Pour définir une stratégie sécuritaire et politique face à un islamisme extrémiste armé, violant l’Etat de Droit par des actions terroristes, il faut mettre en scène le caractère planétaire de la situation en même temps que le caractère spécifique du problème dans chaque pays. Il n'est pas question d'apaiser en France le mouvement "Charlie" d'indignation et de compassion, de réaffirmation des valeurs républicaines et de mobilisation populaire hors-partis. Plutôt de se demander où il ira.
Ce mouvement aboutit aujourd'hui à la fois à la dénonciation des assassinats islamistes et du racisme, avec l'approbation des imams français et aux applaudissements et aux baisers accordés au gendarmes et policiers redevenus gardiens de la Paix, par leurs performances héroïques (effaçant la bavure d'octobre à Silvens). Même la médiatisation du moment, par la présence de tous les responsables politiques de la catastrophe humaine des guerres sanglantes du Moyen Orient, soudain touchés par la grâce, et qui viennent célébrer la mémoire de nos humoristes-dessinateurs anti conformistes et anti-militaristes, n'a eu auncun impact sur l"évènement. Les représentants des Etats Unis, de l’OTAN, le premier Ministre Nétanyahou et ses alliés , les ambassadeurs de dictatures princières bancaires ou militaires etc, tous s'affichent pour une photo indélébile. Ceci mérite un commentaire moqueur se substituant aux proclamations de "Paris capitale du monde" et autres fantaisies destinée à créer l'unité nationale sur un patriotisme populaire (tout en détruisant quotidiennement dans le détail la souveraineté démocratique).
Cette tentative de récupération étonnante et exceptionnelle montre quelque chose d'inattendu : toute mobilisation populaire vivante et vigoureuse reste une secousse monstrueusement dangereuse pour les responsables toujours impunis de la crise financière et sociale mondiale. Ce danger est sérieux en particulier en France. La France reste médiatiquement comme un conservatoire historique des valeurs de la république surtout quand elle choisit de mettre en valeur la fraternité, sans laquelle l'égalité est impossible et la liberté reste celle du "libre profit" des entreprises devenues sans patrie.
On tâchera surtout ici face à la manoeuvre de récupération du mouvement par la droite dénoncer l'idée que la France est en guerre et mesurer les chances d'un recul du djihadisme
1. Nous ne sommes pas, en France, en guerre contre "le terrorisme.
2. Si c'était une guerre alors il s'agirait d'une guerre civile, mais c'est la conséquence de trois générations d'horreurs au moyen orient et de trois générations de chômage en France
3. La Prévention du "djihadisme"ne pourra pas être réalisée par un simple affinement des mesures policières et des types d'incarcération mais par un mouvement de la société civile et un recul du chômage.
4. Se réfugier en Israël pour y trouver la sécurité est un irréalisme navrant.
1. Nous ne sommes pas, en France, en guerre contre "le terrorisme.
Plusieurs expressions guerrières utilisées de manière récurrente dans des discours officiels et sur les médias, induisent l'opinion publique dans des croyances qui falsifient l'enseignement politique à tirer de ces évènements. L'une d'entre elles est : "nous sommes en guerre contre le terrorisme" . Elle est d'autant plus marquante qu'elle fut affirmée par une répétition pédagogique dans tous les discours officiels du gouvernement et de l'opposition, nous - les citoyens français - serions actuellement engagé dans "la guerre contre le terrorisme".
Cette affirmation rappelle fortement la doctrine qui a prévalu aux Etats Unis après l'attentat des deux tours en 2002.Elle est liée à une poussée vers l'idée d'appliquer en France la législation répressive qui, au lendemain de l'attentat des Deux Tours, a permi aux états unis le vote du "Patriotic Act" loi autorisant contre le "terrorisme" des mesures policières et judiciaires extrêmes allant jusque l'incacération préemptive et la torture.
La participation de la France à des guerres anti terroristes ou contre insurrectionnelles sous commandement américain avait commence par la participation à la guerre d'Afghanistan supposée punir et anéantir AlQaida et qui finit sous nos yeux par un échec. L'engagement français anti-terroriste, refusé aux Etats Unis pour la guerre d'Iraq a été ensuite incarné par des décisions plus autonomes ; l'initiative française dans l'expédition de Libye, puis par l'intervention française au Mali. Dans ces trois guerres civiles, bien différentes, l'intervention ne fait que suspendre les succès islamistes. Mais les deux dernières guerres malheureusement ont abouti à transformer le Sahara en zone de libre échange d'armes et de terrorismes jihadiste . Ce n'était pas le but recherché ; la gauche néolibérale. espérait un succès du printemps arabe dans un pays pétrolier et le contrôle de la poussée salafiste dans le sahel. On peut parler à peine d'un demi succès..
L'interventionnisme français fut raté (malheureusment, selon moi) dans la poussée, avortée par Obama, en faveur d'une intervention contre les massacres de population déchaînés par le régime national-terroriste d'Assad contre les démocrates syriens. Au fil des évènements, malgré la diversité profonde des situations conflictuelles dans tous ces pays, Nous (le peuple Français) avons accepté la définition des actions de notre gouvernement, actions définies comme "guerre antiterroriste", quoique le terrorisme ne soit pas un adversaire mais un mode de combat impliquant menace d'attentat et déstabilisation par massacre des populations civiles. Nos troupes on tenté en Afrique de maintenir une doctrine toute différentequi suppose que toute intervention de l'ONU soit soutenue par la population civile.
Mais aujourd'hui, l' irruption du mot guerre dans le quotidien sécuritaire intérieur, tend à accélérer une mutation vers l'effacement de la ligne de séparation entre tâches policières et tâches militaires, entre paix et guerre, entre présomption d'innocence et présomption de culpabilité . L'expression guerre contre le terrorisme nous vient directement d'Amérique ou elle a été proclamée par Bush après l'attentat des deux tours. La définition comme "guerre" est restée légitime pour eux, dans la mesure ou il s'agissait d'une attaque extérieure puis d'expéditions extérieures localisées. Mais s'appliquant à l'ordre interne en Europe et en France, la différence entre guerre et opération de police doit persister comme une distinction politique, fondée sur la triple devise de la république. Même si la différence parait s'estomper du point de vue technique, sous l'influence des progrès de l'informatique, elle ne peut pas convenir à une lutte politique, cherchant à contenir la montée d'un recrutement terroriste interne au sein des franges populaires de la société française.
2. La lutte contre les terroristes et la prévention du djihadisme en France n'est pas une guerre ou alors il s'agirait d'une guerre civile
Les guerres naguère ont toujours opposé des états et des armées régulières s'affrontant pour deux buts politiques comparables : forcer l'ennemi politique vaincu à négocier politiquement - la paix. On constate qu'aujourd'hui, le mot guerre, même extérieure, sert bizarrement à définir l'engagement armé comme n'impliquant aucune solution politique, sauf la capture la condamnation ou la mort de l'ennemi, posture qui caractérise, tout à fait normalement, les opérations de police contre les criminels armés. On observe depuis plusieurs décennies, depuis la fin de la bipolarité, que les guerres peuvent se prolonger indéfiniment , sans aboutir au point tournant, chronologique et politique, qui permet de négocier une paix . Les Etats Unis ont pris l'habitude, ou fabriqué l'habitude, de proclamer la guerre finie, en laissant en place un gouvernement fantoche doté d'une constitution, d'élections et d'une armée moderne et de s'en aller en laissant la guerre civile se poursuivre (Afghanistan, Iraq) Résultat : la fausse armée iraquienne fuit en abandonnant ses armes au assassins du Daech.
La " guerre sans paix" a donc été admise par la "science politique" pour refléter une pensée unique transatlantique sur la sécurité qui accumule les échecs. Il est clair que le mot guerre convient désormais aux opérations policières, du moins dans le vocabulaire instauré par la culture coutumière, fluide des "normes" variables du droit anglo-saxon. Ce glissement de vocabulaire correspond à une mutation stratégique réelle pour toutes les guerres américaines, mais pas pour les guerres françaises qui se formulent encore dans un autre cadre géopolitque. Nos deux guerres coloniales, de sept ans chacune, se sont terminées, après perte des batailles décisives, militaires ou politiques, par des négociation et des paix, avec le Vietnam et l'Algérie. Les interventions actuelles en Afrique n'excluent aucunement des négociations pouvant conduire à la Paix
3. Il s'agit d'une opération policière. Mais la Prévention du "djihadisme"ne pourra pas être réalisée par un affinement des mesures policières et des types d'incarcération.
En prétendant lui même être en guerre le pouvoir reconnait l'existence d'un ennemi, et chercher à gagner militairement un succès politique précis. Or il est bien évident que les criminels en question, les djihadistes extrémistes dotés de croyances vengeresses et héroïques, ne pensent pas pouvoir vaincre militairement l'Etat français (Ziel) pour un but politique (Zweck) qui serait la conquête du territoire et une conversion de la France à l'Islam. C'est le scenario catastrophe que Michel Houellebecq décrit, à point nommé pour assurer une vente ; il est devenu soudain d'un très mauvais goût. Son seul mérite est d'exhiber une victoire évidemment impossible du djihadisme islamiste en France mais aussi de mettre en scène l'échec d'un système policier à maîtriser les glissements vers des légitimités fascistes. La conversion de la France à Islam est impossible à atteindre et on le sait bien. C'est pourquoi les assassins tranforment en suicide héroïque leur affrontement avec les forces armées
Donc il doit rester clair nous ne sommes pas en guerre en France, mais engagés dans une opération policière particulièrement complexe, puisque les criminels en question se définissent comme des citoyens français fanatiques, musulmans, qui prétendent représenter par leurs actions, la vengeance politique d'un islam malmené depuis trois générations dans son berceau arabe par les interventions occidentales.
La déclaration de "guerre" antiterroriste" se substituant à la ""défense de l'Etat de droit" permet d'éviter d'exhiber la complexité de la réalité politique et sociale transfrontalière et transculturelle, qui explique cette violence. On réussira ainsi à brouiller la réflexion politique et sociale française et à renoncer à chercher les alliances externes et internes qui permettront de mettre fin au recrutement de jeunes français pour ce type de fuite et de délinquance et de retrouver la paix politique et policière, (celle des gardiens de la paix) Pour cela il faudrait agir autrement que par le meurtre réussi des terroristes cherchant le martyr dans les opérations du GIGN, par ailleurs exemplaires.
• C'est à la société civile d'agir par un investissement passionné dans l'action sociale politique et culturelle pouvant détourner la jeunesse déboussolée d'un héroïsme criminel
• C'est à la société politique d'agir au niveau macro économique par une victoire sur le chômage donc une insoumission européenne aux contraintes de l'austérité voulue par la domination abstraite des marchés financiers.
Si ces deux tournants ne sont pas pris, l'espace temps du djihadisme suicidaire peut se prolonger et s'accroitre
Contre l'islamophobie et l'adhésion pure et simple a la politique de la droite israélienne comme symbole d'état de droit démocratique
La violence djihadiste peut sans doute fonder un "nouveau Califat" d'assassins barbares au Machrek sur l'espace (réservé naguère par la Couronne britannique au Royaume arabe de Laurence d'Arabie, qui intégrait Israel). Mais ce "califat" qui s'étend grâce aux armes abandonnées par l'armée iraquienne ou fournis par Assad ou les émirats et par la contrebande du pétrole), n'a aucune chance de prendre le pouvoir en France par des actes terroristes. Il est meme douteux qu'il puisse s'arrimer au Machrek dans le long terme. Il représentent la forme la plus monstrueuse, prise, dans cette région martyre, par le soulèvement contre le système-occidental, qui se définit il est vrai, par la corruption néolibérale et l'abandon rapide du soutien aux projets démocratiques du "printemps arabe.
Il faut espérer, contre l'islamophobie, un retour au soutien des opinions de gauche aux populations et aux démocrates qui subissent à la fois en Iraq, en Syrie, au Liban et aux franges de l'Etat turc, la violence d'Assad celle de Daech et celle des groupes se réclamant d'Alqaida/ Mais le camp démocratique ne devra pas s'arrimer à la religion néolibérale et proner une libération par le libre marché. Cet article, rejeté en Grèce, n'a plus preneur en Méditerranée. Le néolibéralisme exclut en outre clairement la priorité à la solidarité avec la Palestine occupée et favorise le régime techno-colonial organisé, sans fin, par l'extrême droite israélienne ; un mélange de dictature militaire et d'opérations immobilières maffieuses, accompagnées d'expulsions violentes illégales. C'est avec peine qu'on voit certains juifs religieux français chercher un refuge dans l'Etat d'Israël, dont la population reste bien plus menacées par les politiques conquérantes, voulues par ses dignitaires fascisants, que par la pression des Palestiniens soulevés par le désespoir. L'insécurité maintenue en Israël par le refus des résolutions de l'ONU et des négociations, devra inciter nos concitoyens, s'ils tiennent à cet exode, à rechercher en Israël à renforcer le camp de la paix au nom des valeurs de la République. Alain JOXE