Alain NORDET

Abonné·e de Mediapart

79 Billets

1 Éditions

Billet de blog 19 janvier 2024

Alain NORDET

Abonné·e de Mediapart

Au nom de Dieu...

« Loulou à la Nounou - Illustrations d'Azo »

Alain NORDET

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les militants anti-avortement se défendent au nom de « la loi supérieure. »

Illustration 1
© Azo

Ambiance d'assises le 24 mars au tribunal correctionnel de Tours où comparaissaient les membres du commando qui avait, le 18 novembre 1993, occupé pendant plus de cinq heures le Centre d'interruption volontaire de grossesse (CIVG) du CHU Bretonneau à Chambray-lès-Tours, entravés avec des antivols. Une salle comble aux entrées filtrées par la police, avec détecteurs d'armes, où se mêlaient partisans et adversaires des prévenus.
Ceux-ci, trois hommes (deux sont absents) et quatre femmes parmi lesquelles l'une fait office de star, Claire Fontana, 40 ans, mère de huit enfants, un bébé dans les bras, déjà jugée pour de semblables expéditions. Sa jupe courte d'où dépasse un jupon coquin tranche sur la tenue patronage de ses compagnes. Elle affiche en permanence un sourire vainqueur.
La majorité du groupe réside en région parisienne ou dijonnaise. Une seule prévenue habite Tours, Mlle Anne-Liesse Ray, 28 ans, professeur de physique au lycée Descartes. Les conditions de leur rencontre restent dans l'ombre, malgré les questions du président : Claire Fontana justifie cette discrétion par leur statut autoproclamé de « résistants. »
Ces activistes anti-avortement se présentent tous comme des « sauveteurs d'enfants à naître ». En plaidant la relaxe, par un curieux renversement que leurs avocats développent, ils accusent la loi. La loi Veil codifiant l'IVG, mais aussi la « loi Neiertz » qui réprime le délit d'entrave à l'IVG, dont il est demandé ici l'application, pour la première fois en France. Ils risquent une peine d'emprisonnement de 2 mois à 2 ans ou une amende de 2.000 à 30.000 F.
Dès lors, ni les avocats des parties civiles (personnel du CIVG, hôpital, associations, syndicat, et une patiente), ni le procureur ne pourront éviter le débat éthique fortement marqué de religiosité exacerbée du côté de la défense. Laquelle reçoit un renfort de poids en la personne de Mgr Honoré, archevêque de Tours. Bien qu'il se défende de donner sa caution aux prévenus, le prélat oppose « deux logiques de conviction », celle « de compromission qui enfante la mort » et celle de « courage qui défend la vie. » On a compris où va sa préférence, d'autant qu'il n'hésite pas à lancer : « Ce procès n'est-il pas celui d'une société, celui d'un État ? »
Me Campion, avocat de « la première des jeunes femmes en France qui se porte partie civile » dans ce type de procès, venait de s'emporter auparavant après la déposition-prédiction – doigt levé – d'un pasteur de l’Église luthérienne. « Nous ne sommes pas devant un tribunal de Droit canon ! » avait-il lancé, agacé. Pourtant, on s'y croirait.
Les plaidoiries de quatre des cinq avocats de la défense en appellent, en effet, à la loi divine contre les lois humaines « qui naissent et meurent ». On n'hésite pas à affirmer : « Quand une loi est injuste, il est licite pour un chrétien de la transgresser au nom de la loi supérieure… »
Le procureur, replaçant le débat dans la laïcité, avait rappelé que « le sujet de ce procès n'est pas l'avortement mais l'infraction à la loi », avant de requérir un mois de prison avec sursis et 2.000 F d'amende pour les prévenus, en faisant un sort particulier à Mme Fontana contre laquelle il réclame trois mois avec sursis et 3.000 F d'amende, en raison de ses antécédents. Le tribunal rendra son jugement le 5 mai (*). 
Ce procès constituait donc une première depuis la promulgation de la loi Neiertz qui a attribué une qualification pénale particulière à ce type d'action illégale, le délit « d'entrave ou de tentative d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse ». 
L'événement avait mobilisé, la veille de l'audience, 400 personnes rassemblées autour du Collectif tourangeau pour le droit à l'avortement et la contraception. Elles ont défilé depuis le palais du justice jusqu'à la préfecture, via la rue Nationale. Le cortège… bon enfant était mené par une chevalière brandissant une oriflamme sur laquelle se lisait « Boutons les commandos hors des hôpitaux », accompagnée d'écuyers revêtus de tuniques blanches fustigeant les « intégristes » et autres tenants de « l'ordre moral ». La marche, rythmée par les tambours, retentissait de slogans : « La contraception, c'est nos oignons », « La loi Veil, on y veille »…
Parmi les manifestants, Anne-Marie, enceinte jusqu'aux yeux d'un enfant désiré : « Je veux avoir des enfants quand je le veux. ». Pierre, son compagnon : « On a beaucoup répété pour en arriver là et on revendique le droit aux répétitions. » Plus loin, des anarchistes proclamaient en effet l'objectif de « jouir sans entraves ». Ailleurs, un manifestant avait écrit sur sa... chasuble « Contre le sida, la capote, pas la calotte ».
Le ton était donné contre les « commandos fascisants et les intégristes catholiques » qui « tentent de revenir en arrière » en remettant en cause la loi Veil, votée il y a vingt ans. Contre le gouvernement aussi, qui, à travers le budget global des hôpitaux, « marginalise les services “non porteurs” comme les CIVG. tout en privilégiant la procréation médicalement assistée à coup de millions ».
Paul Cesbron, président de l'Association nationale des centres l'interruption de grossesse et de contraception, a souligné le problème des « milliers de jeunes femmes en situation de grande détresse » pour avoir dépassé le délai légal des dix semaines de grossesse parce que leurs demandes ne sont prises en compte qu'au bout de deux à trois semaines.
Une pétition portant la signature de 3.000 personnes, dont 600 médecins, a été déposée à la Préfecture. 

  Alain Nordet, La Nouvelle République, 25 mars 1994

(*) Le tribunal correctionnel de Tours a condamné le 5 mai 1994 les neuf « Sauveteurs » poursuivis pour « délit d'entrave ou tentative d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse », au titre de la loi Neiertz, à des peines de prison avec sursis : 6 mois pour Claire Fontana, 3 mois pour les autres prévenus. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.