvement abolitionniste : elle sait parfaitement qu’elle ne peut pas interdire à une femme de se prostituer car cela porterait atteinte aux libertés fondamentales ; alors elle nous dit : « Oui, vous avez le droit de vous prostituer, mais personne n’aura le droit de recourir à vos services. ». L’absurdité est totale. » Mylène, prostituée et porte-parole du collectif des femmes de Strasbourg Saint-Denis.
La loi est une aberration également si l’on se place du point de vue des clients parce qu’elle revient à leur interdire d’accepter une offre parfaitement licite. Il est normal que le fait d’accepter une offre illicite soit illicite, par exemple acheter de la drogue, des animaux sauvages protégés ou des objets volés. Mais comment le fait d’accepter une offre licite, une offre légale pourrait-il être illicite ? Comment se fait-il que les prostituées soient autorisées à proposer aux hommes des prestations sexuelles, mais que ces derniers soient punis s’ils les acceptent ? Cela n’a pas de sens ! « Je n’arrive pas à trouver normal qu’on autorise les femmes à se prostituer mais qu’on interdise aux hommes de faire appel à elles. Ce n’est pas cohérent et c’est injuste. » Elisabeth Badinter.
Pour les prohibitionnistes, le traitement discriminatoire réservé aux hommes s’explique par le fait que les rapports d’un client avec une prostituée sont les rapports d’un agresseur avec sa victime. Dès lors, l’agresseur doit être punie et, bien sûr, il n’est pas question de punir la victime, qui n’a rien fait d’autre que subir les violences infligées par son agresseur. En effet, nous disent-ils, les prostituées ne sont pas consentantes. Elles ne veulent pas avoir de rapports sexuels avec des hommes. Ce sont les hommes qui leur imposent ces rapports par la violence. Les clients sont ainsi, pourrions-nous dire, coupables de coups et blessures sur la personne des prostituées. Cette violence, nous disent les prohibitionnistes, est une violence financière. Car « payer pour obtenir un rapport sexuel, c’est l’imposer ». En payant la prostituée, le client exerce sur elle une contrainte irrésistible et insurmontable et lui impose un rapport sexuel contre sa volonté.
Tout le raisonnement se ramène à une chose : assimiler le paiement de la passe à une violence, qualifiée de financière. Comment ne pas être surpris par cette assimilation ? Cette interprétation n’est pas celle qui est généralement admise. On considère, au contraire, que l’argent remis par un client à une prostituée permet d’obtenir son consentement à une relation sexuelle. Et si elle donne son consentement, cela signifie que cet acte sexuel ne lui est pas imposé contre sa volonté. C’est d’ailleurs la définition de la prostitution que donnent les dictionnaires, par exemple le Petit Larousse. « Prostitution : acte par lequel une personne consent à des rapports sexuels contre de l’argent. »
Selon le décret du 5 novembre 1947, la prostitution est «l'activité d'une personne qui consent habituellement à des rapports sexuels avec un nombre indéterminé d'individus moyennant rémunération. » Il ressort clairement à la fois de la définition courante donnée par les dictionnaires et de la définition qu’en donne le décret de 1947 que la prostitution est un rapport consenti et que le consentement à ce rapport est la contrepartie d’une rémunération. Il est donc pas conforme aux textes de soutenir que l’argent constitue une violence.
Par ailleurs, assimiler le fait d’être payé à une violence va à l’encontre de l’expérience personnelle de chacun d’entre nous. Qui, parmi nous, ne souhaite avoir de l’argent ? Et pour avoir de l’argent, quel meilleur moyen que se faire payer ? On peut se faire payer parce qu’on a vendu un objet (une voiture, une armoire normande ou autre chose). On peut se faire payer aussi parce qu’on a effectué un travail. Par exemple une femme pourra se faire payer parce qu’elle a gardé des enfants ou effectué des heures de ménages chez un particulier. Non seulement cette femme ne ressentira pas le fait d’être payée comme une violence, mais au contraire, comme une satisfaction parce que c’était le but même qu’elle poursuivait. Si elle a accepté de garder des enfants ou de faire des heures de ménage, ce n’est pas pour son plaisir personnel, mais parce qu’elle en escomptait une rémunération. Ce qu’elle considérerait plutôt comme une violence, c’est que celui ou celle pour qui elle a travaillé refuse de la payer. Ainsi, il y a quelque chose d’étrange, d’inexplicable, de contraire au sens commun dans le fait d’assimiler le fait d’être payé à une violence.
Des accusations de violence au texte de l’article de loi
On peut tenir sans risque de sanctions proférer n’importe quelle affirmation dans les colonnes d’un journal, dans une revue comme « prostitution et société » ou sur un site Internet On peut y écrire sans crainte de sanction que : « La prostitution est une violence extrême, une violence sans nom » ou « Jusqu’à quand les clients violeront-ils et tueront-ils impunément les prostituées ? ».
On peut également tenir n’importe quel propos dans un discours parlementaire. En effet les députés et les sénateurs sont irresponsables. Dire cela n’est ni une calomnie, ni une exagération, c’est seulement un terme juridique. On dit en droit qu’un individu est responsable pénalement ou civilement lorsqu’il doit répondre de ses actes, c’est-à-dire lorsque sa responsabilité peut être recherchée et lorsqu’il peut être sanctionné pénalement ou civilement pour ses actions. Il est au contraire juridiquement irresponsable lorsqu’il n’a pas à répondre de ses actes. Or, dans notre droit constitutionnel, les députés et les sénateurs sont pénalement et civilement irresponsables. Article 26 : « Aucun membre du parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. »
L’irresponsabilité parlementaire s’étend aux rapports parlementaires. Ces rapports peuvent contenir les affirmations les plus mensongères, les plus abjectes et les plus malhonnêtes sans que leurs auteurs, protégés par leur statut, risquent la moindre sanction. Mais quand on en vient à la rédaction des articles du code pénal, il n’est plus possible de tenir n’importe quels propos irresponsables. Les faits et les réalités reprennent leurs droits.
Nous avons vu, dans ce qui précède, que, selon les textes et dans la réalité, la prostitution est un rapport consenti. Les termes de l’article 611-1 de la loi du 13 avril 2016 qui introduit dans le code pénal la pénalisation des clients nous en apportent la confirmation.
Remarquons d’abord que cet l’article n’impose nullement que l’acte sexuel soit accompagné de violence, de menace ou de surprise pour que l’infraction soit caractérisée. Il dit simplement : « Le fait d’obtenir des relations de nature sexuelle en échange d’une rémunération est puni d’une l’amende.». Les prohibitionnistes prétendent, pour justifier la répression contre les clients, que les prostituées subissent fréquemment des violences verbales ou physiques. Certes, mais si ce n’est pas le cas ? Eh bien, le client sera condamné tout de même. Si ce n’est toi, c’est donc ton frère, disait le loup à l’agneau. Si ce n’est toi, c’est donc un autre, disent les prohibitionnistes.
De plus si le rapport d’un client avec une prostituée était un acte sexuel imposé par une forme quelconque de violence, en particulier une violence « financière », comme le soutiennent les faussaires prohibitionnistes, tous les éléments constitutifs du crime de viol seraient réunis. En effet, l’article 222-23 du code pénal définit le viol comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. Or, la prostitution implique une pénétration sur la personne d’autrui, celle de la prostituée. Et puisqu’on nous assure que cette pénétration n’est pas consentie, qu’elle est imposée par une violence financière, le crime de viol est caractérisé. C’était d’ailleurs dans le but précis d’assimiler la prostitution à un viol que les officines prohibitionnistes la définissent comme un acte de pénétration imposé par la violence. En conséquence, puisque l’article 222-23 du code pénal qui réprime le viol, permettrait de sanctionner les clients de prostituées, à quoi bon un nouvel article dans le code pénal ? Pourquoi prohiber un deuxième fois ce qui l’est déjà ? La réponse est simple : l’article 611-1 du code pénal ne fait pas double emploi avec l’article 222-23 parce qu’il prohibe une pénétration consentie. Chaque article a sa fonction propre. L’article 222-23 du code pénal réprime un acte de pénétration non consenti, l’article 611-1, un acte de pénétration consenti. Nous avons ainsi la confirmation de ce que nous savions déjà : la prostitution est un acte sexuel consenti.
Un second fait confirme que l’article 611-1 réprime une pénétration consentie : la peine prévue, une amende de 1500 euros. Si la relation d’un client avec une prostituée était un viol, la peine prévue aurait du être celle du viol, soit quinze ans de réclusion criminelle. Or ce n’est pas le cas. La peine prévue est beaucoup plus légère. Comment l’expliquer ? Tout simplement parce que le législateur a entendu pénaliser une pénétration consentie. Le consentement de la prostituée joue le rôle de ce que l’on appelle en droit pénal une circonstance atténuante prise en compte par la loi qui ne prévoit alors qu’une peine bien moins lourde. Cela signifie deux choses. D’abord que la loi ne considère pas le rapport sexuel d’un client avec une prostituée comme non consenti. Ensuite qu’elle va même jusqu’à présumer ce consentement. Et c’est parce qu’elle le présume qu’elle ne prévoit qu’une amende de 1500 euros.
Ce que la loi réprime en réalité, ce n’est pas l’absence de consentement, ce consentement étant présumé comme nous l’avons dit, mais la manière dont ce consentement a été obtenu. Ce que dit la loi, c’est qu’il n’est pas légal d’obtenir le consentement d’une prostituée à un acte sexuel en la payant. Et si la loi réprime la manière d’obtenir un consentement, cela signifie que ce consentement est une réalité.
Si le législateur a reconnu – implicitement seulement, il ne faut tout de même pas exagérer - que la prostitution est un acte de pénétration consenti, ce n’est naturellement pas par honnêteté intellectuelle, mais parce qu’il ne pouvait faire autrement. S’il avait cru sérieusement que dans la prostitution l’acte sexuel n’est pas consenti, et s’il avait voulu sanctionner cette absence de consentement, il aurait été contraint d’en faire l’un des éléments constitutifs de l’infraction. Alors, l’infraction n’aurait été caractérisée que si tous les éléments constitutifs avaient été réunis, ce qui aurait impliqué de démontrer l’absence de consentement de la prostituée, preuve évidemment impossible à faire puisque les prostituées sont consentantes. La portée de l’article n’aurait pas été seulement restreinte, elle aurait été anéantie. Pour lui donner une portée, et même une portée très large, le législateur a été contraint de ne mentionner dans l’article 611-1 aucune condition de contrainte, de surprise ou violence quelconque et de réduire l’infraction à son essence, c’est-à-dire le fait d’obtenir un consentement à une pénétration par le paiement d’une somme d’argent ou d’une rémunération équivalente.
Le but et l’effet juridique de la loi ne sont donc pas, comme les aboiements de la pègre prohibitionniste le clament, de punir une violence, mais de réprimer un acte sexuel consenti. Un acte sexuel consenti pour de l’argent, c’est vrai, mais indéniablement consenti. Nous avons ainsi mis au jour un secret de la loi que les prohibitionnistes se sont donné beaucoup de mal pour cacher et qu’ils cachent encore : elle a pour but de pénaliser un rapport sans violence, un rapport librement consenti.
Le public, bien sûr, a compris que la loi a pour but d’interdire aux clients de payer des prostituées. Mais, dans son esprit, cette interdiction se justifie par le fait que « la prostitution est une violence », comme les sections de propagande l’ont martelé. Or, ce n’est pas le cas. La loi punit le paiement d’une prestation sexuelle uniquement parce qu’elle est rémunérée, et non parce qu’il est rémunérée et imposée. Les accusations de violence dirigées contre les clients de prostituées n’avaient en réalité qu’une finalité : empêcher le public de prendre conscience du véritable effet juridique de la loi, la prohibition d’un rapport sexuel vénal, certes, mais consenti et sans violence. Cela ni le législateur, ni la presse ne l’ont claironné sur les toits.
Nous constatons ainsi le cynisme de la méthode employée pour imposer le passage en force de la loi. En séance, dans les rapports parlementaires, dans leurs interventions enflammées et dégoulinantes d’intentions généreuses, les prohibitionnistes ont présenté la prostitution comme une violence qu’il fallait à tout prix sanctionner mais en définitive la loi sanctionne un acte consenti et sans violence.
Si les partisans de la loi ont décidé de présenter comme non consenti un acte consenti, de présenter un acte sans violence comme une violence, c’est parce qu’il est évidemment bien plus facile de faire passer auprès de l’opinion publique la répression d’une violence, d’une contrainte, d’un acte imposé, que la répression d’un acte consenti et sans violence. Leur point de vue, c’est qu’on ne peut pas tout expliquer aux gens, qu’il n’est pas utile qu’ils comprennent le fond des choses. Peu importe qu’on leur mente pourvu qu’on obtienne le résultat voulu.
Ainsi tous les agitateurs prohibitionnistes - intellectuels, journalistes, féministes, pamphlétaires, écrivains, académiciens, ministres, députés, sénateurs, dirigeants et responsables de partis politiques - toute cette pègre intellectuelle s’est entendue comme larrons en foire avec le législateur. Les premiers larrons ont détourné l’attention de la victime, ce qui a permis à l’autre larron de la délester en douceur de sa bourse.
De la sorte, la condamnation des clients ne repose sur aucun motif réel ou sérieux. La loi les condamne les clients sans dire pourquoi elle les condamne puisque les raisons alléguées ne sont en fait rien d’autre que des prétextes. Elle consacre le triomphe de l’arbitraire et du bon plaisir. De deux choses l’une : ou bien les clients sont coupables et alors il faut dire de quoi ils sont coupables. Ou bien ils ne sont en rien coupables, et alors la loi condamne des innocents.
Ce que le passage à la hussarde de la loi de prohibition a révélé sans que le public en prenne conscience, c’est la malhonnêteté intellectuelle et le cynisme des rapporteurs de la loi, mais aussi la malhonnêteté, le cynisme et le carriérisme des députés qui ont voté la loi. Mais ces derniers s’en moquent car ils se savent intouchables, protégés par un statut qui les rend irresponsables tant de leurs déclarations que de leurs votes C’est à ce cynisme parlementaire, ce cynisme d’Etat, qu’il faut mettre fin.