Cette charmante personne d'origine irlandaise est, à ce jeu, la première dame de France. Elle a disputé, samedi à Tours, le simultané mondial francophone.

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MUDÉJAR, avec ou sans e : le nom désigne un musulman d'Espagne, l'adjectif qualifie l'art chrétien espagnol influencé par l'Islam. On en apprend tous les jours, des mots comme celui-là, rien qu'en pratiquant le scrabble. C'est plus convivial que le plaisir solitaire des mots croisés et ça permet d'élargir le cercle culturel de ses amis.
Depuis treize ans qu'elle jongle avec les lettres, Kay Momal, professeur d’anglais retraitée mariée à un Tourangeau, a acquis une sorte de virtuosité dans le maniement du vocabulaire français. Cette jeune septuagénaire n'en a pas pour autant perdu son savoureux accent de Dublin qui pimente une parfaite maîtrise de la langue de Molière. La bonne humeur irlandaise se traduit instantanément en multiples sourires, sur son fin visage illuminé de malice.
« Je suis une sorte de phénomène, reconnaît-elle, car les bons joueurs de scrabble francophone sont généralement jeunes, masculins, français ou belges, forts en informatique et en maths. Je ne suis rien de tout cela ! » N'empêche que le plaisir de jouer avec les mots l'a propulsée en tête de nombreuses compétitions. Son dernier classement connu la place en treizième position des joueurs français, ce qui en fait la première dame de France.
Élégance et modestie
Elle porte le titre avec une élégance détachée, manifestant volontiers une sorte de modestie amusée : « Ce jeu est très bon pour le caractère. Quand on est battu, on reçoit une leçon d'humilité. » Pour elle, il s'agirait plutôt de perfectionnement. Reste la technique, où dominent l'intuition – très féminine évidemment – et la sobriété du style : « Je ne bouge pas les lettres, je les regarde pour me concentrer. Il ne faut pas perdre de temps, car on ne dispose que de deux minutes et demie pour composer un mot. »
Vous pensez bien qu'en treize ans, mine de rien, la joueuse rieuse a peaufiné son savoir-faire, comme tous les concurrents aguerris. Les ouvrages spécialisés, de « l'Officiel du scrabble » au « Larousse du scrabble » proposent de savantes combinaisons pour passer, par exemple, du mot « évanoui » à « inavoué »... Elle les parcourt régulièrement avant chaque compétition : « Avec une carte postale pour masquer les réponses. »
Mais samedi, au foyer des Rives du Cher, Kay n'a pas pensé à ressortir opportunément le « mudéjar », un mot pourtant familier de son vocabulaire. Elle a toutefois marqué 1.724 points en deux parties au « simultané mondial » qui associait environ 5.000 concurrents de divers clubs francophones sur toute la planète. Le « top niveau » international étant à 1.801 points. sa performance demeure très honorable.
Il faudra attendre quelques semaines encore avant de connaître son classement. le temps de recueillir tous les résultats mondiaux, dont certains proviennent des antipodes. Pas d'angoisse particulière pour Kay : elle était arrivée, l'an dernier, septième sur quatre mille joueurs. Avec classe, et en toute simplicité.
Les meilleurs
Le simultané mondial de scrabble, disputé samedi au foyer des Rives du cher, était en concurrence avec de multiples clubs francophones du monde entier. Il se jouait selon la formule « duplicate », chaque concurrent disposant des mêmes lettres pour chaque coup, en deux parties.
A Tours, dans la catégorie joueurs licenciés dominée par Kay Momal (1.724 pts), un joueur débutant, Jean-Pierre Moreau, est arrivé en troisième position avec 1.227 pts. La performance méritait d'être soulignée. Au concours open (non-licenciés) est arrivé en tête un jeune de 19 ans, Denis Bournigault, de Cravant. Avec ses 1.397 pts. il aurait été classé deuxième en catégorie licenciés. Ça, c'est l'amour de l’orthographe.
Alain Nordet, La Nouvelle République, 17 janvier 1994