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Billet de blog 20 février 2024

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Parti pris : un néolibéralisme contre le RN en 2027

A l’heure où le RN grimpe dans les sondages et quand le danger fasciste ou préfasciste se préciserait à travers les médias pour 2027, il convient d’affirmer que ce n’est pas une fatalité. Certes la France est à droite mais la droite extrême ne parviendra pas au pouvoir car les néolibéraux feront encore cette fois barrage, ce qui ne dispense pas de lutter contre les idées de ce parti xénophobe.

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Nouveau gouvernement avec Attal premier ministre : certains commentateurs y voient une stratégie pour contrer le RN dont le jeune président Bardella est très populaire. Macron « joue » avec le RN depuis 2017 en tentant tour à tour de le diaboliser ou de le désigner comme adversaire principal, le faisant ainsi paradoxalement monter dans les sondages grâce à la résonance dans les médias. On le conçoit mais c’est un raisonnement qui masque sciemment la réalité, celle de n’être qu’une stratégie électoraliste. On peut tenter de l’expliciter.

Il existe en France un électorat d’extrême droite, raciste, anti-immigration, plus ou moins fasciste, à savoir favorable à un parti unique et ouvert à l’autoritarisme. Il s’est fourvoyé rapidement dans la collaboration dès 1940 prouvant ainsi que ses élites, avec Pétain, s’étaient préparées à prendre le pouvoir. Son niveau actuel : entre 20 et 30% lors d’un premier tour, pouvant enfler par des votes de protestation dont le nombre augmente, on l’a vu avec les présidentielles 2022. Est-ce à dire que ce parti peut accéder au pouvoir ? Je pense que non. Pourquoi ?

Le néolibéralisme théorisé en 1947 par la société du Mont Pèlerin (Hayek et Friedman) a gagné dans toute l’Union Européenne. Un de ses objectifs, entre autres, était de « rendre le pouvoir » aux élites traditionnelles bourgeoises, financières, intellectuelles etc. mises à l’index en Europe après la guerre et les diverses collaborations avec l’occupant nazi. Cet objectif est désormais atteint. Il faut donc, pour les néolibéraux, continuer à œuvrer dans le cadre de la liberté économique totale, mondiale, globalisée en réduisant voire en éradiquant l’état-providence pour accentuer l’accumulation du capital, ce qu’ils sont en train de pratiquer par des politiques d’austérité et de développement des privatisations dans tous les domaines non régaliens. Selon eux l’action de l’état doit se réduire à garantir l’économie libre, celle du libre-échange, « à délivrer le capital des entraves du libéralisme classique qui intégrait un tissu de régulations sociales et politiques en restreignant ou en stimulant, selon les conjonctures, la stratégie économique et industrielle du pays[1] » . Le vrai pouvoir revient aux économistes et aux financiers, au détriment de celui des politiques. L’intérêt personnel par la loi du marché devient la règle, valorisée par des pratiques périphériques rémunératrices (type airbnb, travail non déclaré etc.) qui permettent un consentement de la population aux dispositions anti-sociales, car elle peut ainsi les compenser en partie. C’est le « chacun pour soi », que les néolibéraux déclinent en « responsabilité ». Les classes moyennes admettent désormais la condamnation du prétendu assistanat par les élites (que les défenseurs de l’état-providence nomment plus exactement solidarité organisée). Cette condamnation gagne peu à peu dans certaines couches laborieuses sous payées d’un prolétariat exploité dans les services, le bâtiment, la restauration… Classes moyennes et classes populaires admettent que leur « confort » passe aussi par l’exploitation des prolétariats sous-payés du monde entier, loin des idéaux de gauche.

Dans ces conditions, à un moment historique où les profits augmentent, quand les classes modestes protestent moins et que les classes dominantes s’enrichissent, l’arrivée d’une droite extrême au pouvoir serait contre-productive par le désordre qu’elle ferait naître : troubles sociaux, grèves, voire guerre civile car la gauche française a encore des capacités de résistance historiques malgré ses défaites électorales. (Illustration à l’étranger par les manifestations en Argentine en février 2024 suite à l’élection de Javier Milei). Ces désordres dans la société brisent l’économie à moyen terme et font baisser les profits (d’autant que des perspectives s’ouvrent avec les bifurcations écologiques). C’est la leçon que les capitalistes ont tirée des régimes totalitaires du Chili ou d’Argentine qui ont rendu en réalité leurs pays exsangues pour longtemps. « Ce n’est pas bon pour les affaires »[2] est le mantra des possédants à propos des troubles sociaux qui conduisent à des répressions policières ou militaires dont l’une des conséquences est toujours une baisse plus ou moins durable de la consommation et du profit. On ne devrait donc pas en arriver à ce stade de désordre insupportable pour « le marché ». (Il faut que le marché aille bien …)

Désormais la gauche keynésienne, radicale ou sociale-démocrate, celle qui intègre des régulations sociales au sein d’un état-nation, a été rendue minoritaire par les politiques d’austérité précitées car son électorat, plongé en partie dans la précarité et déçu par la présidence Hollande, a perdu en combativité et en capacité de résistance.

La gauche électoralement vaincue, il conviendra désormais pour les néolibéraux d’empêcher la droite extrême de progresser. Des campagnes de dénigrement du RN en France seront développées par les médias aux ordres des élites industrielles et financières qui en sont propriétaires, malgré leur faible rentabilité. (C’est essentiel pour « guider » l’opinion). Déjà, à titre d’exemples, fin 2023 les médias américains ont condamné les idées du RN français téléguidées selon eux par Moscou et Poutine et plus récemment en France l’émission Complément d’enquête du 18 janvier 2024 sur France 2 a réalisé un reportage à charge sur Jordan Bardella. Le scénario de 2022 pourrait ainsi se renouveler avec, face au RN, un mouvement des classes bourgeoises allant du centre gauche à la droite « raisonnable », sans les Républicains qui disparaitraient dans l’un ou l’autre camp. En désignant pour ce mouvement un candidat aux présidentielles ayant un profil de gestionnaire bien orienté à droite (type Wauquiez ou Philippe), après avoir bien « sali » le RN par des campagnes médiatiques, les élites dirigeantes néolibérales sont convaincues d’obtenir l’adhésion de nombreux électeurs de l’extrême droite qui, selon elles, se sont égarés, séduits essentiellement par le discours du rejet de l’immigration, mais en réalité indifférents au programme, certes libéral, mais inconsistant du RN qui laisse intactes les structures économiques.

Ce mouvement battrait encore une fois le RN présenté raciste, source de violence et anti-républicain à travers les médias, décrédibilisé dans la mouvance néolibérale de droite traditionnelle qui deviendrait majoritaire : centre, anciens Républicains, Macronistes et satellites. Les politiques économiques et sociales resteraient malheureusement les mêmes, avec parfois quelques thèmes inspirés du RN sur l’immigration notamment, évoquée ci-dessus, pour ramener au troupeau les « brebis égarées ». 

On pourrait rétorquer que la droite extrême est malgré tout parvenue au pouvoir en Italie dans le contexte actuel néolibéral. Certes mais la culture politique est différente malgré le fascisme historique de Mussolini, dont la mémoire collective a semble-t-il oublié les méfaits. Cette droite italienne n’a pas les taches originelles du RN français, à savoir des références nazies ou à l’OAS chez les plus anciens de ses fondateurs, toujours sous-jacentes, peu ou prou et négatives encore dans des franges fortes de l’opinion française. D’autre part cette droite peut apparaître aux yeux des décideurs financiers comme un facteur d’ordre dans une économie italienne administrativement mal contrôlée et sans rigueur, et pour laquelle une dose d’autoritarisme serait bénéfique (pour les impôts et taxes notamment). Il faut que le marché aille bien

Le peuple de gauche doit impérativement tout mettre en œuvre pour inverser le sens du  « balancier de l’histoire ».

Seules les gauches, en France, avec un potentiel minimum de 30% du corps électoral, pourraient jouer les trublions mais elles sont pour l’instant divisées et, disons-le, peu lucides, dans une sorte d’irresponsabilité alimentée par des petits intérêts de parti. Le constat est accablant : une gauche médiocre, qui ne veut pas faire de vagues, finit par condamner une composante LFI jugée à tort excessive dans ses interventions, alors qu’elles ne le sont pas sur le fond car issues d’accords signés dans le cadre de la NUPES pour les législatives 2022, accords que les néolibéraux craignent et qu’ils veulent à tout prix briser. (D’où l’incessant bashing médiatique et politique contre LFI à l’origine du programme L’Avenir en commun).

Une incarnation humaine, car il faut en passer par là même si on peut le déplorer, pourrait réunir toute la gauche comme a tenté de le faire Jean-Luc Mélenchon mais on ne voit pas qui en a la stature désormais. Désunie elle va à l’échec. L’Histoire se fait et nous, du peuple de gauche, militants et électeurs, nous sentons impuissants. Nous ne pouvons que clamer aux responsables des composantes de la gauche : nous voulons l’unité.

Alain Montfort

PS : ce parti pris est établi dans les conditions sociales, économiques, financières, militaires et internationales actuelles, en février 2024. Nous savons que rien n’est figé. Il ne s’applique qu’à la France, pays particulier très politisé au sein de L’Europe, avec de forts courants antifascistes craints par les néolibéraux pour les luttes qu’ils pourraient développer déstabilisant ainsi « le marché ».

[1] Brève histoire du néo-libéralisme David Harvey Ed. Les Prairies ordinaires 2014

[2] Pour les néolibéraux « … Il faut que le marché aille bien et que tout le monde marche à la baguette. L’État veut laisser faire les acteurs économiques, voire se mettre à leur service, et tant pis s’il y a de la casse sociale… » Extrait de l’entretien de Nathalie Tehio du bureau national de la LDH. Sud-Ouest 19/01/2024

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