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Billet de blog 11 mars 2020

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Récit d'une garde à vue ordinaire

Je me suis fait arrêter dernièrement pour une garde à vue de 24h pour détention de 4 grammes de cannabis. Je livre ici mon témoignage sur cette arrestation du point de vue d'un simple consommateur dans le but de donner des éléments d'analyse et de faire réfléchir sur un sujet de société manifestement particulièrement tabou.

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Point de vue sur une garde à vue ordinaire
Je me suis fait arrêter dernièrement pour détention de quatre grammes de résine de cannabis et me suis retrouvé en garde-à-vue au commissariat du 13ème arrondissement de Paris. Une tombée brutale dans les « culs de basses fosses » de la République. Là où bien caché aux yeux de tous nos concitoyens, une douce barbarie s’exerce au quotidien sans que vous vous en doutiez.

Pour la simple détention de quatre malheureux grammes de résine de cannabis, je me suis donc vu amené manu militari dans ce poste de Police où vivent en promiscuité une fourmilière de trois cents fonctionnaires et où régnait à mon arrivé un climat anxiogène d’état de siège. Les forces de l’ordre que je croisais à chaque couloir, à chaque coin de porte et millimètre carré, portaient leur belle et virile tenue de Robocop, l’index posée et fébrile sur la gâchette… Cela me conforta dans l’impression qu’on vivait en France un état de siège taisant pudiquement son nom. Naturellement l’attaque, ou plutôt l’assaut de ce même commissariat, le 1er mai 2019 par les blacks blocs et la tuerie à la Préfecture de Paris par Mickaël Harpon, un certain 3 octobre de la même année, n’arrangeait manifestement rien à la paranoïa ambiante.

Après avoir gravi trois étages à pied, on m’amena dans un bureau à l’environnement froid, d’une triste fonctionnalité et à dessein sans doute, totalement dépersonnalisé. On m’invita sans tarder à décliner mon identité, mon adresse, ma profession et ainsi de suite jusqu’à la question centrale de la fréquence de ma consommation de cannabis... Question à laquelle je répondis naturellement en la minimisant considérablement.

Même si l’homme me faisant face s’adressait à moi en terme plus ou moins courtois, j’ai toute de suite eu l’impression qu’ici, quoi que vous puissiez dire, vos arguments ne seraient de toute façon pas pris en compte. Je comprenais que se mettait seulement en marche un mécanisme implacable et quasi automatique où les jeux étaient joués d’avance où les rapports humains n’entraient plus vraiment en ligne de compte, où vous n’aviez pas droit de regard sur la machine judiciaire qui venait de s’enclencher à votre encontre. Un mécanisme en action où il s’agissait de ne pas aggraver votre cas et d’alourdir par d’inutiles provocations la qualification pénale de votre délit. Le plus sage étant de vous résigner à suivre le bon vouloir de l’OPJ, ce que je fis docilement.  

Le fonctionnaire en face de moi, me signifia ma garde-à-vue d’un ton monocorde où on ne percevait pourtant ni mépris ni animosité, me vint alors à l’esprit cette citation de l’écrivain Frédéric Beigbeder : « La police française a toujours eu une façon très humaine d’être inhumaine. »1

Je restais néanmoins philosophe, si j’étais ici c’était bien parce que j’avais enfreint tout simplement la loi. J’étais d’ailleurs parfaitement conscient des risques et il ne m’était pas étranger à mon esprit non plus que pour arrêter les trafiquants, qui tels des anguilles ne se laissent pas facilement prendre en flagrant délit, nos forces de police cherchent à rassembler le maximum de témoignages concordants de consommateurs sur les vendeurs qui les approvisionnent afin de pouvoir ensuite enclencher une action en justice à leur encontre.

J’avais été piégé à mon insu dans ce jeu du chat et de la souris.

Petits mensonges à la Pinocchio

Pour me rassurer l’Opj m’affirma entre quatre yeux que je serai reparti au plus tard, le lendemain matin à neuf heures. Il ne fallait donc pas m’affoler outre mesure.

Je le crus naïvement tout en n’ignorant pas que la parole ici devenait une arme car c’est bien de mensonges qu’ont usé les agents de police en civil qui m’ont arrêté au bas de mon immeuble. Ils m’avaient affirmé, pinces sans rire, qu’ils n’avaient que faire de simples petits consommateurs comme moi et que ce qu’ils recherchaient ce n’était pas le menu fretin, leur principal objectif était seulement d’incarcérer les dealers, les gros bonnets. Aussi, me dirent-ils sans ciller, que je n’avais qu’à les suivre au commissariat, faire gentiment ma déposition et en sortir totalement libre de mes mouvements, j’en aurai pour une demi-heure à tout casser. C’était la loi du genre et je ne devais pas m’étonner plus que de raison d’être entouré ici de Pinocchio de théâtre.

M’attendant malgré tout à prendre mon mal en patience pour un bon bout de temps, je demandais poliment s’il était possible d’avoir un café. L’homme me répondit immédiatement par la négative en me regardant comme si je lui avais demandé le code de sa carte bleue ou d’échanger nos sous-vêtements. 

1/ « Un roman français », un roman autobiographique paru aux éditions Grasset en 2009

Puis après cette première déposition, je suivi docilement un policier sans savoir où il comptait m’amener exactement. Je me fis intérieurement la remarque que lors de cette première heure de garde-à-vue, à aucun moment on m’avait spécifié mon droit de garder le silence, manquement pouvant pourtant entraîner sa nullité. Par ailleurs, si on m’a effectivement interrogé si j’avais besoin de consulter un médecin, à aucun moment on ne m’a demandé si je suivais un traitement particulier. J’imagine que cet oubli peut avoir pour certaines personnes notamment mutiques, de graves conséquences.

Une fouille au corps, en règle 

On procéda ensuite à une fouille au corps, exhaustive.  On inventoria soigneusement mes affaires personnelles d’un œil soupçonneux, puis on inspecta l’intérieur de mes chaussures et de mes chaussettes, des caches coutumières aux dealers et aux consommateurs de drogue. On confisqua mes lunettes de vue afin que je ne puisse m’ouvrir au cas où les veines avec leurs verres, et on me signifia ensuite que le sweat que je portais possédait un lacet susceptible de me servir pour me pendre. J’avais soit le droit de la garder, mais en coupant le lacet incriminé, soit de leur laisser et de le retrouver à ma sortie. Grand prince, je décidai de m’en passer. Ce n’était pas sur mon agenda et je n’avais de toute façon pas l’intention de me suicider.

Sur ce on m’emmena à mon point de chute, ma cellule de rétention… J’entrai dans une minuscule pièce tout bétonnée. Mon Dieu ! m’écriai-je intérieurement, ce n’était pas vraiment là la chambre d’un palace et l’intimité laissait franchement à désirer. Il régnait-là une odeur prégnante d’urine, la couverture sur la paillasse de béton, peinte en gris, était puante et pouilleuse. Je résolu de m’en servir qu’en guise d’oreiller, recouverte heureusement de mon sous-pull. Quant aux toilettes, elles étaient évidemment à la turque et surtout proprement immondes, copieusement bouchées par du papier toilettes, papier toilettes également collées au murs en guise d’originales décorations de bienvenue. Et excusez-moi pour ce détail prosaïque, bien que m’étant retenu le plus longtemps possible, j’ai dû faire mes besoins les pieds baignant dans l’urine fraîche et peut-être sans rien pour m’essuyer si je n’avais longuement insisté auprès des gardiens pour obtenir du papier toilettes. On n’avait sans doute peur encore une fois que les gardés-à-vue s’en servent pour l’avaler et s’étouffer avec.

Ici, dans cette porcherie pour humains, c’était l’évidence, le chat se mordait la queue, et l’on aura beau construire des cellules toutes neuves comme c’était le cas ici, si l’on traite les gardés-à-vue d’une façon si peu respectueuse de leurs droits, doit-on s’étonner qu’elles se retrouvent dans un tel état quelques mois plus tard. Était-ce réellement le résultat escompté après trois années de travaux de rénovation pour la bagatelle de vingt-trois millions d’euros ? Somme rondelette à laquelle en tant que contribuable j’avais également participé.

Je me mis à tourner en rond comme un lion encagé, je me posais la question si ces conditions de rétention se révélaient réellement dignes d’une démocratie comme la nôtre. On peut sérieusement en douter. Et se rendaient-ils compte, tous ces policiers en civil, ces John Wayne et Robocop surarmés, que c’est ce genre de « détail » prosaïque que s’opère un glissement coupable portant atteinte à nos droits humains fondamentaux ? Je me suis alors dit afin de me réconforter que ces complices de tels dysfonctionnements et ceux qui participent de près ou de loin à une telle mécanique répressive - manifestement aveugle sur leurs implications humaines - doivent néanmoins se poser des questions d’ordre éthique. Forcément cela doit travailler leur conscience, réveiller leur Jimmy Cricket intérieur, les empêcher parfois de dormir, les inviter à s’alcooliser plus que de raison, à prendre du Prozac comme des M&M’S, à éviter tant que possible à se regarder trop longtemps dans une glace sans risquer de rougir de honte. C’est du moins ce que je m’efforçais de croire.

Subitement, je comprenais mieux la raison pour laquelle la courbe du taux des suicides dans la police française prenait une allure inquiétante. Un taux alarmant qui n’avait aucune raison d’ailleurs de baisser. Fallait-il s’étonner en de tels contextes si certains deviennent prisonniers de leur ghetto intérieur et ne supportent plus les conflits éthiques auxquels ils se trouvent confrontés de par l’exercice de leur métier ?

Après quelques heures à ruminer et à mariner ainsi dans mon propre jus corporel, on me fit sortir de cellule pour une prise d’urine, une prise d’empreintes et un test salivaire destiné sans aucun doute à détecter mon taux alarmant de THC. Puis une demi-heure plus tard, rebelote, cette fois on me fit sortir pour une nouvelle déposition, on monta pour la troisième fois en quelques heures, trois étages à pied. Manifestement, de ce je crus du moins comprendre par des brides de conversations entre collègues, l’ascenseur était depuis belle lurette en panne alors que les locaux étaient eux flambants neufs. Curieux anachronisme, tout de même, mais je n’oubliais pas que j’étais ici dans les locaux d’une administration française.

Des gardes-à-vue apparemment peu dissuasives

Parvenu à un bureau aussi impersonnel que le premier que j’avais visité, le policier qui m’accompagnait m’invita à attendre dans une cellule vitrée, qui était attenante. J’eus alors bientôt l’occasion d’entendre une conversation édifiante entre deux collègues où il était question d’un jeune délinquant qui était sorti de garde-à-vue la veille et qui venait à nouveau de se faire arrêter. Ce jeune avait manifestement la scoumoune collée à ses basques. Je ne sais pas exactement ce qu’avait bien pu commettre comme délit ce jeune récidiviste, mais ce bref échange en disait long sur la prétendue efficacité des gardes-à-vue et de leur caractère soi-disant dissuasif. Une chose était sûre, on était bien ici dans cette antichambre de la prison, dans ce purgatoire judiciaire où se nourrit et se cultive la haine tenace de l’état.

Au bout d’une demi-heure d’attente, on me fit enfin sortir de cette cage en verre et le policier me fit enfin asseoir face à son bureau. D'emblée, je lui fis remarquer, légèrement à cran, les conditions d’hygiènes déplorables et indignes des cellules de rétention, j’énumérai notamment la couverture pouilleuse, les toilettes copieusement bouchées. Face à ce constat, je ne reçus alors en écho qu’un long et magnifique silence radio, un mutisme en réalité étourdissant, à tel point que je me demandais si cet homme m’avait bien entendu ou s’il était sujet à une surdité sélective. Je saisis mieux maintenant la raison pour laquelle il ne désirait pas me répondre, adouber à l’évidence... Comment, en effet, admettre de traiter les gardés-à-vue d’une manière aussi indigne ? Mieux valait en effet, se taire. Sans nul doute, ces fonctionnaires de police souhaiteraient eux-mêmes que les gardés-à-vue se voient garantir de meilleures conditions de rétention ce qui limiterait forcément l’acrimonie à leur égard, les invectives, les insultes éventuelles, mais beaucoup sont manifestement blasés et subissent désabusés les ratés collatéraux d’un système au bord de l’asphyxie.

Alors, à quoi bon de soi-même insister d’une manière masochiste là où cela fait mal. Puis, alors qu’il consultait tranquillement mon dossier, je me suis demandé alors si ce fonctionnaire, le visage passablement chiffonné et grisé par la routine, se rendait réellement compte qu’il avait en face de lui un gardé-à-vue de plus de soixante ans. Un homme qui venait de lui spécifier de surcroît qu’il fumait du cannabis afin de soulager notamment les douleurs d’une spondylarthrite ankylosante, une prise donc de cannabis principalement à visée thérapeutique. Par ailleurs, cet homme tout occupé et concentré à sa tâche, ignorait-il que la France est particulièrement à la traîne dans ce domaine et que grand nombre de français, partisans de la légalisation des drogues douces, attendent ce geste de l’état depuis la première élection de François Mitterrand, soit tout de même depuis maintenant près de quarante ans. Rappelons qu’en France, le cannabis représente quatre-vingt pour cents de la consommation de drogues et concerne cinq millions d’utilisateurs. Ajoutons à cela que près de la moitié de français admettent en avoir consommé. Le nombre d’adultes rapportant un usage régulier a été multiplié par deux depuis l’an 2000. Savait-il également ce même homme devant moi que la dépénalisation du cannabis est déjà opérante dans douze pays européens… en Allemagne, en république Tchèque, en Belgique, au Danemark, en Italie, en Lettonie, en Lituanie, au Luxembourg, à Malte, en Croatie, au Portugal et enfin en Slovénie.

Puis au vu de son regard de Snoopy fatigué, las et blasé, je me suis demandé enfin s’il n’aurait pas lui aussi besoin, comme tout un chacun, d’un petit bédo récréatif pour se délasser après apparemment une harassante journée de boulot.

Me voyant esquisser un sourire qui peut-être ne lui plut pas, l’homme assis en face de moi émergea de son silence et me demanda subitement si j’avais une remarque à faire au cas où le juge d’instruction souhaiterait prolonger ma garde-à-vue. Une sueur froide coula en petits rus sur mon front. Combien de temps encore, me disais-je, va-t-on me garder dans ce cul de basse-fosse pour la détention de seulement quatre grammes de cannabis ? Je vivais-là un véritable cauchemar éveillé, cependant je repris mes esprits, il devait s’agir là finalement d’une formalité administrative, j’émis donc la remarque que j’étais travailleur, que j’avais un emploi qu’il m’était impérieux de garder. Selon moi, un argument dont un juge d’instruction devrait être forcément sensible.

L’homme me fit ensuite signer un document spécifiant que les quatre grammes de résine de cannabis, preuve factuelle de mon délit, allait être détruit, puis il me fit consulter un trombinoscope composé de différents visages d’homme où il m’était demandé de reconnaître le dealer qui me les avait vendu. Il m’apparaissait évident que c’était bien là l’objet principal de cette garde-à-vue. Je sélectionnais donc deux portraits parmi cette liste de prétendants en précisant que je n’étais absolument pas certain pour autant qu’ils s’agissait-là de l’homme qu’il recherchait. La délation n’ayant jamais été mon sport favori. Le fonctionnaire ne prit pas la peine de me répondre, mais à l’expression de son visage il semblait néanmoins satisfait de mon choix, je faisais vraisemblablement avancer leur enquête. Tant mieux ou tant pis, peu m’importait. Puis l’homme me tendit les feuillets de ma précédente déposition afin que je les lise, les valide et que je les signe… Seul petit problème à cette demande, on m’avait confisqué depuis mes lunettes lors de ma fouille au corps. Je me suis alors dit intérieurement que si on vous les supprime par principe de précaution par crainte supposée de suicides, il serait peut-être alors judicieux de mettre à disposition une série de lunettes loupes, ne serait-ce que pour que vous puissiez lire vous-même la transcription de votre déposition et non qu’on la lise à votre place comme ce fut mon cas.

La confiance « aveugle » avait des limites.

Une « Paella » ou une pâtée pour chiens ?

On me ramena en cellule. Puis vint l’heure du « repas » ou plus exactement l’heure d’un rata écœurant. Lequel fut servi dans une barquette en plastique comprenant une sorte de brique compacte et nauséabonde composée de paella, du moins le supposais-je. La « chose » je vous l’avoue, était difficilement identifiable. Une pitance infâme dont je me suis bien gardé après une demie bouchée d’y toucher à nouveau. Je me suis alors demandé si quelqu’un avait eu le courage stoïque de goûter à cette mixture vomitive, à cette pâtée pour chiens, jetée en pâture aux gardés-à-vue ? Je me demandais également si cela coûterait-il réellement plus cher aux contribuables de servir des rations mangeables et comestibles ? La privation de liberté n’est-elle pas suffisante comme le risque de devoir perdre son emploi, pour que s’y rajoute inutilement une volonté manifeste d’humilier et de vous traiter ni plus ni moins comme un animal ? Là également, on pouvait légitimement se poser la question. Le cerveau en ébullition, je me mis à songer que normalement la garde-à-vue n’est légitime en droit que si elle répond à certains objectifs bien précis2. Malheureusement dans mon cas comme d’ailleurs pour tous ceux qui se retrouvaient dans ces mêmes cellules de rétention pour de simples délits routiers, je ne répondais réellement à aucun de ces objectifs. De quel droit une démocratie comme la nôtre peut tolérer de telles dérives ?

2/ « Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne/ Garantir la présentation de la personne devant le Procureur de la République afin que ce dernier apprécie la suite à donner à l’enquête/ Empêcher la personne de modifier les preuves ou indices matériels/ Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que les familles ou les proches/ Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être des coauteurs ou complices/ Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit. »

J’en étais là dans mes pensées sombres et moroses, lorsqu’une femme de ménage passa nettoyer consciencieusement le couloir attenant aux cellules. Elle prenait manifestement un grand soin à sa tâche tout en nous ignorant superbement du regard. C’était de mon point de vue, un moment proprement surréaliste alors que les gardés-en-vue de ce même couloir, marinions gentiment dans les relents d’urines et d’excréments. Tout cela est-il bien proportionné ? Était-ce si difficile entre deux gardes-à-vue de s’occuper de la propreté des cellules de rétention ? Et, était-ce tant demandé à une administration telle la police nationale ?

Une cellule de rétention du commissariat du 13ème après rénovation, toute neuve mais encore sans « les bruits et les odeurs… »

Une nuit sans sommeil

Confiné dans ma cellule, je me demandais quelle heure il pouvait bien être. On devait certainement approcher maintenant de minuit. Les heures s’égrenèrent alors avec une lenteur exaspérante d’autant plus que je me faisais réellement du mauvais sang. En effet, qu’allais-je bien pouvoir trouver comme excuse pour justifier mon absence du lendemain auprès de mon employeur ? Si ce point m’angoissait, j’étais néanmoins certain que cette garde-à-vue ne mettrait pas réellement en péril mon emploi. Mais était-ce le cas pour d’autres gardés-à-vue ? Sans doute, non.

Un jeune emprisonné à côté de moi se mit à tambouriner avec insistance contre la paroi métallique de sa cellule. Manifestation de colère qui avaient le don de provoquer un raffut du diable. Manifestement, mon voisin perdait son calme et n’appréciait pas du tout de se trouver en rétention et entre deux noms d’oiseaux envoyés à ses geôliers absents, protestait avec force qu’il n’avait rien à faire là et réclamait à cor et à cris qu’on lui donne au moins la possibilité d’appeler sa petite amie pour la prévenir de sa « gav ». Mais le jeune homme avait beau s’égosiller, tambouriner comme un malade à l’agonie, il prêcha une bonne demie heure dans le désert empêchant du même coup les autres détenus du couloir de pouvoir dormir. Ce n’est qu’après avoir demandé avec insistance le silence que je l’obtins finalement. Ici, c’était bien à nous, gardés-à-vue » de faire nous-mêmes la police, les gardiens, certainement débordés, n’étaient pas là pour le faire et c’était bien le cadet de leur souci que l’on dorme ou que l’on ne dorme pas. Suivi donc une nuit faite de bruits pénibles et d’odeurs nauséabondes durant laquelle, je sommeillais plus que je ne pus dormir réellement. On m’apporta en guise de petit déjeuner matinal, un jus d’orange à peine buvable que je m’abstins prudemment de boire. Puis, je ruminais mon désarroi durant un temps qui me parut infini, me demandant quand on voudrait bien enfin s’occuper de mon cas. Certainement on m’avait oublié, oublié jusqu’à mon existence et cela même avec cet œilleton de caméra qui m’épiait tel l’œil de Caïn dans sa tombe. Qui sait ? J’étais peut-être mort sans le savoir à moins que ceux qui étaient postés devant les écrans de surveillance se soient endormis où visionnaient en replay un match de foot passionnant. Bref, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait car on m’avait spécifié que je pourrais partir à neuf heures. Mais l’heure du déjeuner était d’ores et déjà passée et j’entamais l’après-midi. En effet on m’avait apporté la même infâme mixture de la veille, à laquelle bien évidemment je me suis bien gardé à nouveau de toucher. Mais force était de constater que si je faisais contre mon gré abstinence, je m’étais par contre bien nourri jusque-là d’illusions en croyant que je sortirai peut-être à neuf heures du matin ! Comme toujours en pareil cas, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Je n’étais pourtant pas censé ignorer où je me trouvais, à savoir un théâtre d’ombres où le mensonge est monnaie d’usage. Le mensonge a en effet l’insigne mérite d’amadouer les gardés-à-vue, d’amadouer les fauves, de les anesthésier, d’éviter les débordements éventuels.           

Ma levée d’écrou

Enfin, en milieu d’après-midi, je m’enquis à plusieurs reprises de mon sort auprès des gardiens qui, avouons-le, passaient rarement par là. On me confirma enfin que je n’aurai plus longtemps à attendre avant ma levée d’écrou. En effet, moins d’une heure plus tard, un gardien essaya sa clé pour ouvrir ma cellule, mais bizarrement sans y parvenir… Voilà qu’à l’heure tant attendue de ma libération, on ne trouvait pas la bonne clé pour ma cellule. Au vu de la tournure qu’avait déjà pris les choses, si par malheur elle était réellement égarée, j’allais peut-être rester là jusqu’au réveillon ! Heureusement au bout de dix minutes, un gardien revint avec un nouveau jeu de clés. Enfin on ouvrit la porte de ma cellule, je fus profondément soulagé que la plaisanterie ne dure davantage. Puis on me restitua mes affaires et après m’avoir remis une convocation au tribunal d’instance de Paris au cours de laquelle, un mois et demi plus tard, je devrais m’acquitter d’une amende pénale de deux-cent cinquante euros, cela commençait à faire cher le gramme de résine de cannabis…, on me fit signer plusieurs documents que je ne pris même pas la peine de lire… 

Une fois à l’air libre, encore sonné comme un gong par ce que je venais de vivre et qui m’était tombé dessus sans crier gare, je me mis à consulter ma messagerie de mon téléphone portable. Je n’en revenais pas, certaines coïncidences sont parfois si surprenantes qu’on les croirait l’expression du destin. En effet je reçus ce message publicitaire sur WhatsApp : « Carolina 1g=70 €, chocolat super polm 10 g= 70 €, Marie-Denis 1 g = 50 €, taz 4 pils = 50 €, Verte (weed), lemon haze, strawberry kush 5g = 50 €/ 12g = 100 €, kéta 1 g = 50 €, je suis disponible dans Paris et sa banlieue 7j/7 de 12h00 à 00h à domicile ou au lieu de votre choix. » Ironie du sort, votre cannabis livré à domicile sans possibilité d’être tracé ! C’était-là un supermarché de la drogue en libre-service. En effet, cette application est connue et doit son succès pour la totale confidentialité des messages qui y sont publiés, ces derniers ne pouvant être en effet lus que par leurs destinataires et non par des esprits malveillants tels des enquêteurs des stups. Certainement, si j’avais opté pour une telle offre de service, j’aurai fait là l’économie substantielle de ces vingt-quatre heures de garde-à-vue.

Puis, je songeais que la meilleure manière d’exorciser ce que je considérais sans exagération comme un traumatisme « post démocratique », serait d’écrire sur cette expérience. Un écrit susceptible d’éveiller la conscience de mes concitoyens sur ce sujet tabou car je me posais maintenant cette question : Qui avait réellement tort ? Qui devait se sentir coupable ? Qui outrepassait son droit dans cette affaire, l’état ou moi ? Laissant cette question en suspens et heureux de reprendre le cours normal de ma vie après cet incident judiciaire, je me sentais comme devenu un « initié », un homme comprenant mieux de l’intérieur ce que pouvait être l’univers carcéral. En effet, j’avais l’impression à ma petite échelle ce que pouvait vivre au quotidien un détenu… distorsion du temps qui s’allonge tel un chewing-gum mâché et remâché ; âpre sentiment de solitude existentielle aussi abyssal qu’absolu ; abattement mutique suivi de montées irrépressibles de rage quand notamment vous sentez devenir une sorte de paillasson humain et que vous rendez compte que vos droits sont systématiquement bafoués ; périodes de vaines invectives à la caméra qui vous observe… et enfin, envies irrépressibles  qu’on vous tire enfin du confinement de votre cellule pour n’importe quelle mauvaise raison que ce soit pour un interrogatoire, une déposition ou tout autre diversion opportune.

Moins d’une demi-heure après ma levée d’écrou, j’ouvris la porte de mon appartement. Je me dis qu’il n’était pas étonnant dans ce type de contexte qu’un homme soit mort en avril 2009 dans ce même commissariat, lors justement d’une garde-à-vue qui aurait mal tournée ? Si ce drame, dont j’étais déjà au courant par la presse, n’avait pas reçu beaucoup d’échos médiatiques à l’époque, la raison en était sans doute du fait que l’homme arrêté était un sans-abri. Qui se soucie en effet de la mort d’un Sdf d’autant plus lorsqu’il est soupçonné d’un délit ? Et je me mis à imaginer un gardé-à-vue de l’âge de soixante-dix ou de quatre-vingt ans devant subir une telle indignité. J’eu également une pensée émue envers ces simples manifestants des gilets jaunes confondus à tort avec des blacks-block et qui se sont retrouvés sans doute confinés comme des sardines en ces lieux de perdition. Ils n’étaient ceux-là coupables que d’avoir manifester leur désaccord avec la politique du gouvernement. Apparemment un crime de lèse-majesté sous le règne de Macron.

Ouvrons les yeux, indignons-nous : en un an de manifestations des gilets jaunes, dix milles gardes-à-vue ont eu lieu suivis de trois milles condamnations pénales dont quatre cents à de la prison ferme. Si donc le but (inavoué ?) de l’Etat est de décourager le citoyen lambda de manifester son mécontentement face à la politique gouvernementale, il a d’ores et déjà gagné haut la main son pari. C’était d’autant plus vrai que dans mon propre cas, j’éviterai désormais de manifester auprès des Gilets Jaunes comme je l’avais déjà fait par le passé et de prendre le moindre risque qui pourrait me conduire à nouveau en garde-à-vue. Il m’avait déjà suffi lors de la manifestation du 1er mai 2019, d’avoir craché mes poumons à même le trottoir et d’avoir failli être asphyxié par l’envoi massif de bombes lacrymogènes et cela juste à une dizaine de mètres à peine de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière qui fut le théâtre d’un épisode de sinistre mémoire pour notre démocratie.

Je pris une longue douche, me rhabilla avec des habits propres et me roula un copieux « trois feuilles ». C’était je crois la meilleure chose à faire à ce moment-là…

Un citoyen indigné

****** 

Une hypocrisie d’état qui dure depuis près de quarante ans

            Tous les spécialistes de la toxicomanie et plus particulièrement des psychotropes, le savent, la consommation de cannabis ne pose pas de réel problème en terme de santé publique. Qui connaît une personne morte de surdose de THC ? Zéro : évidemment. Il en est par contre tout autrement en ce qui concerne les implications de la consommation d’alcool qui tue quarante-cinq mille personnes chaque année et est impliquée dans vingt-trois milles décès par cancer des voies aérodigestives. Quant au tabac, rappelons-le, il est lui directement responsable de soixante-treize milles morts par an. Quand cesserons-nous de cautionner une telle hypocrisie d’état d’autant que la régulation du marché du cannabis mettrait un terme à cette économie parallèle qui gangrène depuis des décennies nos cités. Cette crispation étatique est aussi incompréhensible que contre-productive, mais visiblement on préfère continuer à réprimer au nom d’une idéologie totalement archaïque qui ne repose aujourd’hui sur aucun fondement rationnel ?

Une explosion particulièrement inquiétante du nombre des « gav »

On ne peut évidemment contester à un état le droit de retenir en rétention des personnes soupçonnées d’avoir commis des délits. Seulement une fois cela étant dit, on pourrait fort bien dans un cas comme le mien, remplacer la garde-à-vue par une audition libre qui permet d’interroger une personne soupçonnée d’infraction pour une durée limitée à quatre heures. Une sorte d’antichambre de la garde-à-vue. Bref, comme beaucoup de juristes et d’avocats le préconisent, on pourrait fort bien se limiter à une déposition, à une fouille au corps, aux prélèvements d’urine et d’empreintes, au test salivaire du THC, à une amende en règle et à un naturel rappel à la Loi sans nécessairement obliger le contrevenant d’une garde-à-vue de vingt-quatre heures. Criminaliser les petits consommateurs de drogues douces est une absurdité propre à notre pays. Rappelons ici quelques chiffres : huit cent mille gardes-à-vue ont lieu chaque année dont cinquante milles concernent directement les stupéfiants. Cette explosion anormale de gardes-à-vue en France, pose un problème démocratique comme un problème de respect des droits élémentaires et de dignité humaine. Ces gardes-à-vue massives ne sont-elles pas la preuve manifeste d’un dysfonctionnement de notre système judiciaire, d’une dérive sécuritaire sans contrepouvoir réel ?

En Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Espagne et en Italie, par exemple, le placement en garde à vue est lié à « l’existence d’une infraction d’une certaine gravité. » Ne faudrait-il pas revoir d’urgence le champ d’application de la garde-à-vue qui ne devrait concerner que les suspects passible d’une peine de prison d’au moins six ans ? Toujours est-il qu’en réponse à cette explosion de gardes-à-vue, non pas illégales, mais à mes yeux illégitimes, les protestations sur ces types de dérives sécuritaires apparaissent bien silencieuses ou minorées comme si on évitait d’aborder cette réalité douloureuse. Pourtant le chiffre de huit cent milles gardes-à-vue par an devrait nous interpeller car il apparaît extrêmement élevé en rapport à notre population. Cette augmentation aux proportions inédites sous le gouvernement Macron, pose réellement questions en termes de libertés publiques et nous interroge si c’est bien le rôle et la fonction d’un état démocratique que de mettre en garde-à-vue des personnes qui comme moi n’ont strictement rien à y faire.

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