Samedi [16 octobre 1993], au parc des expositions de Tours, la pluie a rafraîchi l'ardeur des fans, moins nombreux qu’espéré, mais toujours aussi inconditionnels.

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On attendait la foule folle, côté public, avec déferlement et engorgement de voitures. En fait, dûment chapitrés les jours précédents, les spectateurs avaient sagement étalé leur arrivée, samedi à Rochepinard. Au point qu'il est même permis de se demander si certains inconditionnels de Jean-Michel Jarre n'ont pas, à contre-cœur, renoncé au final de sa tournée européenne par crainte des embouteillages.
Loin des 50.000 attendus, ils étaient pointés officiellement à 32.100 à la billetterie, samedi soir, quand les décibels ont commence à frapper, en même temps que la pluie. Sous la tente des VIP où s'était réfugiée un moment Charlotte Rampling, la dame de Jarre, les centaines d'invités de Georges Lancelin, grand maître des cérémonies, avaient vidé moult bouteilles et englouti force toasts. Il fallait avoir l'estomac plein pour endurer, sous les frimas, le crachin qui s'acharnait.
Show et froid
Le public payant, lui, avait de quoi se sustenter dans les pourtours de l'arène. Mais le croque-monsieur, ça ne tient pas au corps, c'est bien connu. Les fans trempés avaient froid pendant le show. Leur enthousiasme en souffrait et, par-ci par-là, les giclées d'applaudissements humides étaient bien timides. C'était plutôt le ciel qui faisait la claque dans les cloaques.
Qu'à cela ne tienne, Jean-Michel était là avec toute sa machinerie, ses musiciens en cage et ses choristes, là-bas, tout petits sur le plateau, devant un Manhattan modèle réduit de faux buildings. Poum, poum, poum, faisait la zizique au milieu des méandres d'accords synthétisés. Clac ! clac ! clac ! faisaient les pieds dans les flaques et la gadoue.
Les oreilles s'en prenaient plein les yeux de projections à tout-va sur les gratte-ciel provisoires de Rochepinard. Le diaporama cadencé fascinait un tantinet, comme le tempo obsédant du son via ordinateur. Le ramage des images s'exhibait sans ambages, ponctué de rasades célestes au laser ou relevé de bouquets garnis d'artifices qui faisaient se lever des milliers de regards détrempés.
Ça plane
Parfois, les projos vous excitaient la foule de balayages en pleine face. Pratique pour faire le point entre voisin, voisine. Ici, ça plane : Marylène, elle aime. Là, ça gaudriole, car Sophie trouve Jarre beau, tripotant son piano : « Elle en a de la chance, Charlotte ! » Quant à Jean Royer, il n'est pas renfrogné à côté de sa belle épousée : « C'est magnifique, cette musique cosmique... »
Et Jean-Michel ne mouillait pas que sa chemise. Solidaire de ses fans transis, le chef d'orchestre chantait sous la pluie des encouragements sympas à l'auditoire. Moments de congratulations réciproques salués de vivats, çà et là. De bruit mais sans fureur, car l'amateur de Jarre est généralement calme, abreuvé d'« Oxygène » et bien calé sur « Equinoxe ». Un brin rigolard, parfois. Quand Jarre a demandé : « Et maintenant, qu'est-ce que vous voulez ? », la réponse a fusé dans un coin : « Charlotte ! »
Au final, il n'y a pas eu de précipitation autre qu'atmosphérique. Monsieur Jarre a fait gentiment le bis pour dire au revoir. On s'est dit qu'on se retrouverait, ouais !
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La frime sous les frimas
Loulou n'a pas pu s'empêcher d'ajouter ce commentaire :
Quel beau samedi ! C'était comme au supermarché, même musique et plein d'écrans partout pour faire joli. En plus fort et en plus grand : l'overdose. Parce que des tonnes de matos, c'est pas forcément ce qui donne de l'émotion. La musique cosmétique, ça aplatit la tête à force d'assommer. Quant aux images, y en assez comme ça sur les télés, vous trouvez pas ?
Reste les lumières qui font joujou, comme dans n'importe quel méga-concert maintenant. Faut bien meubler puisqu'on voit pas les musicos. Un que j'aurais bien aimé regarder autrement que sur grand écran, c'est Mahu. Avec lui ça a percuté en finesse. Autre chose que la boîte à rythmes branchée en 220. Un petit moment de respiration humaine dans le synthétique binaire.
Allez, j'arrête. C'est vrai que j'aime pas Jean-Michel Jarre et sa frime qui sent le fric. Et c'est pire sous la flotte. Je préfère Maurice, le papa. C'est pourtant pas forcément une question de génération.
Alain Nordet, La Nouvelle République, 18 octobre 1993