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Billet de blog 26 février 2024

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Harcèlement sexuel à la poste

« Loulou à la Nounou - Illustrations d'Azo »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Préposée de la poste à Tours, une jeune femme a osé porter plainte contre deux collègues pour des propos et gestes obscènes. Elle témoigne sur France 2.

Illustration 1
© Azo

Lorsqu'elle n'était encore qu'un projet, la loi Neiertz contre le harcèlement sexuel dans l'entreprise avait excité la verve des humoristes, professionnels ou amateurs. Dans le genre bien gras, les plaisanteries les plus douteuses foisonnent et le vocabulaire macho est inépuisable. On peut en rire au deuxième degré, mais quand les forts en gueule joignent le geste à la parole, cela risque de devenir insupportable.
Une qui n'a pas supporté, c'est Marinette Bourreau, préposée de la poste à Tours et demeurant à Semblançay. Cette agréable jeune quadragénaire, mère de six enfants, est encore en arrêt de maladie pour un traitement psychologique, un an après. « Ça a vraiment commencé le 22 mai 1992 », raconte Marinette. « Deux collègues se sont mis à dire et chanter des propos obscènes et l'un d'eux m'a fait un attouchement répugnant avec un rouleau. Les autres regardaient et rigolaient. Cela faisait pourtant quinze jours que je leur avais dit de ne pas plaisanter comme ça. »
La jeune femme, « dans un état pas possible », va se plaindre aussitôt à sa hiérarchie, mais le harcèlement verbal continue. « Tous les jours, j'étais en larmes à cause de ces agressions. L'inspecteur m'avait dit de ne pas aller à la cafétéria pour éviter ces gens. Il s'était engagé à arrêter ça, mais rien n'y a fait. Alors j'ai craqué. »
En arrêt de maladie depuis le 22 juin dernier, Marinette est d'abord tombée dans la déprime avant de réagir et de déposer plainte le 20 juillet. « J'ai failli capituler. Je me sentais coupable quelque part, c'est incroyable. Mais maintenant j'irai jusqu'au bout. »
Parallèlement à l'enquête de gendarmerie, la direction de la Poste a ordonné une enquête administrative et pris des sanctions disciplinaires à l'encontre de ses deux collègues. Tous deux lui ont adressé des excuses écrites, mais l'un exigeait des excuses en retour pour avoir été copieusement insulté par sa victime !
L'affaire a finalement provoqué une levée de boucliers (solidarité machiste ?) de la part des camarades de travail des deux hommes – parmi lesquels quelques femmes – estimant les sanctions disproportionnées. « On a fait circuler une pétition contre moi », s'indigne Marinette, qui relativise la portée des sanctions en question : « L'un a reçu un blâme, l'autre de « sévères observations ». Et même si l'on m'a promis de muter le premier dès ma reprise de travail, l'autre reste dans le même service. »
Enfin, sa situation matérielle est au diapason de son état de santé. A mi-salaire depuis septembre dernier, elle risque de se retrouver « en disponibilité d'office » (sans salaire ni droits) si elle ne reprend pas le 23 juin, son état ayant été jugé sans rapport avec les faits incriminés. « J’ai subi cinq contrôles médicaux, dont trois psychiatriques. On m'a proposé de me trouver un poste ailleurs à condition que je retire ma plainte. Pour moi, c'est du chantage. »
A présent, Marinette a retrouvé de l'énergie. Elle a pris un avocat et contacté l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, qui l'assiste dans ses démarches. Après avoir participé, sur France 3 en février, à l'émission « Français, si vous parliez », elle sera ce soir, 22 h 35, sur France 2, l'invitée de Mireille Dumas pour son émission « Bas les masques » consacrée à ce genre d'agressions sur les lieux de travail.
« J'adore mon métier. Je suis la première femme titulaire d'une tournée paquets dans mon établissement. J'ai envie de travailler, mais pas dans n'importe quelles conditions. J'aime pourtant la plaisanterie aussi, mais pas comme ça », conclut-elle en écrasant rageusement sa énième cigarette.

Alain Nordet, La Nouvelle République, 25 mai 1993
… suite dans deux jours

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