AJ. GRÈCE / lutte pour une nouvelle constitution européenne
“Arrêter d’exiger des ajustements sociaux, violents et destructeurs. C’est ce que nous attendons des institutions européennes. Maintenant.” (V. Rebérioux – communiqué de la Ligue des Droits de l’Homme, 6 juillet 2015)
La Grèce nous dit bien que n’importe quelle constitution démocratique peut être ramenée, par élections ou par soulèvement, dans la direction d’une politique sociale. Pour aboutir dans la restauration des républiques sociales, un changement de constitution nationale est donc moins primordial qu'un changement de constitution européenne. En effet, en cas de crise politique et sociale dans un pays hégémonisé par la droite, le danger politique surgit soit du dedans (comme autrefois au Chili) par un coup d’état miliaire ou policier, soit plutôt du dehors, de nos jours : par l’action « abstraite » d’une confédération non démocratique, voire antidémocratique, comme l’Union Européenne et sa langue de bois.
C’est à l’échelle de l’Europe que l’hégémonie politique du secteur financier antidémocratique est organisée : Il s’agit pour les eurofonctionnaires et les eurobanquiers de rythmer, dans les états-nations affaiblis, les phases de croissance et de consommation ou de chômage et d’austérité, nécessaires à la prédation globale du profit, y compris grâce à l’endettement usuraire croissant, source de revenus bancaires.
Cette tâche comptable justifie le recours aux prêts de liquidités d’urgence (ELA), uniquement pour des conjonctures provisoires d’urgence entre agents financiers solvables, sans aucun devoir d’assistance prolongée. Dans un document publié le 8 juillet au matin, la BCE expliquait sa doctrine (avaricieuse et immorale) au sujet des ELA : «Le fonctionnement de l'eurosystème peut être perturbé par les provisions du ELA accordées dans des conditions trop généreuses, ce qui en retour peut accroître le hasard moral du côté des institutions financières ou des autorités responsables. L'objectif du ELA est de soutenir les institutions de crédit solvables, confrontées à des problèmes temporaires de liquidité. Ce n'est pas un instrument de politique monétaire » . (Italiques ajoutés).
Mais ce n'est pas seulement les ELA, c’est la banque européenne, toute entière, centre autonome de la constitution Européenne, qui n’est pas un outil de politique monétaire, c’est à dire un instrument nécessaire à une politique économique de l’Europe. Ce qu’il faut donc c’est une nouvelle constitution pour l’Europe mettant au rebut le traité constitutionnel de 2005, comme le souhaitait le peuple français par référendum.
Cette nouvelle constitution transformera la BCE en une banque ayant une politique monétaire, orientée politiquement vers l’aide au développement, notamment des pays membres les plus pauvres et les plus menacés par la grande stratégie du système financier. Un modèle en est donné, ces jours ci , toutes choses inégales par ailleurs, par la nouvelle Banque de Développement du BRICS (Brésil Russie Inde Chine Afrique du Sud) qui a vu le jour par la signature le 9 juillet des accords conclus par la conférence des BRICS tenue à Ufa en Russie. Elle dispose d'un capital de 50 Milliards de et d'une réserve de change de 100 milliards de dollars.[1]
Le gouvernement grec évoque la mutation du rôle de la Banque centrale européenne et donc de la Constitution de 2005, comme étant de l’intérêt général des peuples européens ; mais le sursaut de la Grèce ne sera pas suffisant, à lui seul, pour lancer cette campagne. D’où les cinq points suivants qui pourraient motiver les efforts de la gauche et de la démocratie pour sortir le système de l’ornière comptable du néolibéralisme.
1. Le baratin psychologique et moralisant , contre la gauche européenne réelle envahit les médias alors qu'il devrait sombrer dans le ridicule (bien plus que l'énoncé "réaliste" du FMI) . Dans la bouche des bureaucrates dépolitisés de l’UE ou de l’Allemagne démocrate chrétienne et social-démocrate au pouvoir, un langage d’experts mime une ignorance absolue des argumentaires des « économistes atterrés » des sociologues de la misère et des écologistes des catastrophes climatiques en marche. Certains de ces experts néolibéraux, sans doute, croient réellement en l’absolue efficacité de leur science, utile au maintien de leur légitimité. Mais justement c’est leur efficacité et leur légitimité qui est érodée par leurs exercices de voltige depuis 2007. Huit ans de chaos. Pas de relance. Pas d’emplois. Guerres cruelles. Croissance de l’endettement, austérité partout menaçante, France et Allemagne comprises.
2. Un bourreau anonyme, la Banque Centrale Européenne, pourrait être inculpée de tentative de crime contre l’humanité et doit être radicalement réformée
Le défi lancé par le peuple grec, avec son référendum confirmant son refus des propositions de l’Europe sans plan de recomposition de la dette, pouvait entrainer une répression féroce, par la faim et la destruction de la société. Cette punition est clairement définie par les ultimatums répétés des derniers jours. En effet en Europe, même balkanique, les putschs militaires sont démodés. Ce peuple risque donc d’être livré à la torture du bourreau anonyme qu’est la banque Européenne. Organisée dans le cadre de l’Europe du traité de 2005 la conjoncture permet de décrire la banque européenne comme gérant "légalement" la menace d'un crime contre l’humanité, en prenant une population civile en otage : c'est cette criminalisation du secteur financier qui devrait conduire les démocraties à refonder la banque européenne et d'en refaire une banque normale : un outil économique et politique.
3. C’est donc la constitution européenne qui doit être modifiée
Pour défendre ce tournant il faut imposer plus qu'une nouvelle banque :une nouvelle constitution à l’Europe, car la déclaration universelle des droits de l’homme ou la déclaration française de 1793, toujours valable à la LDH, ne suffisent pas à mettre fin à la prédominance du culte du veau d’or. Le seul soulèvement grec ne suffira pas à chasser les marchands du temple. Pour doter notre confédération, par un nouveau traité, d'une constitution politique donc sociale, il faut une secousse populaire à l’échelle internationale. C’est bien ce que la gauche doit tenter si elle veut gagner du terrain par la mise en cause du système financier antisocial dans l’espace de l’Eurogroupe. Le Parlement européen, seule institution élue, mais sans pouvoir, devrait normalement frémir et prendre en charge un nouveau Serment du Jeu de Paume : recueillir des cahiers de doléances, résister aux baïonettes financières modernes, donner une vraie constitution politique à l’Europe. N’y comptons pas. Néanmoins c’est à cette échelle, plutôt qu’à l’échelle nationale, qu’il faut se comporter dans la gauche.
4. Rallier des peuples restés « pauvres »
L’intérêt de la Grèce secouant le fardeau de la dette n’est pas un sursaut marginal mais une annonce des temps nouveaux, exigé par l’échec social horrible que la gestion financière du monde impose à la conscience politique, sociale et écologique des citoyens. Le projet grec de restauration d’une politique sociale à l’échelle du continent n’est pas une utopie mais au contraire un projet concret réaliste et localisé dans l’espace et le temps. Si on écrase la Grèce, l’Espagne ou la France prendront un jour le relai. L’héroïsme se banalise en cas de menace de mort. Mais on n’en est pas encore là.
Il faut dès maintenant être capable de rallier à la gauche tous les partisans des « soulèvements » actuels de Syriza et de Podemos. Ecarter la séduction du ralliement trouble du Front national à un populisme social, et par là, éviter le risque de fonder en Europe une confédération néofasciste. Seule une fraternité transfrontalière peut mettre ce projet en lumière et mettre fin en outre au programme menaçant d’un EUROTAN financier répressif. Un ralliement à une nouvelle constitution européenne doit donc s’étendre aux pays qui ont déjà souffert de la politique d’austérité, sans pour autant êtres devenu des républiques sociales ni des sociétés prospères . Ces pays (Espagne Irlande Portugal Slovaquie Slovénie, Finlande, pays Baltes) sont actuellement manipulés, poussés vers la « jalousie » par des oligarchies, qui classent leurs peuples -- toujours dans la pauvreté -- comme « méritants », tout en dénonçant le peuple grec affamé comme « profiteur ».
Ces peuples, dans cette phase critique, pourraient à leur tour comprendre que les efforts douloureux qu'ils ont endurés par "l'austérité" devront réapparaître périodiquement : les austérités ne sont pas des remèdes victorieux une fois pour toutes, mais des tactiques constitutives des politiques non-sociales d’une Europe financiarisée. Tous les peuples, soumis à la menace chronique de l'austérité devront être solidaires.
5. L' Espagne, l' Italie ou la France sont à terme menacées d'austérité par la croissance de leur dette, comme n'importe quelle Grèce, malgré les réductions du budget des services publics et le chômage persistant.
Il pourrait s’y joindre des bulgares, des roumains, des autres « pauvres » états ex-communistes qui sont encore terrorisés par la mémoire du système policier soviétique (qui néanmoins assurait à peu près le plein emploi, la santé publique et le développement scientifique et technique.)
La France en tout cas s’est déjà prononcée il y a dix ans par référendum contre le traité constitutionnel européen en 2005. Les citoyens doivent se rappeler que le gouvernement français a contourné la volonté populaire pour faire passer ce traité qui sert aujourd’hui à ravager les restes de la souveraineté populaire et sociale de chaque pays. Le 29 mai 2005 lors du référendum sur le projet de traité constitutionnel européen, presque 55% des électeurs avaient voté pour le "non", contre 45% pour le "oui" . Le taux de participation avait atteint près de 70%.
Le prochain scandale serait la signature du traité clandestin de l’euratlantisme économique. On devra absolument faire le point sur les conséquences stratégiques de ce traité qui, selon ce qu'on en sait, mettra fin non seulement à la démocratie politique et sociale de l’Europe, mais à l’autonomie relative de l’économie financière européenne.
6. La montée des "trouilles" et de la sécurité insécuritaire en Europe
En poussant la Grèce hors d’Europe, l’Union européenne jetterait nécessairement les Grecs dans la recherche d’autres options de survie, immédiate et à long terme ; le rapprochement économique avec la Russie de Poutine et le "BRICS" est une de ces options. L’expulsion de la Grèce renforcerait alors, par ricochet, la tendance de l’Union à créer globalement de la trouille, mot convenable pour décrire le produit de l’addition informe d’insécurités diverses . En réchauffant la guerre froide qui s'ajouterait au terrorisme , la trouille globale des peuples d'Europe deviendrait une des conditions stratégiques de la transformation des Républiques en systèmes locaux de répression policière. Les modèles policiers russe et américain ne sont pas démocratiques et s'ajoutent aux menaces financières. La capacité de répression permet ainsi la réapparition aléatoire des « austérités », comme des probabilités météorologiques certes imprévisibles, mais aussi comme des configurations sociales techniquement réprimables. Les théoriciens inébranlables d’un culte financier fataliste sont aussi ceux qui préparent soigneusement la répression des soulèvements sociaux au nom de la défense des démocraties.
Conclusion
Même si la Grèce risque de devoir s'écraser sous les contre-coups assénés à son insolence par les fonctionnaire vindicatifs d'une "Europe sans espoir", son défi héroïque n'aboutit pas encore à un KO ; Il lui reste à opérer toutes les "réformes de gauche" qui n'ont pas été réclamées à corps et à cri par la la droite européenne : le cadastre et les privilèges de l'Eglise orthodoxe, l'abaissement des dépenses militaires (bien qu'elles soient dues en grande partie aux achats d'armes française et allemandes), l'imposition des armateurs, mesures délicates car elles touchent en fait des intérêts financiers transnationaux . Le soutien dont bénéficie dans l'opinion le printemps grec ne devra pas s'arrêter là : la force de son argumentaire et la cohérence des partisans d'une nouvelle Europe promet des rebondissements dans l'avenir proche sous des formes imprévisibles. aj
[1] Elle est créée, comme système destiné à limiter le cadre de circulation du dollar dans les règlements réciproques dans l'espace des BRICS et elle accordera des liquidités aux banques centrales des pays membres pour réguler les systèmes financiers nationaux