« Retournez en prison ne passez pas par la case départ ! »

Au Monopoly de la vie, ces deux-là risquent d'aller plus souvent en prison que de retourner à la case départ pour encaisser les 20.000 F. José, un Portugais en situation irrégulière, avait quitté la maison d'arrêt depuis une semaine. Son pécule de 1.600 F s'est vite dégonflé. Sans guère d'autre expérience professionnelle que le cambriolage et le vol de voitures, il est retombé vite fait dans la petite délinquance, son unique moyen d'existence. Son palmarès a dû impressionner Virgile, un garçon de 20 ans comme lui, rencontré dans l'oisiveté banale.
Alors ils ont fait équipe. Un break 405 volé à Saint-Avertin, un cambriolage à Luynes. Ils sont repartis avec deux télés, une chaîne hi-fi, des armes, des bijoux. Ils ont partagé. Retour à Saint-Avertin pour remplacer la Peugeot par une Lancia. « Ça roule plus vite. » Cela ne les a pas empêchés de se faire prendre avec.
Traduits en comparution directe devant le tribunal correctionnel, ils ont tout avoué. Le propriétaire d'une des voitures n'a pas voulu se constituer partie civile, il avait récupéré son bien. Il aurait aimé retrouver aussi le siège de bébé, mais José l'avait balancé. « Tant pis, c'est dommage. »
Le procureur avant requis dix-huit mois de prison ferme contre José et dix contre Virgile, leur avocate commise d'office, Me Aubry, a dénoncé « l'échec de l'incarcération qui n'est qu'une machine à punir ». Peine perdue : José, « sorti de prison sans aide à la réinsertion », a été condamné à y retourner pour quinze mois. Virgile, lui, ne connaîtra pas le chômage pendant six mois. Il pourra toujours retourner pointer après.
Quant au propriétaire de Luynes, qui avait fait valoir son gros préjudice, sa constitution de partie civile lui vaut réparation pour 40.000 F. 

Alain Nordet, La Nouvelle République, 5 novembre 1993