Jacques Vergès : Papy fait de la résistance

L'avocat manifeste la même insolence envers les juges et la chose jugée, au nom de la Justice mais par delà l’institution, dans son dernier livre écrit comme un recueil de fables puisées dans l'actualité. Ses diatribes passées à l'encontre de certains verdicts, tout comme ses rapports – présumés troubles – avec les poseurs de bombes d'hier et d'aujourd'hui, font de Jacques Vergès un terroriste médiatique, voire un hors-la-loi du barreau !
C'est pourtant un petit monsieur propre, presque timide, qui apparaît en public (*), un grand-père de 71 ans dont seul le regard dit la malice. Car, derrière ses petites lunettes, Papy fait toujours de la résistance, comme au temps béni des colonies.
Entré dans la carrière « par hasard » à l'âge de 30 ans, Vergès est devenu un emmerdeur inclassable à force de défendre les extrêmes : des porteurs de valises du FLN jusqu'à Barbie. Le grand corps judiciaire où il cherche la petite bête en éprouve forcément des démangeaisons, tout comme l'intelligentsia politiquement correcte. Ça le passionne, et ça l'amuse beaucoup.
Mais pas question de rigoler avec les droits du présumé innocent qu'est (selon la loi) l'accusé. « Un avocat doit être prêt à défendre toute cause », rappelle le défenseur de Carlos. Fasciné par la beauté du crime (dont il a fait la matière d'un livre) parce qu'elle témoigne du désordre vivant contre toute espèce d'ordre, Vergès se défend de la complicité avec ses clients qu'on lui prête volontiers. « Ça n'empêche pas l'amitié, ni l'amour », relève l'avocat de Djamila Bouhired, militante du FLN devenue son épouse.

Alain Nordet, La Nouvelle République, Juin 1996

(*) au Forum de la FNAC pour la signature de son livre « Mon Dieu, pardonnez-leur… », éditions Michel Lafon.