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Infatigable planteur d'arbres devant l'Éternel, Jean Royer conviait ses concitoyens, pour la dix-neuvième fois un samedi matin, à planter dans les terres de Larçay quelque cinq mille pieds. Trois cents volontaires – parmi lesquels des militaires désignés d'office – avaient voulu en hêtre. Il est vrai que ce bouleau ne manque pas de charme, même si la main tremble quand le froid frêne. Quelques troupes d'enfants étaient à l'école buissonnière houx ils trouvèrent du pin et des jeux.
Sanguin était le cornouiller (cornus sanguinea, à ne pas confondre avec l'arbre à nouilles), verruqueux le bouleau (betula verrucosa), rouvre le chêne (quercus sessiliflora, espèce femelle et, comme telle, dépourvue de pédoncule)… et crottés les humains. Car, dans le sol détrempé par les fleuves du ciel, les pieds à cinq doigts s'enfonçaient plus sûrement que les racines naissantes.
Mais la cohorte planteuse était joyeuse. Elle s'était égaillée en petits groupes, assaisonnés d'une pincée d'écoliers et un zeste de soldats qu'un jardinier chaperonnait scrupuleusement. Ainsi les jeunes plants, baliveaux et touffes intromis dans la terre nourricière prospéreront-ils avec une chance de survie proche de quatre vingt-dix pour cent.
« Ça me botte », disait un drôle. En effet, il fallait être opportunément équipé pour patauger dans l'humus, nonobstant le risque permanent d'aspiration par le bas. Des édiles municipaux en firent l'expérience, singulièrement le maire, dont le credo en faveur de l'enracinement pouvait, en l'occurrence, être pris au pied de la lettre. Quant au préfet, pourtant homme de terrain à ce qu'on dit, il avait délégué son chef de cabinet Maxime Tandonnet, lequel avait dû en toute hâte chausser les bottes de ces lieux.
Au terme de cette besogneuse matinée, le ci-devant maître des cérémonies Patrice de Kilmaine, adjoint au maire chargé des espaces verts, parcourait une ultime fois les cinq hectares communaux reboisés. Le tour du propriétaire satisfait d'une gestion forestière pratiquée en bon père de famille, comme disent les notaires et les notables.
Alain Nordet, La Nouvelle République, 2 décembre 1992