Le XXème siècle a été celui de conquêtes sociales importantes pour les salariés : assurances sociales, congés payés, baisse du temps de travail, hausse des salaires réels, etc… Ces conquêtes constituaient un mode de régulation du système capitaliste que les économistes appellent le « compromis fordiste » : les cadences de travail des salariés et leur productivité ont augmenté de manière vertigineuse, et « en échange », ils ont acquis (souvent par la lutte) un certain nombre de droit, et surtout l’illusion d’un progrès social continu.
Dans les années 1980, le compromis fordiste s’effondre partout dans le monde. La mondialisation de l’économie met les salariés du monde entier en concurrence dans un contexte de chômage de masse généralisé. Le nombre de travailleurs pauvres augmente, de même que l’emploi précaire (qui constitue aujourd’hui 70% des nouveaux emplois créés). La productivité des salariés continue à augmenter, mais sans aucune contrepartie : au contraire les salaires réels (compte tenu de l’inflation) stagnent en Europe et régressent aux Etats-Unis. Pourtant la richesse mondiale continue à augmenter, plus faiblement dans les pays occidentaux, mais très fortement dans les pays émergents, alors que la part de la rémunération des salariés dans la valeur ajoutée (richesses créées par l’entreprise) ne cesse de baisser depuis 30 ans. Autrement dit : les « 30 piteuses » n’ont pas été piteuses pour tout le monde…
Augmentation des richesses créées, baisse des salaires : cette situation débouche sur la crise de surproduction de 2008, et sur l’aggravation des conditions de vie des salariés (destruction de 1000 emplois par jour en 2009, en France). Cette crise aggrave également les comptes publics des nations, de manière mécanique : plus de chômeurs, c’est moins de personnes qui cotisent dans les caisses de Sécurité sociales, et moins de contribuables à l’impôt sur le revenu. Parallèlement, la croissance économique (c'est-à-dire la création de richesse des nations) augmente à nouveau, cette année, dans la plupart des pays occidentaux, et les profits boursiers sont à la hausse.
L’aggravation des comptes publics sert de prétextes à l’ensemble des gouvernements européens, et à la commission européenne, pour accélérer les réformes libérales qu’ils ont commencé à mettre en œuvre depuis des décennies, parmi lesquelles l’ouverture de nouveaux marchés. L’accélération du processus de marchandisation doit toucher aussi les assurances sociales : il s’agit d’un marché hyper lucratif de plusieurs centaines de millions d’individus en Europe (on comprend que les investisseurs internationaux poussent les Etats à mettre en place les « nécessaires réformes »).
Le « trou de la Sécu » est une réalité en partie créée par les allègements successifs de cotisations sociales, et par le non remboursement par l’Etat de ce qu’il doit aux caisses de Sécurité Sociales. Mais il s’agit aussi d’un problème réel, structurel. Ce problème n’est cependant pas insurmontable : il suffirait d’une augmentation des cotisations patronales de 0.5% par an pour le régler. Soit une augmentation bien inférieure à l’augmentation des profits annuels. Il est faux de considérer, d’ailleurs, que l’augmentation des cotisations patronales n’est qu’un coût pour l’entreprise. C’est aussi une forme du salaire socialisé : les cotisations patronales servent uniquement à assurer les salariés contre les risques sociaux (chômage, retraite, accidents du travail, maladie, etc…). Si ces cotisations n’existaient pas, les salariés devraient quand même contribuer à des caisses privés (qui elles auraient pour but de faire du profit).
C’est pour cela que l’on peut dire que les cotisations patronales sont une forme de salaire socialisé. Il faut augmenter les cotisations patronales pour faire face au problème structurel du financement de la retraite ; c’est la seule manière de faire en sorte que le problème ne pèse pas uniquement sur les salariés. Les deux autres solutions (la baisse des pensions de retraite, et l’allongement de la durée de cotisation) sont inacceptables. Elle sont d’ailleurs de même nature : allonger le temps de cotisation, dans un contexte de précarisation de l’emploi, de chômage de masse, d’allongement de la durée des études, c’est rendre impossible l’acquisition de la retraite à taux plein, et donc baisser les pensions de retraite. Il est inacceptable de baisser les pensions de retraite car elles sont déjà à un niveau bas pour les retraités les plus pauvres.
Si la baisse des pensions est aujourd’hui la solution choisie par le gouvernement (sous prétexte d’allongement de la durée de cotisation), c’est parce qu’il a la volonté de développer les solutions privées : si les salariés anticipent une baisse des pensions, ils souscrirons de plus en plus à de nouvelles caisses privées. Ils auront ainsi payés deux fois leur retraite (par les cotisations à la Sécurité sociale, et par les caisses privées) sans que le patronat n’y ait contribué. Il s’agit de la pire régression des droits des salariés depuis la fin du « compromis fordiste ».
Que faire ? Le 7 septembre prochain, l'intersyndicale élargie appelle à une journée interprofessionnelle de grève ; certains syndicats la veulent reconductible. Ils ont raison, le gouvernement ne reculera pas avec une seule journée d'action ; si nous voulons réellement peser, nous devons collectivement passer à l'étape supérieure : nous nous arrêterons de travailler jusqu'à la satisfaction de nos revendications. Tout joue actuellement en notre faveur : le gouvernement est affaibli par les affaires et par les résultats médiocres de sa politique économique, l'opinion publique lui est très majoritairement hostile, les syndicats sont unis. Profitons-en. A partir du 7 septembre, ce qui va se jouer, ce n'est pas seulement l'avenir de la protection sociale, mais également l'avenir du mouvement social.