Le 19 mars les arrestations pour corruption, du maire d'Istanbul Ekrem Imamoglu, rival du président Erdogan pour la prochaine présidentielle de 2028 et de dizaines de co-accusés dont des maires d'arrondissement, ont eu pour conséquence de grandes manifestations à travers toute la Turquie. Imamoglu en mars 2024, personnalité éminente, avait été réélu sur des projets sociaux ambitieux et une politique de rénovation forte des sites industriels.
Ces arrestations ont été perçues par beaucoup comme l'expression de la volonté du parti AKP au pouvoir depuis 2003, de faire taire l'opposition qui considère le Parti Justice et Développement comme islamo- nationaliste- clientéliste.. Etudiants hostiles au nationalisme et à l'islamisme affichés, jeunes souvent considérés comme dépolitisés, laissés-pour-compte des difficultés économiques, du système éducatif en panne, urbains aux prises avec les affres d'un développement source de déséquilibre, démocrates sincères, sont descendus dans la rue. Au bas mot 3 millions de personnes concernées.
Le Parti républicain du peuple, parti kémaliste du nom du fondateur de la Turquie indépendante et laïque, Kemal Atatürk, a dénoncé une tentative de coup d'état. Dans un contexte où l'inflation, la dette publique, le taux de chômage élevé, l'extrême flexibilité du marché du travail, sont une toile de fond qui n'est pas prête d'être repeinte, le taux de croissance du pays restant néanmoins positif.
Les projecteurs de l'actualité se sont donc tournés vers la Turquie, vue son implication internationale. Le président Erdogan, à la fois visionnaire et pragmatique pour son pays, agissant dans toutes les directions pour l'imposer parmi les puissances qui comptent. Les références à Atatürk, "s'imprégner de la culture occidentale sans intégrer la politique occidentale", sont encore dans de nombreux esprits. Des sondages sérieux montrent que plus de 70% de la jeunesse se tournent vers l'Europe. Mais la mise sous contrôle des médias classiques, l'arrestation de journalistes, la désactivation de réseaux sociaux, passent mal aux yeux des démocrates. D'autant que le pays a signé des engagements internationaux qui ne sont pas respectés. Le durcissement politique est patent depuis le coup d'état raté de 2016.
La Turquie, véritable puissance moyenne émergente, c'est la jonction ou le verrou entre l'Europe et le Moyen-Orient. Un enjeu pour la stabilité régionale. C'est le deuxième contingent militaire de l'OTAN. C'est une véritable base militaire de la dissuasion nucléaire des USA. C'est la lutte contre le djihadisme. C'est l'aide à l'Ukraine avec la livraison de drones. Mais c'est aussi les raids menés contre les kurdes syriens soutenus par les USA et la volonté de s'implanter en Syrie, face à l'Iran. C'est la volonté de réintégrer le programme américain F-35 dont le pays est exclu depuis 5 ans, après la décision d'acquérir le système de défense anti-aérienne russe S-400. C'est aussi des relations turques au plus bas avec Israël. C'est enfin les drones livrés par Ankara à l'Azerbaïdjan dans le conflit contre l'Arménie. En un mot "ambigüité" pour tous les géopoliticiens chercheurs.
La Turquie se veut état- nation respecté et peut faire partie d'un bloc régional en devenir. Elle a déjà démontré sa capacité négociatrice dans le sauvetage de l'indépendance de l'Ukraine face à la Russie . Avec une volonté d'obtenir la paix sans humiliation. Elle peut avoir son mot à dire et son action peut peser pour d'autres pays, la Moldavie, la Géorgie, l'Arménie .... La Turquie va présider l'Organisation de Coopération Islamique, ouverture sur un autre monde qui compte. Elle est membre du G20 et membre à part entière des Etats du Sud.
Alors les interlocuteurs occidentaux peuvent souhaiter que la Turquie s'engage sur le rétablissement des droits fondamentaux, que sa classe politique soit attentive à la jeunesse du pays abondante et mécontente. Pour que le pays occupe toute sa place dans le règlement de nombreuses questions internationales, à un moment où l'ordre libéral international est largement contesté et où toutes les cartes sont rebattues.
Le dimanche 2 mars 2025, Keir Starmer premier ministre anglais a invité à Londres, à Lancaster House, pour la rédaction d'un plan de paix entre la Russie et l'Ukraine, 18 dirigeants européens , de l'OTAN, de l'UE, du Canada et...la Turquie. Significatif.