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Billet de blog 19 janvier 2024

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Le cauchemar de la France de Macron

La conférence de presse d’Emmanuel Macron nous laisse un goût amer, celui d’une France qu’il fantasme et qui n’a jamais existé. Nous sommes certes dans une France de droite mais il veut semble-t-il nous conduire plus loin : vers l’extrême …

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J’ai fait un cauchemar. Macron a tenu une conférence de presse le 16 janvier 2024. Je ne l’ai pas suivie. La suffisance de Jupiter m’horripile. J’ai écouté les commentaires.

La nuit suivante j’ai fait un cauchemar. Des enfants en uniforme noir, filles d’un côté, garçons de l’autre, le regard vers le drapeau qui montait le long d’un mât, chantaient la Marseillaise en répétant en boucle les deux vers « … qu’un sang impur/ Abreuve nos sillons », et le sang coulait sous leurs pieds. Je me suis réveillé soudainement en criant « Non ! »

Petit rappel historique.

Notre pays, La France, (et je ne dis jamais « ce » pays comme les esprits négatifs) a subi un régime totalitaire sous l’occupation. L’historien américain Robert Paxton souligne la collaboration volontaire de Pétain ainsi que l’assentiment de la majorité de la population française à son concept de Révolution nationale élaboré dans l’esprit de l’idéologie nazie. (d’où les lois anti-juives de Vichy). La crainte qu’un tel régime puisse s’établir sans occupation s’installe dans certains esprits. Le culte du chef a marqué cette période avec pour la première fois une action en direction des enfants contraints de chanter la gloire du vieux collaborateur, Maréchal nous voilà. Quand l’enfance est manipulée c’est dramatique.

Il s’avère que lors de sa conférence de presse le chef de l’état a décidé d’imposer l’uniforme à l’école, l’apprentissage de la Marseillaise puis l’obligation du Service National Universel (SNU), avant la majorité. Je reprends chaque point.

J’ai des photos scolaires personnelles des années 50 et j’en visionne d’autres sur internet : il n’y a pas d’uniformes. Des enfants, pas tous, portent des blouses et c’est la diversité vestimentaire dans la limite des modes du temps. Il faut que « la France reste la France » selon le président (formule empruntée à l’extrême droite) et bien je suis d’accord , ne la changeons pas en introduisant l’uniforme scolaire. Je n’entre pas dans les arguties pour ou contre. Je me résous à constater que notre pays n’a jamais été aussi inégalitaire et que l’obligation du vêtement unique aurait pour raison une forme de culpabilité refoulée dans la société : comme on ne progresse pas dans la volonté et l’ambition de l’égalité on va sauver les apparences, comme on met la poussière sous le tapis. On peut l’interpréter comme une interprétation élargie du symbole du « manteau de Noé » jeté sur les inégalités, prouvant ainsi qu’elles vont perdurer. (Ou en paraphrasant Tartuffe : « couvrez cette pauvreté que je ne saurais voir »). Le système scolaire quant à lui ne sera pas amélioré pour autant.

Deuxième point, La Marseillaise, serpent de mer de l’école primaire : elle a toujours été dans les programmes de l’école. La preuve en est dans les stades, tout le monde connaît le premier couplet et le refrain. Il convient d’admettre qu’elle suscite le débat chez les enseignants ( je l’ai été pendant 35 ans) du fait du « sang impur » du refrain, de connotation négative a priori. La question est de savoir à quel moment de la scolarité on introduit ce chant. Les élèves doivent être en capacité de comprendre la symbolique du « sang impur » qu’on peut interpréter comme une métaphore de la tyrannie. Pour ma part je l’enseignais au cours moyen, après entente au sein du conseil des maîtres, dans le contexte de l’étude de la Grande Révolution de 1789. L’explication de texte peut se poursuivre dans les niveaux supérieurs avec un prolongement sur les autres couplets. J’ose espérer qu’il en est ainsi dans l’esprit du président mais je ne vois pas en quoi il y aurait un « réarmement » à l’école, terminologie par ailleurs totalement inadaptée dans le cadre scolaire.

Venons-en au troisième point de mon développement. Le SNU deviendra obligatoire. Le Service national fut supprimé par Jacques Chirac, par une loi de 1997, pour professionnaliser l’armée. Macron veut rétablir un service universel d’une durée d’un mois en deux périodes. Quels sont les objectifs recherchés : « vivre une expérience collective, être utile aux autres, connaître les formes d’engagement … » Ce sera en quelque sorte, entre 15 et 17 ans, une vie en collectivité, mais très brève, peu militarisée, avec toutefois le salut au drapeau et la Marseillaise (on y revient). N’y aurait-il pas comme un début d’embrigadement ? La question est posée. Les pays d’Europe qui ont conservé un service militaire l'ont fait uniquement quand ils se sentent en danger. (exemple 6 mois en Finlande). Si la France se considère en danger et qu’elle doit au sens propre « réarmer », qu’elle reprenne la conscription avec maniement d’armes. (Je n’ai fait que deux mois en 1966 pour des raisons médicales lors desquels j’ai quand même tiré au Mas 36 et au Mat 49). Je crains que donner une instruction militaire aux appelés fasse peur au pouvoir … Il est notoire qu’en général le service militaire n’est plus adapté en raison des technologies numériques qui nécessitent des armées de métier. Il est intéressant de constater que les jeunes des quartiers s’engagent, conservant ainsi une tradition populaire utile au sein des troupes.

On aura compris que je ne suis vraiment favorable à aucune des trois mesures : des enfants en uniforme, l’exaltation de l’hymne et du drapeau, l’embrigadement me font peur. Que veut exactement le chef de la République par ces mesures qui changeraient la France car il fantasme celle qu’elle n’a jamais été : obéissante, unie autour de ses symboles etc. ? Elle est désormais de droite, comme toujours dans le passé, avec des partis de l’ordre mais aussi des embellies de gauche, parfois réprimées, mais qui ont quand même conçu l’état-providence, que les néolibéraux rejettent maintenant.

Il semble qu’on aille encore plus vers la droite avec ces mesures annoncées qui seront accompagnées de surcroît de directives sur la morale et l’instruction civique à l’école. Ils veulent agir sur les cerveaux des enfants. Nous savons que l’uniforme et les hymnes progressivement hurlées lors de rassemblements de foules exaltées ont toujours conduit à la disparition de libertés et au totalitarisme. Ce système politique, sous différentes formes, a toujours fait souffrir, pour finir par être condamné et rejeté par les peuples. L’Histoire nous l’enseigne pour les dictatures du XXème siècle : Italie, Allemagne, Portugal, Espagne, Chili, Argentine, URSS … et les dictatures actuelles subiront le même sort. Ne suivons pas cette pente. En effet, l’Histoire montre que notre humanité, notre condition ne supportent pas, selon des durées variables, l’oppression, la violence et l’arbitraire d’un chef d’état. Ça finit toujours mal.

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