Catherine Munin, complice, camarade et collègue d'Alain, a écrit ce très beau texte :

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Alain est mort. Nous nous y attendions tous un peu, mais tout aussi confusément on espérait qu’il ferait la nique à la faucheuse.
Que nenni. Est-ce l’âge, les rêves ne sont plus d’actualité. Et pourtant nous, enfants plus au moins légitimes de mai 68, nous pensions que l’imagination était au pouvoir et qu’être réaliste c’était demander l’impossible.
Notre première rencontre à Alain et à moi ne fut pas impossible mais improbable : c’était l’été 68, Alain arrivait du Havre pour un entretien d’embauche à la NR, moi j’y étais stagiaire d’été et nos routes se sont croisées place Jean Jaurès, lui qui cherchait la NR et moi qui y allais…
Nous ne savions ni l’un ni l’autre alors que débutait une amitié qui nous lierait jusqu’à sa mort.
Je ne sais pas si tous ceux qui ont vécu ces années tourangelles diraient que c’était les plus belles, mais ce furent certainement pour le plus grand nombre d’entre nous les plus pleines, les plus riches, les plus gaies. Frais émoulus de mai 68 et Alain déjà père de famille, nous avons traversé ces années en travaillant pas mal, en militant beaucoup, en buvant sans doute trop, en fumant aussi et pas toujours que du licite … et en dormant peu.
C’était pas mal foutraque mais lorsque nous avons créé une section syndicale CGT – et Alain faisait partie des membres fondateurs – ce fut du sérieux. Nous avons lutté avec les armes à notre disposition : tracts, grèves, manifestations … mais aussi avec nos outils de travail : les mots ! Alain, orfèvre en la matière, sut toujours – sans lâcher rien sur le fond – mettre les rieurs de son côté.
Et au risque de faire de la peine à tous ceux qui ont usé en vain leurs semelles sur l’asphalte des villes, ça marchait ! Nous obtenions satisfaction.
De ces années, nous pourrions extraire la période des “Transparents”, un journal lycéen squatté le temps de deux numéros pour dénoncer la censure et ridiculiser la “pudicité” du maire de Tours, Jean Royer ; la venue du Grand Magic Circus sur le campus ; l’ATLAC (Association Tourangelle pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception), asso dissoute il y a tout juste 50 ans après la promulgation de la loi Veil ; le Larzac et ses pendants régionaux à Fontevraud et au Ruchard ; le festival de jazz de Châtellerault, celui du Mans ; François Tusques et Colette Magny dans les usines angevines en grève… il était de toutes les luttes.
On ne peut pas résumer une vie en quelques lignes, mais on ne peut pas non plus parler d’Alain sans parler des femmes qu’il a tant aimées, et parfois épousées.
Les années NR furent celles des Françoise, celle qui est restée au Havre et celle qui a partagé sa vie tourangelle. Elles lui ont donné ce qui a toujours été sa plus belle histoire d’amour : ses enfants.
Puis il y eut celles que j’appelle les Indiennes, Jacqueline parce qu’elle lui a fait découvrir et aimer l’Inde, et Mina enfin, la dernière femme de sa vie, avec qui il séjourna à plusieurs reprises dans ce pays.
Avec le temps, tout s’en va… dit le poète. Le temps ne fait rien à l’affaire, Alain restera dans nos cœurs mais il emporte avec lui une grande part de notre jeunesse.
Catherine Munin

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