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Billet de blog 11 janvier 2024

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Quand un libertaire s'affiche

« Loulou à la Nounou - Illustrations d'Azo »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les gendarmes n'apprécient pas la « contestation humoristique » du colleur d'affiche anti-раре.

Illustration 1
© Azo

« Insulte à un chef d’État ! » Il n'en revient pas, Philippe Caballero, colleur d'affiches occasionnel pour souhaiter « la malvenue au pape » en pleine célébration consensuelle. Convoqué un matin à la Compagnie de gendarmerie de Tours, il n'accepte pas de se laisser entraîner sur ce terrain-là : « J'ai dit que je n'étais pas d'accord sur le motif d'insulte ; j'appelle ça plutôt de la contestation humoristique… »
Contestataire, ce chômeur de 43 ans l'est assurément. Il est aussi artiste à ses (nombreuses) heures perdues. Se considérant comme un communiste libertaire, il refuse jusqu'à l'encartement. Pas plus à la Fédération anarchiste qu'ailleurs. « J'ai bien aimé les affiches de la FA et j'ai eu envie de les coller, c'est tout », explique Philippe Caballero qui ajoute : « J'ai pas à me justifier ».

Des gendarmes dans sa cuisine

D'ailleurs, c'est plutôt lui qui a demandé des comptes, avec un brin de provocation candide : « Quand j'ai appris que des gendarmes avaient décollé mes affiches (*) dans la région de Langeais, j'ai appelé la brigade locale pour avoir des explications. Résultat, j'ai reçu la visite des gendarmes chez moi, quelques jours plus tard. »
C'est dans la cuisine de son appartement, à Saint-Pierre-des-Corps, que le colleur aux yeux rieurs reçoit la maréchaussée, venue lui notifier une convocation « pour affaire vous concernant ». Au mur figure ostensiblement l'objet du délire que désigne un représentant de l'autorité : « C'est pour ça ».

« La liberté d'expression  en cause »

Philippe Caballero s'est vu dresser un simple procès verbal pour les affiches collées dans le Langeaisien, à charge pour le procureur de donner ou non une suite procédurale. « Ça a duré deux heures et demie », témoigne le justiciable qui confie : « J'ai refusé d'être rendu responsable d'autres collages, ailleurs. On voulait aussi me mettre sur le dos des affiches de Radio Béton. J'en avais pas, autrement j'aurais pu en coller… »
Mais le tapissier amateur abandonne le registre humoristique, sans forme de procès, quand il s'agit de revendiquer haut et fort ses opinions : « La venue du pape ne me gène pas, mais je n'accepte pas qu'il soit reçu aux frais de l’État. Je considère que la religion opprime et je prends mes responsabilités. C'est pas ma personne qui est en cause dans cette affaire, c'est la liberté d'expression ».

Sur la qualification des faits, son avocat s'interroge. « Soit il s'agit de "diffusion de messages contraires à la décence", contravention justiciable d'amende, soit on retient "l'atteinte, dans l'exercice de leurs fonctions, à l'honneur ou à la délicatesse de magistrats" (chefs d’État, magistrats, etc.), délit passible de prison. »
Conclusion de Me Christophe Moysan : « Il n'y a ni indécence, ni atteinte à un chef d’État. Maintenant que le chef religieux est reparti, il ne faudrait pas qu'on le fasse revenir en qualité de chef d’État ! » Et d'insister : « Si procès il y a, il sera intéressant pour connaître l'état de la censure actuelle »… Hélas, il n'y en eut point !

Alain Nordet, La Nouvelle République, 25 octobre 1996

(*) Un officier de la Compagnie de Tours admet que les gendarmes décollent parfois des affiches, « pour recueillir des pièces à conviction », mais également « pour faire cesser l'infraction » …  quand les collages sont encore frais.

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