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Le tribunal de grande instance de Tours reconnaît le droit, pour un hongreur (castreur de chevaux), de pratiquer la médecine vétérinaire. L'intéressé est âgé de 83 ans.
L'Ordre des Vétérinaires menait hier, devant le tribunal de grande instance, ce qu'il est convenu d'appeler un combat d'arrière-garde contre un hongreur maréchal expert, autrement dit un castreur de chevaux (les hongres), de bovins ou de porcins, prévenu d'exercice illégal de la médecine et de la pharmacie vétérinaires. La profession de hongreur, héritée d'usages ancestraux et actuellement en voie de complète disparition, a longtemps été en concurrence avec celle de vétérinaire, surtout dans l'ouest. Les premiers étaient très bien implantés dans les campagnes, c'étaient des gars du pays. Et puis, leurs tarifs étaient très inférieurs à ceux du vétérinaire installé plus loin, au chef-lieu de canton.
Rancune tenace
Une loi a fini par protéger, en 1938, l'exercice de la profession de vétérinaire dont la pratique, par les hongreurs en activité, demeurait cependant autorisée sous réserve de déclaration à la préfecture. Mais la rancune est apparemment tenace. Cette affaire serait seulement ridicule si l'âge de l'intéressé ne suffisait à rendre la démarche odieuse. M. Jules Fonteneau, qui réside à Gizeux, a aujourd'hui 83 ans. Il a commencé à pratiquer en 1928 comme commis chez un hongreur, avant de se mettre à son compte. Depuis quelques années, il avait réduit son activité, se contentant de quelques interventions ici et là, pour rendre service et compléter sa maigre pension de retraite. C'est à l'occasion d'une enquête sur un trafic d'anabolisants (utilisés pour accroître artificiellement le poids des bovins) qu'il reçut la visite, sur commission rogatoire, du SRPJ d'Angers. Mis hors de cause pour ce trafic, il n'en fut pas moins inquiété pour la possession d'un stock impressionnant de matériel et de médicaments d'usage vétérinaire. L'octogénaire détenant également un tampon encreur indiquant « Médecine et chirurgie vétérinaires Jules Fonteneau », c'en était trop pour l'ordre des vétérinaires qui s'était donc constitué partie civile pour réclamer le franc symbolique de dommages-intérêts. Mais lors des débats, M. Fonteneau a fait valoir qu'il était inscrit régulièrement en préfecture de la Mayenne.
Procès « choquant »
Le ministère public, M. Chassin, a admis que la loi n'avait pas été enfreinte. Dès lors, le défenseur du hongreur, Me Viviane Thiry, n'a eu aucune peine à persuader le tribunal de la bonne foi de son client, autorisé à pratiquer « comme il l'a toujours fait ». Seule la possession de certains médicaments pouvant être retenue contre lui, l'avocate a eu beau jeu de convaincre les magistrats que cela « découlait de son activité. » Quant au préjudice supposé avancé par l'Ordre des vétérinaires à l'encontre du praticien, elle a souligné que ce dernier agissait bénévolement le plus souvent. Non sans « trouver choquant que cet homme de 83 ans soit obligé de comparaître aujourd'hui en correctionnelle ». Le tribunal l'a suivie en ordonnant la fin des poursuites et en relaxant Jules Fonteneau, une décision de bon sens. L'ordre des vétérinaires a été débouté de sa demande de dommages-intérêts. Il n'y croyait guère, en vérité. Alors, pourquoi ce procès ?
Alain Nordet, La Nouvelle République, 1er octobre 1993
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