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Billet de blog 12 février 2024

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La gastronomie, c'est tout du cru

« Loulou à la Nounou - Illustrations d'Azo »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La Chambre de métiers sous chapiteau à la Foire de Tours.

Illustration 1
© Azo

Parcourant la foire, vous avez une petite faim. Deux crêpes au sucre (pourquoi pas ?) semblent vous suffire. Je mangerai solidement ce soir, vous dites-vous. Voire. Et puis, au hasard de vos pérégrinations, là sur votre droite, le mot gastronomie arboré au format pantagruélique vous interpelle. Au niveau du vécu, c'est le choc.
Faisant taire les querelles intestinales de votre moi, l'inconscient vous mène droit dans l'antre rabelaisienne, comme le gaillard d'avant ignorant les surfaits fastes de la food yankee. Vous êtes cuit si vous avez tranché en faveur des spécialités du cru. Parce qu'ici, il n'est point de salut dans la fuite. Rien à voir avec la baraque à frites. Le bien-manger des artisans d'ici vous attend au tournant. Là, il ne vous lâchera pas.

Plateau tournant

La Chambre de métiers a mis le paquet cette année, propulsant les métiers de bouche sous un chapiteau pour donner de l'aise aux dix-sept artisans restés sous le hall représentant avantageusement l'équipement de la maison, la décoration intérieure et les métiers d'art, le tout agrémenté d'animations renouvelées. L'espace gastronomie (stand 802) a gagné aussi à ce change plus de place et de l'air. Il n'est que de voir le va-et-vient incessant des gourmets de tous âges pour se convaincre du bien-fondé de ce déplacement.
Ainsi abrités sous chapiteau, dix stands vous attendent… et vous tentent. Première tentation, et non des moindres, l'habituelle « table de Rabelais » suggère des festins haut de gamme. Vous ne pouvez pas rater ce plateau tournant de quatre mètres de diamètre, à l'entrée. On y salive devant les plats les plus divers aux atours convaincants. La gastronomie y rejoint l'art plastique, par Van Gogh interposé. Et l'abord de la table est facile : il suffit de laisser tourner devant soi l'étalage réfrigéré. On peut toujours commander une œuvre parmi cette exposition.
Boulangers, pâtissiers, confiseurs, bouchers et charcutiers tiennent boutique à droite, dans quatre stands, non à leur propre bénéfice mais pour leurs organismes professionnels. S'y succèdent actifs et retraités, patrons et salariés, voire apprentis, pour réaliser en public toutes ces bonnes choses « qui n'ont rien à voir avec les produits industriels qu'on propose ailleurs » (suivez mon regard…). Les plus anciens ne boudent pas leur plaisir de pratiquer comme ça se faisait dans le temps, avant l'apparition de la bouffe standard inspirée des (mauvaises) habitudes d'outre-Atlantique.
Pour les entrées et desserts, c'est au fond. Quatre artisans y étalent suavement glaces, dragées, confiseries et foie gras. Ça se déguste comme une petite musique de Mozart, les yeux clos et l'extase aux lèvres. Point besoin de rester debout, tables et chaises vous attendent tout près. Juste à côté, deux autres stands accueillent – gastronomie oblige – vins et fromages. Les producteurs locaux les garnissent à tour de rôle pour que les agapes bien de chez nous soient complètes.

Alchimie

Enfin, un podium central est réservé aux animations quotidiennes : démonstrations, préparations de spécialités de toute nature et concours gastronomiques, avec la participation des apprentis, y drainent une foule de curieux avides de découvrir cette alchimie de palais. Ainsi, on a pu ainsi voir Gérard Maunoury sculpter à la margarine un aigle royal. Quinze kilos de matière grasse et de grâce en six heures.
Les artisans qui viennent là n'ont pas de crise de foi. Croyant en leur métier, ils entretiennent l'image et affirment leur différence par le coup de main. Ça mérite bien un coup de chapeau.

Alain Nordet, La Nouvelle République, 11 mai 1993

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