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Billet de blog 15 octobre 2023

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Et j’entends siffler le vin

« Loulou à la Nounou - Illustrations d'Azo »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

À Vouvray, Jean Pénilleau parvient à identifier un millésime « à l'oreille ». Limitée à ses propres crus, la performance est cependant spectaculaire.

Illustration 1
© Azo

« Quand on connaît bien ses vins, qu'on les aime, on les reconnaît facilement ». Sans aucun doute s'il s'agit de les déguster, mais lorsque le test passe uniquement par l'oreille, cela devient une performance rare, peut-être unique. C'est devenu pourtant quasiment une routine pour Jean Pénilleau, propriétaire-récoltant aux « Sentinières » de Vouvray, aujourd'hui retraité après avoir régné sur les chais du Clos Baudoin, tout à-côté.
C'est d'ailleurs lors d'une visite de touristes allemands chez son ancien employeur qu'il a découvert fortuitement ses dons. « Ils voulaient goûter un 1974, explique Jean Pénilleau, mais je leur ai dit d'attendre et d'en boire un autre. Alors que je me trouvais dans une pièce voisine, je les ai entendus remplir leurs verres. Je leur ai crié aussitôt : “ Pourquoi avez-vous ouvert le 74 ? ” J'ai sorti ça sans réfléchir, c'était évident pour moi qu'il s'agissait du 74 ».

« Écoutez ce velours »

Depuis dix-sept ans, il est devenu l'oreille du vin. Pas n'importe lequel, celui de son terroir exclusivement. Sur un choix de huit bouteilles, son ouïe exercée capte le moindre bémol dans un doux babil de vouvray cascadant au fond d'un verre tulipe. Petite démonstration sur un 1990 : « Celui-ci, c'est du moelleux, écoutez ce velours. Ce serait du sec, vous l'entendriez siffler… En règle générale, un vin sec est aigu, un demi-sec plus tendre et un moelleux donne un do doux. Avec toutes sortes de nuances qu'il faut connaître ».

Attention aux mélanges

Mais ne se trompe-t-il donc jamais ? « L'autre jour, j'ai été troublé. Celui qui versait tenait le goulot trop près. Il a même cogné le verre. J'avais identifié un 90, mais je ne me suis pas arrêté à ce choix qui était pourtant le bon ». Parfois, on lui tend aussi un piège : « Un jour, des Américains avaient mélangé le contenu de deux bouteilles différentes. Je n'arrivais pas à me prononcer pour un 74 ou un 79. C'étaient effectivement les millésimes mélangés ».
La condition pour une bonne audition du vin, c'est de le verser d'une hauteur de cinq à dix centimètres du verre, selon Jean Pénilleau qui a longtemps voulu créer un club d'écouteurs de crus mais a dû renoncer, faute de candidats doués pour ce genre d'exercice. Et puis, la pratique exige un entraînement intense avant l'épreuve.
Jacques Puisais, le très réputé directeur de l’Institut Français du Goût qui a admis le sérieux de la démonstration, pourrait trouver là matière à promouvoir une nouvelle forme d'initiation gustative, entre une classe d'éveil musical et la dégustation de fromages du terroir…

Alain Nordet, La Nouvelle République, 8 décembre 1992

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