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Billet de blog 6 mars 2023

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Réforme des retraites : l'invisibilité organisée des cancers professionnels

Les causes professionnelles des cancers sont ignorées par les médias grand public et tabac , alcool, comportements individuels au premier plan. Cette omerta institutionnelle des cancers professionnels culmine dans la réforme des retraites ignorant ces facteurs de pénibilité et supprimant les régimes spéciaux de métiers à risque mettant en danger les travailleuses et travailleurs de ces secteurs.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un médecin attaché aux chaines publiques d’information signale, lors des journaux télévisés, à juste titre, les effets cancérogènes du tabac et de l’alcool. Rien, bien sûr, dans ses commentaires sur les causes sociales des consommations. Il pourrait consulter les statistiques à ce sujet et comment les difficultés de statut social et de ressources comptent, comme pour l’obésité, dans la survenue de ces surconsommations.

Cette exclusivité de stigmatisation des comportements individuels « irresponsables » dans les causes de cancers est caractéristique du corps médical en France. A l’origine de ce rétrécissement du champ visuel un enseignement calamiteux sur les pathologies générées par les conditions de travail. Quel médecin référent, à part de rares exceptions, interroge, autrement que superficiellement, son patient ou sa patiente sur ses conditions de travail ? Comment, alors, faire le lien entre l’apparition d’une pathologie et les conditions de travail ? Il existe aussi une sorte d’omerta sur les causes professionnelles des cancers dont les interventions des spécialistes médiatiques est le reflet.

Cette omerta repose en partie sur le sabotage systématique par les employeurs et leurs alliés bicentenaires de l’état, aidés par l’establishment médical[1], de la reconnaissance des causes professionnelles dans la survenue de maladies. Le fonctionnement de la commission des maladies professionnelles mise en place sous l’égide du ministère du travail mériterait une analyse sociologique quant aux procédés dilatoires mis en œuvre. Ainsi, il aura fallu attendre 2021 pour que l’ANSES déclare que la silice est cancérogène et que la fameuse commission des maladies professionnelles soit saisie de cette question. Jusqu’alors seuls les mineurs pouvaient avoir accès à la reconnaissance de cette maladie professionnelle et encore fallait-il que le cancer soit précédé d’une silicose.

 La prévention, elle-même, souffre des mêmes procédés. Ainsi pour les cancérogènes professionnels, le plus souvent sans seuil inférieur d’action, la fixation de valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP) au-delà de laquelle il est interdit d’exposer les travailleuses et les travailleurs, n’a qu’une valeur contraventionnelle et constitue, en fait, un permis légal de tuer.

Car, bien placés parmi les champions européens des accidents du travail, nous le sommes en France également pour les maladies professionnelles. Qu’il s’agisse de pathologies articulaires mais aussi des cancers d’origine professionnelle dont l’incidence, bien que contenue par les magouilles liées à leur réparation, est évaluée sévèrement dans les publications scientifiques.

Ainsi, entre 8% et 15% des 300 000 nouveaux cancers survenant chaque année en France sont d’origine professionnelle. Cela signifie que de 24000 à 45000 cancers liés à des expositions professionnelles surviennent chaque année. Seuls 1800 cancers sont reconnus comme maladie professionnelle. Le surcout pour l’assurance maladie, au bénéfice de la caisse accidents du travail-maladies professionnelles, est estimé à 8 milliards d’euros. Si on rajoute le coût des maladies non reconnues d’autre origine professionnelle on comprend pourquoi il est vital pour les employeurs et l’état-employeur de saboter le système de reconnaissance. La cour des comptes regarde ailleurs. Et puis comme les maladies professionnelles sont invisibles pourquoi en faire la prévention ?

Il est remarquable de noter l’invisibilité des cancers professionnels dans la réforme sur les retraites. Les facteurs de pénibilité, censés permettre un départ (modestement) plus précoce à la retraite, évitent ostensiblement d’évoquer les expositions aux cancérogènes professionnels.

Lors des manifestations, une jeune femme portait une pancarte artisanale pleine de sens : « je prendrai ma retraite sept ans après ma mort ». Ce que cette pancarte signifie, alors que la prévention des risques professionnels de cancer est insuffisante, c’est que ne pas prendre en compte ces expositions est non seulement injuste mais également que cela a pour effet d’exposer plus longtemps ces salariè-es, ce qui les met en danger.

Cette assistance insuffisante à des personnes en danger culmine dans la suppression des régimes spéciaux dans des métiers particulièrement à risque, ce qui précisément a été la raison de la création de ces régimes. Le risque de décès par cancer pour les agents techniciens des industries électriques et gazières travaillant dans les centrales thermiques à flamme est le double de celui de la moyenne des autres agents. Ce ratio défavorable se retrouve dans d’autres secteurs notamment celui du Bâtiment.

Notre spécialiste médical des interventions médiatiques promouvait récemment la vaccination des jeunes contre le papillomavirus responsable de 2000 cancers par an. On ne peut qu’approuver la motion. Mais comment expliquer que des causes professionnelles puissent être responsable de près de 30 000 cancers par an ne soit pas l’objet d’une intervention de même nature dans les mêmes circonstances. C’est qu’il n’existe pas de vaccin pour prévenir les cancers professionnels. Leur prévention et leur reconnaissance se heurte à des intérêts économiques gigantesques.

Quand on évoque les comportements individuels dans la survenue des cancers pourquoi n’évoque-t-on jamais le comportement individuel de certains employeurs qui exposent sans protection efficace les salarié-es à des cancérogènes ?

[1] « La santé au travail, entre savoirs et pouvoirs 19ème 20ème siècles » presses universitaires de Rennes, 2011

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