Avertissement au lecteur : Cet article non signé n'est pas de mon cru mais a été rédigé par mon excellent confrère Pierre Imbert aujourd'hui disparu. Je n'ai pas pu résister au plaisir de joindre à ma prose ce fait divers délicieusement conté que j'eusse eu grand plaisir à signer moi-même !

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C'est la vindicte populaire qui l'a désigné aux forces de l'ordre. Il venait de voler sa cinquante-septième culotte, rue Jean-Moulin. Dans une cour banale, sur un fil à linge sans histoire. Horizontal comme la mort, droit comme une route de Beauce.
Lorsqu'il entendit les cris de voisins ahuris, il lâcha ses deux trophées de satin et prit ses jambes à son cou, courut comme un lapin pour se perdre dans la nature. Mais il était dit que ce jour était placé sous le signe de la mouise pour le voleur de culottes.
Arrivant dare-dare sur les lieux, une patrouille de police alerte n'eut aucun mal à le coincer la main dans le sac quelques virages plus loin. Sans aucune résistance de sa part.
La trentaine, de bonne mise, salarié, célibataire, l'homme bredouilla quelques bribes d'explications sur le fétichisme. De quoi piquer la curiosité des inspecteurs qui firent illico une perquisition chez lui et découvrirent un joli petit butin de dessous chics : cinquante-sept culottes, huit soutiens-gorge et deux bustiers. Une collection entamée depuis deux ans, au hasard de promenades dans quelques quartiers tourangeaux, Sanitas, Tours-Nord.
Jamais d'agression ni d'effraction pour se procurer l'étrange objet du désir. M. X se contentait d'aviser un lieu calme, sans trop de vis-à-vis, fertile en lingerie fine. Il se servait discrètement, puis rentrait accrocher sa nouvelle prise à son tableau de chasse.
Aujourd'hui, la police lance un appel aux victimes des vols pour qu'elles se signalent. Sans trop d'illusions. « Nous n'avons pas l'intention d'accabler encore plus ce monsieur qui doit avoir assez de problèmes personnels, indiquait un inspecteur, mais nous voudrions savoir combien il y a eu de vols et où ils se sont produits (il en a avoué une vingtaine). Pour l'heure, ce monsieur paraît parfaitement inoffensif. Mais vu la nature des vols, nous devons être vigilants et rigoureux dans la collecte d'informations sur la personnalité de cet homme. Je sais que les gens hésitent à porter plainte pour un vol de culottes, mais il faut qu'ils comprennent que cela peut nous rendre service. »
Pierre Imbert, La Nouvelle République, 5 novembre 1993